Kôtarô, Tôko et Tôru sont ami.es. Les deux premiers filent le grand amour, lorsque le dernier disparaît soudainement. Revenus dans leur village, le couple se remémore ce passé où le trio était inséparable. Fumiya Hayashi imagine La règle de trois, un récit sensible, intimiste et beau aux éditions Sakka.
Une rencontre comme un coup de tonnerre
“Un fantôme ?” Voilà ce que Kôtarô pensa en voyant ce jeune homme devant sa maison familiale. Il ressemble tellement à Tôru, son ancien meilleur ami d’enfance. Kaoru est en effet le fils de cet ami disparu trop tôt.
Troublé par cette vision faisant remonter les fantômes du passé, Kôtarô invite le jeune homme chez lui. Pour les vacances d’été, cet étudiant est revenu dans sa maison d’enfance pour trier les affaires de son défunt père. Entre alors Tôko, l’épouse de Kôtarô, elle aussi grande amie de Tôru. Elle semble néanmoins moins troublée que son mari par l’arrivée inopinée de ce garçon. Il faut souligner que son père était parti du jour au lendemain sans explication. Le couple découvre alors que leur ancien ami s’était marié et avait eu un enfant.
Retrouvailles avec le passé
Dès leur plus jeune âge, Tôko et Kôtarô étaient amis. Amis, au point de se suivre partout jusqu’ à l’université. Le premier était ordonné et brillant élève, tandis que le second était volubile et passionné par la photographie.
Si les deux étaient inséparables, Kôtarô voulait néanmoins s’affranchir de Tôko pour s’émanciper. Il essayait tant bien que mal de ne pas lui ressembler.
Un amour déséquilibré
Surtout qu’arriva dans leurs vies, Tôru, la belle jeune femme dont ils étaient tous les deux amoureux. Pourtant, Tôru tomba en amour pour Kôtarô. Tôko ne voulait pas lâcher l’affaire, se glissant sans cesse entre le nouveau couple.
Mais la jeune femme n’en prit pas ombrage, continuant de considérer Tôko comme un grand ami. Kôtarô était plus énervé contre son copain d’enfance. Le trio s’entendait à merveille malgré cet amour déséquilibré jusqu’au jour où le futur père de Kaoru disparut sans laisser de traces…
De la belle mélancolie de La règle de trois
Il n’y a pas d’effusion disproportionnée dans La règle de trois. Ni haine ni sentiments de revanche comme dans beaucoup d’histoires d’amour. Il y a juste trois êtres humains en recherche, en développement, qui s’aiment d’amour par une belle amitié.
Pour la première incursion en France de Fumiya Hayashi, les éditions Sakka-Casterman ont choisi La règle de trois. Une riche idée tant ce titre intimiste est doux et beau. Ce diptyque dont les deux volumes sortent simultanément prend son temps. L’auteurice développe un récit s’étirant sur un temps long mais imaginé d’une manière intelligente.
La mélancolie dégagée par La règle de trois n’est pourtant pas pessimiste mais plutôt solaire. Malgré l’absence de l’un des trois protagonistes, le lecteur suit avec bienveillance cette histoire d’amour déséquilibrée. Il se plaît à découvrir les discussions fortes et parfois franches des protagonistes. Il y a des secrets et des non-dits dans ce trio devenu quatuor mais jamais le lecteur ne ressent de haine entre eux.
De l’éloignement et de l’absence d’un être cher
Parce que si Tôko et Kôtarô s’aiment et que leur ami est décédé, sa place est toujours auprès d’eux. Leurs vies furent faites de très hauts et de très bas pourtant cette absence leur pèse comme si leur existence devait finalement se dérouler à trois. Un trio asymétrique mais tellement complémentaire.
Le lecteur apprécie cette distance d’une grande justesse pour décrire leurs relations. La pudeur transpire de leurs discussions. Fumiya Hayashi fait observer à son lectorat ces allers-retours entre passé et présent. Les lecteurs n’osent pas interférer dans cette histoire entre ombre et lumière. Ils sont juste là, à côté, pour ne pas gêner. Comme un film se déroulant sous leurs yeux. Si ce surprenant trio amoureux est fort, rien n’est malsain dans le récit de la mangaka. On est sur le fil, tremblant pour ne pas tomber, mais jamais on ne bascule et c’est très très fort.
De la nostalgie de La règle de trois
Avec l’arrivée de Kaoru, Kôtarô est déstabilisé, comme s’il revoyait Tôko. Son trouble est à la fois intérieur et jeté à la figure de ce jeune homme qui n’y est pour rien. Fumiya Hayashi décrit avec force ce bouillonnement interne, les interrogations et le sentiment d’imposture de l’homme qu’a choisi Tôru. Les sentiments mêlés de ses trois personnages sont d’une belle sincérité. Rien n’est dissonant.
L’auteurice distille ainsi des mystères et autres non-dits. Iel navigue avec brio entre les scènes du présent et du passé. Ces séquences permettent de reformer le puzzle du trio. La nostalgie est belle sous la plume de l’autrice japonaise.
De la simplicité du trait
Si les sentiments sont complexes, le trait de Fumiya Hayashi est lui d’une belle simplicité. Son dessin sert avant tout son histoire. Sa narration, graphique et scénaristique, est pertinente. La partie graphique se concentre avant tout sur les regards et les relations entre les personnages. Sans effusion. Les silences et les regards en disent beaucoup plus que de longs dialogues.
Alors que Naban publiera bientôt Vies d’ensemble de la même autrice, les éditions Sakka font découvrir au lectorat français Fumiya Hayashi. Un lectorat de manga ou non qui peut se laisser séduire par ce merveilleux récit intimiste bouillonnant de sentiments mêlés. Une vraie et belle surprise !
- La règle de trois
- Autrice : Fumiya Hayashi
- Traductrice : Anaïs Koechlin
- Éditeur Japon : Kadokawa
- Éditeur France : Sakka
- Prix : 9,45€
- Sortie : 13 mars
- Pagination : 192 pages
- ISBN : 9782203276109
Résumé de l’éditeur : « Nous trois, ça aurait dû durer pour toujours. » Kôtarô et Tôru, voisins et amis d’enfance, sont autrefois tombés amoureux de la même jeune femme : Tôko. Tous trois ont formé un étrange triangle doux-amer, jusqu’à la disparition soudaine de Tôru. Aujourd’hui, malgré toutes les années, malgré son mariage en apparence paisible avec Tôko, Kôtarô reste hanté par les regrets et rongé par la culpabilité. Une rencontre comme un coup de tonnerre va brutalement ramener le couple dans le passé, à l’époque lumineuse où la vie s’écrivait à trois. Une nouvelle signature pour ce diptyque lumineux et doux-amer dont les deux volets paraissent simultanément.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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