Le manoir de Chartwell

Enfance volée, tel pourrait être le sous-titre de ce glaçant album de Glenn Head, Le manoir de Chartwell. Dans ce pensionnat américain, des enfants ont été maltraités, humiliés et abusés sexuellement. L’auteur de comics raconte son passage dans cet enfer hors-la-loi. Percutant !

La culture du secret des abus

En 1986, Terence Michael Lynch, le directeur du pensionnat Chartwell dans le New Jersey fut inculpé de plus de 100 chefs d’accusation d’abus sexuels sur 14 élèves mineurs à l’époque. Il purge alors sept de ses quatorze années de peine de prison. En 1997, il en sort mais continue sa prédation en se faisant passer pour un médecin dans un programme d’aide aux personnes dépendantes de l’alcool et de drogues. Il plaide coupable mais décède en 2011 avant d’avoir fini de purger sa peine.

Cet homme psychologiquement instable et détraqué sexuel avait mis en place une vraie emprise sur les adolescents dont il avait la charge. Deux autres membres de la communauté éducative furent aussi reconnues coupables : Peter Ahlers et Pamela Lamar.

Cet institut, Glenn Head, auteur de comics, le connaît bien pour y avoir vécu quelques années. Des années ont lui aussi fut abusé sexuellement. Cette période sombre de sa vie, il la décrit dans Le manoir de Chartwell. Une période qui débute en septembre 1971.

Treize ans, la fin de l’innocence

Ecole privée en pension et demi-pension de Chartwell, dans la ville de Mendham, dans le New Jersey. Glenn est envoyé par ses parents dans cet institut. Il ne travaille pas bien à l’école et redouble sa cinquième. Il faut souligner que l’adolescent est un peu dur et le couple pense qu’en l’envoyant là-bas, il sera remis sur le bon chemin.

Les nouveaux élèves sont accueillis par Terence Michael Lynch, directeur de l’école. Après un discours et un dîner, le responsable passe dans toutes les chambres pour le « bisou du soir ». Le lendemain, il veille à ce que tous les garçons passent sous la douche. Oui, l’homme est un pervers sexuel, qui abuse des adolescents. Son emprise psychologique et physique est forte sur ces enfants innocents.

Glenn est de plus en plus mal. Il ne sait pas comment réagir, surtout que ses parents veulent qu’il continue toute sa scolarité à Chartwell. Ne pouvant pas dire la vérité, il multiplie les bêtises afin de se faire renvoyer. En attendant, son vol de gâteaux est découvert. Il est sanctionné par des coups de la part de « Monsieur », le directeur…

Le manoir de Chartwell : cinquante ans pour délivrer sa conscience

Connu dans le monde de la bande dessinée underground américaine, Glenn Head a notamment publié dans les revues Weirdo et Zero Zero. Il fut également l’élève d’Art Spiegelman à la School for Visual Art de New York.

C’est Robert Crumb qui parle le mieux du Manoir de Chartwell. Pour l’auteur américain de Fritz the Cat, cet album est « un véritable chef-d’oeuvre » parce que « sa sincérité [est] saisissante, son histoire puissante, son introspection impitoyable. » Il a fallu cinquante ans à Glenn Head pour accoucher de cette autobiographie percutante. La plaie était à vif, il fallait un vrai travail sur ce passé pour délivrer cette histoire dramatique bouleversante.

Le manoir de Chartwell : une Catharsis pour exorciser le passé

Pour ses camarades, pour sa famille et ses amis, Glenn Head se devait de raconter tout cela. Son médium, le comics, était idéal pour exorciser ce passé si douloureux. Dans l’album, les humiliations, les coups et les viols sont parfois évoqués, parfois plus explicites.

L’auteur américain expose son passé dans l’institut mais aussi lorsqu’il est plus âgé, une période où la drogue, l’alcool, les prostituées et le sexe sont au cœur de sa vie. Il fait ainsi des allers-retours pour nous délivrer sa vérité sur Chartwell. Ce traumatisme de l’adolescence a construit son existence, une vie déséquilibrée par cette période. On pensera aussi à Comment j’ai tué Pierre d’Olivier Ka et Alfred ou Grand silence de Sandrine Revel et Théa Rojzman, sur cette même thématique, où comment passer au-delà et construire sa vie d’adulte, d’homme et de père ?

Le noir profond permet à Glenn Head de réaliser des très belles planches et ainsi faire du Manoir de Chartwell, un comics qui marque même après avoir refermé ses pages.

Article posté le samedi 28 mai 2022 par Damien Canteau

Le manoir de Chartwell de Glenn Head (Delcourt)
  • Le manoir de Chartwell
  • Auteur : Glenn Head
  • Éditeur : Delcourt, collection Outsider
  • Traductrice : Samantha Goldfarb
  • Prix : 27,95 €
  • Parution : 30 mars 2022
  • ISBN : 9782413043454

Résumé de l’éditeur : « Bienvenus au manoir de Chartwell jeunes gens ! Je vous rappelle que dorénavant vous m’appellerez Monsieur ! » Lorsque Glenn, âgé d’une douzaine d’années écoute le discours de Mr Lynch, le directeur de l’école privée qu’il vient d’intégrer, il ne se doute pas que lui et les autres internes vont vivre un enfer qui détruira leur enfance et marquera aussi, par la suite, leur vie d’adulte.

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.

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