Publié au Japon en 1983, Le voyage de Shuna est une nouvelle d’Hayao Miyazaki mettant en scène un jeune prince parti à la recherche de graines de blé jusqu’alors disparues. Dessinées à l’aquarelle, les superbes planches du maître nous entraînent dans une aventure sombre et belle. Un livre qui annonce Nausicaä et Princesse Mononoké.
Un pays qui se meurt
Un royaume oublié de tous s’est appauvri au fil des années. La faute à une terre stérile qui donne de moins en moins de récoltes d’hiwabié. Récoltes essentielles à la survie des habitants mais également pour nourrir les yakkurus, animaux qui permettent de se déplacer. Malgré leurs efforts, nombre d’entre eux mourraient.
“Belle et impitoyable était la nature.”
Parmi les habitants du royaume, il y a Shuna, le jeune prince. Brillant et bienveillant, le futur héritier du trône se rappela les sages paroles d’un vieux voyageur. L’homme lui présenta des graines inconnues de Shuna. Une plante que l’on ne trouvait dans une lointaine contrée à l’ouest.
Partir pour sauver son peuple
Ses mots résonnèrent encore dans la tête de Shuna. Il n’en fallut pas plus pour décider le prince à tenter de trouver ces graines afin de sauver son peuple.
Très légèrement armé et à dos de son yukkaru, le prince part seul pour un voyage de tous les dangers.
Après un mois de voyage, Shuna découvre un navire fait de bois et de pierre au milieu du désert. Une mystérieuse femme lui indique alors comment y pénétrer. Mais la nuit ne fut pas de tout repos…
Le voyage de Shuna, superbe conte initiatique du maître Miyazaki
Si l’on ne pas vraiment dire que Le voyage de Shuna est un manga, on peut y entrevoir des codes communs. En cela, ce livre est plutôt un conte fantastique illustré.
Hayao Miyazki est avant tout connu et reconnu internationalement par ses films d’animation. Une douzaine parmi lesquels Le château ambulant, Princesse Mononoké, Porco Rosso, Le château dans le ciel ou Le voyage de Chihiro. Sans oublier la dizaine de courts-métrages ou son travail sur des séries animées comme Conan le fils du futur ou Sherlock Holmes.
L’auteur et réalisateur japonais né en 1941 a publié Le voyage de Shuna en 1981 dans la prestigieuse maison d’édition Animage. Une fable onirique imaginée à la même période que ses premiers longs-métrages d’animation et la création du studio Ghibli.
Le voyage de Shuna, aux confluences du Tibet
Hayao Miyazaki s’est inspiré de Le prince qui a été transformé en chien, une légende tibétaine pour créer Le voyage de Shuna. Ce conte épique semble être le plus sombre du maître mangaka.
Il imagine un royaume qui se meurt par la faute des êtres humains. Une terre aride et des plantes qui ne poussent plus, comme si la nature devenait hostile à l’homme de part sa non reconnaissance envers elle. L’Homme serait en opposition à la nature. Des êtres mus par l’avidité de l’argent et qui détruisent tout sur leur passage, y compris les richesses terrestres. En cela, Le voyage de Shuna est moderne, proche d’une écologie de combats. Un thème cher à Miyazaki.
Mais parmi ces hommes, Shuna serait la lumière, l’espérance de tout un peuple. Ce jeune prince bon et bienveillant prêt à mettre sa vie en danger pour sauver ses congénères. La valeur n’attendant pas le nombre des années, il part seul à la recherche de graines pour les ramener chez lui. Son compagnon de route Yakkul, un yukkaru, sorte de cheval-bouquetin, qui ressemble à la monture de Princesse Mononoké.
Écologie, esclavage et dangers
S’il n’y avait que le voyage, Le voyage de Shuna serait inintéressant. Hayao Miyazaki, par ses thèmes de prédilection, apporte de la chair à son récit avec notamment Théa. Cette jeune fille est une esclave sauvée par Shuna. Si le jeune prince ne l’avait pas arrachée aux griffes de ses tortionnaires, elle aurait été sacrifiée pour contenter les hommes-dieux.
Ensemble, ils poursuivent leur route parsemée de dangers pour recueillir les plantes et les graines de ce blé doré faiseur de miracles. L’entraide serait alors la seule alternative pour contourner les obstacles.
Le voyage de Shuna, de la beauté des aquarelles
La version anglaise du Voyage de Shuna a remporté un Eisner Award de la meilleure édition américaine d’une œuvre internationale en 2023. Une récompense également fondée sur la très belle partie graphique d’Hayao Miyazaki.
La forêt et les grands espaces sont sublimes sous les pinceaux du mangaka. Si le récit est découpé comme une bande dessinée avec des vignettes, il y a peu de dialogues mais beaucoup de récitatifs, comme dans les contes. Les cases sont comme de merveilleux tableaux qui s’ouvrent à nos yeux. Les géants en ruine sont sublimes.
Le maître du mouvement impulse de la vie dans ses pages. Notamment par des personnages ressemblant à ceux de ses films d’animation. Ainsi, Shuna à de faux airs de Nausicaä. Tant sur le plan moral que graphique.
Nausicaä de la Vallée du vent, pourtant sorti en 1984, est concomitant avec Le voyage de Shuna. Hayao Miyazaki travailla sur les deux œuvres en même temps. Ce livre fut créé à partir de 1980. Ainsi, comme le souligne Alex Dudok de Wit, le traducteur de la version anglaise, dans la postface : “Il n’est pas surprenant que Nausicaä (le manga comme le film) et Le voyage de Shuna partagent les mêmes décors et des préoccupations similaires : des paysages désertiques, de vastes structures sépulcrales, la raréfaction des ressources naturelles, la figure d’un monarque protégeant son royaumes battus par les vents.”
Édité par Sarbacane, Le voyage de Shuna transportera les amoureux de Miyazaki dans une contrée lointaine, entre écologie, dangers, vies à sauver et dessin merveilleux. Un livre à posséder dans sa bibliothèque !
- Le voyage de Shuna
- Auteur : Hayao Miyazaki
- Traducteur : Léopold Dahan
- Éditeur : Sarbacane
- Prix : 25 €
- Parution : 1er novembre 2023
- Pagination : 160 pages
- ISBN : 9791040804444
Résumé de l’éditeur : Shuna, le prince d’une contrée pauvre, regarde impuissant ses sujets souffrir en permanence de la faim et se tuer à la tâche pour tenter de faire pousser des céréales que leur terre, stérile, leur refuse. Un beau jour, un voyageur lui parle d’une graine dorée miraculeuse qui fait onduler les plaines en vagues fertiles. Elle provient d’un pays, loin à l’Ouest, peuplé d’esprits et hostile à l’homme, dont nul n’est jamais revenu. En dépit des soupirs des anciens et des larmes de ses parents, Shuna empacte ses affaires et se lance, sur son fidèle yakuru, vers cet Eldorado dans l’espoir d’y trouver de quoi sauver son peuple. Sur le chemin, il libère une jeune esclave, Théa, et sa petite soeur, retenues prisonnières par des trafiquants d’hommes. Poursuivis par leurs ennemis, Shuna confie les deux filles à son yakuru qui les emmène vite vers le Nord, tandis qu’il continue, à pied, vers l’Ouest. Quand il atteint enfin la terre des êtres divins, ce qu’il y voit le changera à tout jamais. Théa reverra-t-elle un jour Shuna ? Ramènera-t-il chez lui la précieuse céréale ?
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
En savoir