Avec Le Corbeau, les éditions petit à petit proposent une enquête illustrée sur l’affaire Grégory Villemin. Retour sur un fait-divers qui reste aujourd’hui encore l’une des plus emblématiques affaires criminelles françaises.
Ce funeste oiseau noir
Oiseau de mauvaise augure, maléfique mais doué d’intelligence, le corbeau est souvent porteur de mauvaises nouvelles. Son plumage noir, ses yeux jaunes et son bec menaçant occupent la couverture de l’album du même nom, publié cet automne par les éditions petit à petit dans leur collection de docus BD.
Après l’affaire Godard et l’affaire Dupont de Ligonnès, la maison d’édition rouennaise récidive avec Le Corbeau, une enquête dessinée par Grégory Lé, écrite et scénarisée par Béatrice Merdrignac et Tristan Houllemare.
Du harcèlement au meurtre
Le corps du petit Grégory Villemin, quatre ans, est découvert au soir du 16 octobre 1984 dans la Vologne, au centre de Docelles, un village situé à 7 km en aval de Lépanges, là où ses parents, Christine et Jean-Marie ont emménagé trois ans plus tôt. C’est là que très vite ils deviennent la cible d’un corbeau qui les importune eux et d’autres membres de leur famille, par téléphone. On recensera jusqu’à 700 appels. Et comme si cela ne suffisait pas, des courriers sont venus compléter le harcèlement dont ils sont l’objet…
Qui peut bien en vouloir à ce point au couple Villemin? Leur jeunesse (ils ont à l’époque 26 et 24 ans), la réussite professionnelle de Jean-Marie promu depuis 1981 contremaître dans une usine de fabrication de sièges et pièces de voiture, leur pavillon « à quarante briques ».
Indéniablement, le ou les corbeaux semblent vouer une haine sans limites au bonheur de ces deux-là. Jusqu’à tuer le fruit de leur amour.
Un feuilleton national…
Dès le lendemain du drame, ce petit coin des Vosges devient connu de toute la France. Les médias déferlent sur Lépanges et ses environs. Une longue, très longue enquête commence. Et la chasse au scoop a commencé.
Des journalistes peu scrupuleux côtoient les victimes, les suspects, et les influencent. Certains enquêteurs ne sont guère plus scrupuleux, jusqu’au premier juge d’instruction nommé dans cette affaire, certain de trouver la vérité, quitte à manquer de rigueur dans ses démarches judiciaires. Le drame de Lépanges sur Vologne dépasse alors le cadre du faits-divers. Le drame de Lépanges devient dès lors l’affaire du petit Grégory…
Un dossier qui n’est pas refermé
En 1985, parce qu’il croit son cousin Bernard Laroche responsable de la mort de son fils, Jean-Marie Villemin l’abat de plusieurs coups de fusil. La même année, c’est au tour de Christine d’être inculpée de l’assassinat de Grégory… Elle obtiendra un non-lieu en 1993 tandis que Jean-Marie sera condamné à cinq ans d’emprisonnement dont un avec sursis.
Bien d’autres péripéties, rebondissements et coups de théâtre suivront au cours des années. En 2000, l’enquête est réouverte pour une recherche d’ADN sur la lettre du Corbeau reçue en 1983. En 2008, nouvelle recherche. D’autres encore suivront…
Et cette année encore, le 21 mars 2024, la cour d’appel de Dijon a réclamé des analyses sur des traces d’ADN ( neuf d’entre eux encore dans le dossier demeurent mystérieux) et ordonné une audiométrie vocale ayant pour objectif d’analyser la fréquence du Corbeau et de la comparer avec celle des personnes suspectées. Mais pour l’heure, dans le cadre de cet interminable feuilleton judiciaire, tous les protagonistes de cette affaire restent présumés innocents…
Un album ultra-documenté
Les scénaristes du Corbeau s’appuient de manière précise sur les faits. Une généalogie simplifiée de l’affaire ainsi qu’une chronologie des faits débutent cet album. Les quelques 170 pages suivantes ne se lisent pas d’une traite. Chacun des 21 courts chapitres est séparé du suivant par une double page de rédactionnel, sur fond noir, qui redonne au lecteur les repères nécessaires à la compréhension de cet imbroglio.
On chemine alors lentement mais sûrement avec les auteurs dans cette approche d’une vérité encore insaisissable à ce jour. Le trait réaliste de Grégory Lé, au plus près des visages maintes fois montrés dans les journaux ou sur les écrans, ajoute encore à la crédibilité du propos. Reste que ce docu-BD peut se lire comme un polar. Sauf qu’ici, dans ce cas précis, la réalité a pris le pas sur la fiction.
On pourra également ajouter à la lecture de ce Corbeau l’autre album de la rentrée consacrée à l’affaire, Grégory, également très riche, qui a bénéficié de l’apport documentaire de Jean-Marie Villemin en personne.
- Le Corbeau
- Scénaristes : Béatrice Merdrignac et Tristan Houllemare
- Dessinateur : Grégory Lé
- Editeur : petit à petit éditions
- Prix : 19, 90 €
- Parution : 9 octobre 2024
- Nombre de pages : 172
- ISBN : 978238046210
Résumé de l’éditeur : Une famille étendue aux rapports complexes, une région reculée, un corbeau harceleur, des journalistes déchaînés qui mènent leur propre enquête, un jeune juge d’instruction ambitieux qui multiplie les erreurs : tous les ingrédients d’un polar implacable sont réunis ; ils forment pourtant la trame d’un fait divers bien réel… Qui a tué le Petit Grégory ? 40 ans après le drame, le coupable reste officiellement inconnu et le mystère entier. En décortiquant précisément les faits, les personnalités et les enjeux, cet album nous plonge dans la plus mythique des affaires françaises.
À propos de l'auteur de cet article
Jean-Michel Gouin
Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.
En savoir