Le talentueux dessinateur de Walking Dead, Charlie Adlard et le très grand scénariste Robbie Morrison se sont associés pour livrer l’un des récits les plus poignants sur la Première Guerre Mondiale. Pour raconter leur vision du conflit, ils ont décidé de mettre en lumière le front italien, un angle peu utilisé par les auteurs et assez méconnu des lecteurs français, dans le somptueux album La mort blanche, rééditée chez Delcourt (première édition en 1988).
1916. Chaîne de montagnes du Trentin, sur le front italien. Sur le plateau d’Aligheri, les soldats italiens font face aux austro-hongrois. Parmi eux, Pietro Aquasanta, né en Autriche et ayant commencé le conflit sous le couleurs de son pays natal. Mais en ce 31 octobre, il se retrouve à combattre avec les italiens. Alors que quelques-uns de ses nouveaux camarades sont suspicieux, pensant qu’il est un espion, il démontre sa loyauté en tuant un ennemi à peine quelques minutes après son arrivée. Grâce à cette offensive, les italiens peuvent reprendre possession de leurs tranchées et pour les fortifier, utilisent les cadavres de leurs compagnons d’armes. Si cette vison est effrayante, cet acte permet de mieux se défendre.
Les avalanches comme armes
20 novembre. Pietro et ses camarades transportent de nouveaux engins de guerre par les voies rocheuses en haut de la montagne. Cette entreprise est délicate, faite de poulies le long des parois. En contrebas, les austro-hongrois attaquent le front adverse avec des grenades remplies de gaz. Dans les rangs italiens, c’est la panique ; les soldats ne sont pas équipés de masques pour se protéger et n’ont qu’un modeste morceau de tissu à apposer sur leur visage. C’était sans compter sur le déclenchement d’une avalanche qui met à mal les lanceurs de gaz. Engloutis sous cette vague blanche, il n’y eut aucun survivant. Cet événement naturel donne alors des idées aux officiers alliés qui missionnent une équipe pour les déclencher de manière artificielle par la pose de charges explosives. Cette Mort blanche élimine un grand nombres de soldats et de matériels austro-hongrois.
Un récit qui n’épargne pas le lecteur
Robbie Morrison eut l’idée de son scénario après avoir visionné un reportage sur le front italien qui mentionnait le nombre de morts important par avalanche provoquées par les ennemis (entre 60 000 et 100 000 personnes). « Pour moi, la cruauté et l’inhumanité semblait atteindre de nouveaux sommets : transformer la nature elle-même en arme de guerre », explique t-il. L’album est né lorsqu’il en parla avec son complice Charlie Adlard, lui aussi passionné par le sujet.
Le récit sombre de La mort blanche n’épargne pas le lecteur. Sans concession, il montre la mort brute, la vie quotidienne des soldats, les longues heures d’attente et le cynisme des officiers pour utiliser le phénomène naturel. Peu montré aux français, le front italien permet de conter une autre facette du conflit. Si les tranchées, les soldats et les armes sont les mêmes, c’est le décor qui change : quand notre front se situe en plaine, celui-ci se déroule en montagne. Le scénariste de Judge Dredd ou Spider-man utilise aussi un ressort original pour son histoire : un soldat changeant de camp. Pietro, s’il est soupçonné d’espionnage, se révélera être un excellent soldat. Le découpage dynamique de 3 ou 4 cases par planche de Charlie Adlard est merveilleux. Son trait en noir et blanc, un mélange de fusain et craie sur papier gris, rend admirablement l’atmosphère sombre du récit. D’ailleurs, les cinq premières pages de l’album sont magistrales. Pour l’auteur de X-files, sa carrière a changé après la réalisation de La mort blanche. Si sa technique a évolué, il souligne que : « Cette histoire est probablement un des meilleurs et plus touchants scénarios de bande dessinée que j’ai jamais lu, sans même parler de l’illustrer ».
La mort blanche : un album somptueux imaginé par un duo d’auteurs exceptionnels. Une belle réédition.
- La mort blanche
- Scénariste : Robbie Morrison
- Dessinateur : Charlie Adlard
- Editeur: Delcourt, collection Contrebande
- Prix: 14,95€
- Sortie: 07 mai 2014
Résumé de l’éditeur : En plein milieu de la « Der des ders », Pietro rentre chez lui dans les montagnes du Trentino. À la place du monde de merveilles et d’aventures dont il se souvient, il trouve un lieu de mort, de désespoir, où les éléments sont aussi dangereux que l’ennemi. Tous les soldats craignent par-dessus tout la Mort Blanche, ces avalanches provoquées par les coups de canons qui écrasent tout sur leur passage…
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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