Blue Period, de Tsubasa Yamaguchi, est une plongée dans l’art au sens le plus strict et le plus étonnant du terme. C’est un cours de dessin en 228 pages par le biais d’un personnage tendre, passionné et passionnant.
Tomber dans l’art
Yatora, lycéen en deuxième année, n’avait pas prévu d’aimer l’art. Il avait prévu de tracer sa route méticuleusement calculée vers une vie calme et confortable. Aussi ennuyeuse soit-elle. Puis il tomba par hasard sur un tableau qui l’envoûte totalement. Ce fut l’étincelle.
Il tente alors de réellement s’exprimer à travers le dessin. C’est la naissance du brasier. Il tombe tout entier dans la peinture, et se lance à l’assaut du concours d’entrée de la plus sélective des écoles des beaux-arts : Geidai.
C’est le début d’un apprentissage fastidieux, technique mais surtout : passionnant.
La passion ne prévient pas avant de surgir
Yatora est à la fois une personne singulière et un personnage auquel on s’identifie tout de suite. Une personne singulière car il est autant un bad boy et qu’un excellent élève. Il veille à entretenir des relations harmonieuses avec les autres simplement pour ne pas avoir de problème.
Un personnage auquel on s’identifie tout de suite, car Yatora est finalement comme tout le monde : un adolescent qui n’ose pas être lui-même. En deux temps trois mouvements on prend la mesure de son problème : A-t-il déjà été sincère ?
Alors la peinture tombe à point : L’art est un langage qui n’a pas besoin de mot.
Yatora n’avait jamais porté attention au cours de dessin. Il pensait que l’art était pour les fainéants et les otakus. Un domaine dans lequel apparaissent des génies, des surdoués. Mais où un lycéen lambda n’a pas sa place et aucune chance de percer. Pas un truc pour lui en somme.
Parce qu’on entre dans l’histoire sous cet angle, Blue Period embarque n’importe quel lecteur, qu’il soit connaisseur ou non. Son originalité rappelle à notre bon souvenir les premiers bonhommes patates que nous dessinions enfant, et les premières maisons sans perspective qui nous ont laissé un goût amer.
L’envie de reprendre un crayon, de tenter la peinture, de voir le paysage avec des yeux qui mesurent les angles, tracent des lignes imaginaires nous prend alors. Frénétique.
Une palette de personnage
Le profil de chaque personnage de Blue Period a un petit quelque chose d’atypique. Et pour cause, c’est une palette de passionnés.
Yatora un personnage très attachant. Réaliste, qui sort des archétypes. Le genre de personne qui cultive la nonchalance tranquille, la politesse bienveillante. Mais qui garde un ouragan au fond de lui, quelque chose qui attend de jaillir de toute ses forces, à sa propre insu.
Sa découverte de l’art se fait par Yuka, personnage (à priori) transgenre tendre et espiègle, Mori, d’un an leur aînée et peintre de talent, la professeur d’art étrangement encourageante… La chute du héros dans un monde inconnu l’amène à croiser la route de nombreux individus passionnés ou « doués » pour le dessin. Ce sont autant de raison de penser qu’il n’est qu’au début de son aventure. Que le chemin est encore long, bourré d’embûche, et de plus en plus excitant.
Le réalisme du manga rend la découverte – ou redécouverte – des médias graphiques aussi passionnant que si nous tombions nous-même dedans.
Un cours de dessin en 228 pages
L’art graphique, c’est un terme fourre-tout pour désigner une multitude de techniques, de styles, de genres de dessin. C’est un terme incroyablement abstrait. Blue Period permet de faire le tri. Grâce à l’ignorance du héros, une multitude d’explications techniques nous est donnée. Les plus simples, parfois les plus complexes. Des conseils à prendre au sérieux s’il l’ont veut dessiner. Car en réalité, le dessin, c’est un domaine où il faut beaucoup utiliser sa cervelle.
