Umiko vient de perdre son mari. Après une longue vie commune, elle voit son quotidien chamboulé. Ocean Rush est une histoire de passion. Mais de passion laissée de côté durant toute une vie. Celle qu’on n’a pas pris le temps de nourrir. Ocean Ruch raconte comment Umiko, une grand-mère longtemps occupée, renoue avec sa passion oubliée : le cinéma
Ocean Rush
Umiko est désarçonnée par le décès de son mari. Son départ laisse un immense vide dans son quotidien qu’elle ne sait pas comment remplir. C’est un peu malgré elle qu’elle se retrouve dans une salle de cinéma. Elle va voir un film d’action que peu de personne de son âge – 65 ans – ose regarder en public. Dans cette salle, elle fait la rencontre de Kai. Un étudiant de cinéma, qui durant la séance remarque le « truc » que fait Umiko devant un film. Un truc qui la distingue de tous les autres spectateurs. Quelque chose à la Amélie Poulain. Umiko préfère regarder les gens dans la salle que le film lui-même.
« Vous ne feriez pas partie de ceux qui veulent passer de l’autre côté de la caméra, vous aussi ? » – Kai
Cette rencontre bouleverse sa vie. Encouragée par sa fille, Umiko envisage peu à peu de faire ce dont elle rêve depuis longtemps sans le savoir : Réaliser des films.
Une grand-mère à l’université
Sur un nouveau coup de tête, Umiko s’inscrit à l’université. Elle commence à étudier le cinéma, de travaux pratiques en cours classiques. Cette reprise d’étude devient son nouveau quotidien. Mais elle ne peut s’empêcher de se sentir triste et insatisfaite. Y a-t-il quelqu’un pour voir les images qu’elle tourne ?
Ocean Rush raconte les désirs simples de simples humains avec tout le sérieux qu’ils méritent. Car si Umiko possède un bon sens de la dérision, elle se débat aussi avec des règles de société. Est-il bien sérieux pour une grand-mère de reprendre des études ?
Cette sexagénaire qui évolue totalement hors de sa zone de confort fait de son mieux pour s’intégrer. Mais aussi pour assumer ses nouvelles ambitions. Au fil des pages, elle tente de créer des ponts vers les personnes de son nouvel entourage. Mais c’est une nouvelle fois Kai, plus proche d’elle qu’elle ne l’aurait deviné, qui lui apporte les réponses à ses nombreuses questions.
Une virtuose des émotions
John Tarachine, également autrice de « La Sorcière du château aux chardons« , est maîtresse dans l’art du non-dit. Elle s’empare d’un personnage enraciné dans son quotidien. Quelqu’un qui n’avait pas prévu que tout changerait du jour au lendemain. Elle érige ses doutes, ses questionnements, ses incertitudes comme autant de château sable à l’approche de la marée. Umiko voit les vagues entamées sa vie d’avant à mesure que ses rêves reviennent à la charge malgré elle.
John Tarachine fait opérer un virage à 90° à ses personnages avec la virtuosité d’une compositrice de valse. Offrant des partenaires aussi chahutés par la vie que ses héroïnes, ils évoluent ensemble vers un avenir incertain. Ils sont guidés par leurs désirs de changement et leur peur de rester sur place.
Le cinéma dans la peau
Ocean Rush, de la même façon que Demande à Modigliani chez naBan et Blue Period chez Pika Edition, est un voyage éducatif dans une culture. Les références sont disséminées dans les pages. Ici Léon, là Mary Poppins ou Le vieille homme et la mer, dans sa première adaptation cinéma. La grand-mère novice en tant que réalisatrice possède un bagage culturel sans cesse enrichi par ses nouvelles rencontres.
Ce manga de John Tarachine est une tranche de vie, qui, discrètement, nous souffle quelques leçons de cinéma. Mais aussi de scénario, de mise en scène, voire même de post-production. Ce premier tome lance Umiko sur la voie de la réalisation d’un film. Il plante le décor, un nouveau cadre dans lequel l’héroïne va sans cesse en découvrir les contours, peut-être même les redessinés à sa volonté.
La belle plume de John Tarachine
L’autrice dessine à la plume fine. Ses traits irréguliers sont comme sculptés dans le papier. Gravés méticuleusement dans les cases. Son dessin plein de caractère par la forme du trait, est empreint de douceur et de légèreté. Notamment dans son travail des matières, dans la texture des cheveux et des tissus. Mais surtout, l’oeuvre est marquée par l’omniprésence puissante de l’océan. Par jeu de composition et gravure de l’eau dans les pages, l’océan devient un personnage à part entière de l’histoire.
John Tarachine ne s’arrête pas là. C’est aussi un dessin ciselé par les regards. En quelques coups de pinceau, John Tarachine nous fige avec la froideur des prunelles de Kai. Elle nous réchauffe avec les yeux bienveillants d’Umiko, nous électrise avec l’énergie pétillante de sa fille, nous hérisse le poil avec l’indifférence d’une étudiante…
A travers son dessin, les personnages de l’autrice revêtent une multitude de couleurs. John Tarachine, avec son graphisme presque palpable tant il est creusé dans les pages, donne un volume émouvant, poignant à son histoire.
Notons aussi que l’autrice s’est faite plaisir. Elle cite, à chaque illustration de chapitre, une iconographie du cinéma tel Shining ou l’Odyssée de Pi. Une pile de référence que le lecteur se fera une joie de retrouver dans sa propre culture filmographique.
Petit bijou de bibliothèque
Côté récompense, cette nouvelle série de John Tarachine, éditée chez Akata, a été sélectionnée par le prix culturelle Osamu Tezuka 2023, mais aussi élue Meilleur Manga Féminin au Kono Manga ga Sugoi 2022 et finaliste du grand prix Manga Anan 2022.
Ocean Rush est un véritable plaisir à lire. En quelques pages, le lecteur plonge dans le quotidien de cette dame touchante en quête d’une nouvelle vie. En plongeant dans cette tranche de vie douce, il côtoie les tumultes de la création, ses côtés passionnels autant que ses aspects philosophiques.
C’est une plongée dans une culture en vogue, à la fois populaire et pointue : Le cinéma. Entre sa consommation et sa réalisation, c’est tout un monde qui s’offre au lecteur. Que l’autrice nous propose comme une délicieuse croisière en mer inconnue.
- Ocean Ruch
- Autrice : John Tarachine
- Traducteur : Olivier Malosse
- Editeur : Akata
- Prix : 8,05 €
- Parution : 11 mai 2023
- ISBN : 9782382126124
Résumé de l’album : Voilà presque deux mois que le mari d’Umiko est décédé. Depuis, cette grand-mère de 65 ans prend le quotidien comme il vient, sans trop se poser de questions. Mais un jour, ses pas la mènent dans une salle de cinéma. Elle y rencontre Kai, qui fréquente la section cinéma d’une faculté d’arts. De fil en aiguille, et au fur et à mesure de leurs discussions, Umiko réalise une chose : ce qu’elle désire en réalité, c’est devenir réalisatrice de films ! Mais à son âge, est-ce bien raisonnable d’envisager une nouvelle carrière ?
À propos de l'auteur de cet article
Marie Lonni
"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !
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