Blue Period nous offre aussi des explications sur les cursus artistiques au Japon. Assez proches des cursus français. A vrai dire, si en France le dessin et la peinture à huile sont d’élevés au rang d’art rigide, codifié, glorifié, si étroitement mêlé à l’histoire de l’occident, c’est un aspect rarement mis en valeur lorsqu’on parle du Japon. Et c’est une chose curieuse et plaisante de voir un aspect de l’art habituellement passé sous silence abordé de façon si franche et intégré à la culture nipponne.
Flotté dans la peinture
« Les œuvres de Picasso, ça ne me parle pas… » – Yatora
Blue Period a un côté cinéma. On entre dans le manga comme dans un film. Par des scènes d’exposition narrées par Yatora lui-même. Une forme de monologue à cœur ouvert pour un héros qui ignore ses propres désirs. Il nous emmène doucement dans sa vie, posant placidement les bases de son univers.
Puis Yatora plonge dans l’art, exprime ses émotions dans la peinture et devient plus sensible à l’espace qui l’entoure. Cette sensibilité, acquise par des sens doucement aiguisés, rend notre propre vision des paysages plus précise, plus douce.
La mise en page permet une vraie immersion dans les œuvres « classiques » qui nous sont présentées : peinture à huile, peinture japonaise, crayon, fusain… Le style manga est effacé derrière les autres techniques. Quoiqu’elles soient toujours en noir et blanc, on n’a pas de mal à voir la couleur là où elle est pour les personnages. C’est un manga coloré tout en restant en noir et blanc.
Blue Period, une autrice qui renoue avec ses études
Pour réaliser son œuvre, Tsubasa Yamaguchi a reprit contact avec ses anciens professeurs, son ancien lycée et l’université de Geidai où elle a fait ses études. Les œuvres des personnages sont réalisées par d’autres mains que les siennes. Ce qui fait de Blue Period un véritable recueil d’artistes.
Tsubasa Yamaguchi a fait appel à des amis et des étudiants de Geidai pour illustrer les œuvres présentes dans le mangas. L’autrice les a tous crédités.
L’originalité de Blue Period réside là, dans cet échange entre réalité et univers du récit.
Voyage à coup de crayon
Blue Period – – édité par Pika Edition – est un voyage initiatique autant pour les personnages que pour les lecteurs. Il dessine un chemin sinueux entre le héros et son objectif. En cela c’est un shônen.
C’est un manga novateur dans sa forme, immersif dans son récit, addictif grâce à ses personnages. Beau et instructif. D’ailleurs, il collectionne les décorations : Lauréat du prix Manga Taishô 2020 (« grand prix du manga »), sélectionné pour le prestigieux Prix Culturel Osamu Tezuka 2020, 4e au prix des libraires Kono manga ga sugoi ! 2019 (« Ce manga est génial ! ») qui a notamment récompensé L’attaque des Titans d’Hajime Isayama et Spy x Family de Tatsuya Endo.
Blue Period se lit et se relit, se dévore et s’étudie. Je le conseille chaudement, autant pour ceux qui dessinent qu’à ceux qui hésitent. Et encore plus à ceux qui marmonnent « non, mais moi, je ne sais pas dessiner… »
N’hésitez pas ! A vos crayons !
- Blue Period
- Autrice : Tsubasa Yamaguchi
- Editeur : Pika Edition
- Prix : 7,50€
- Parution : 20 janvier 2021
- ISBN : 9782811645380
Résumé de l’éditeur : Yatora est un lycéen studieux à qui tout réussit. Pourtant, il ressent depuis toujours une impression de vide en lui. Jusqu’au jour où, par hasard, il tombe sur un tableau qui le subjugue littéralement… Très vite, Yatora réalise que peindre est le seul moyen de faire passer ses émotions et de se révéler. Cet événement le pousse à se livrer corps et âme à la peinture pour tenter le concours d’entrée de la plus sélective des écoles de Beaux-arts !
À propos de l'auteur de cet article
Marie Lonni
"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !
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