L’eau. L’eau le bien le plus précieux sur terre. L’eau symbole de vie. L’eau symbole de conflits. L’eau symbole de rapprochements. L’eau symbole d’éloignements. Ce liquide passant dans des pipelines est au cœur du magnifique album de Nicolas Presl, Les jardins de Babylone. Politique et beau !
Pipelines serpentant dans le désert
Des milliers de kilomètres de tuyaux acheminent l’eau dans une région désertique. Des milliers de kilomètres de tuyaux pour la vie. Des milliers de kilomètres de tuyaux pour transporter ce bien primaire le plus important.
Des milliers de kilomètres de tuyaux depuis la mer jusqu’au champs à irriguer. Des milliers de kilomètres de tuyaux pour aller jusqu’à l’usine d’embouteillement. Des milliers de kilomètres de tuyaux pour ouvrir des vannes sur l’existence.
L’eau, La soif et la faim
Ces pipelines sont là pour étancher la soif et nourrir les Hommes. Ces milliers de litres d’eau déversés sur des choux pour qu’ils puissent grandir.
Si l’eau est un bien précieux pour la vie, les choux sont le gagne-pain de ces quelques ouvriers. Les protégeant comme la prunelle de leurs yeux, ils n’hésitent pas à user de leur fusil sur ces pauvres hères affamés. Le sang de la vie se mélange alors à l’eau de la vie.
« Mets de l’eau dans le plat, et tu verras par où elle coule. »
[proverbe danois]
L’eau et la révolution
Pendant que des jeunes activistes tentent de reprendre leurs biens : l’eau et la liberté, de grands bourgeois qui dirigent le pays regardent les images de ces révolution sur grand écran avec un détachement si coupable. L’eau réunit les Hommes, l’eau éloigne les Hommes.
Entre les balles qui fusent, l’armée, les tuyaux percés volontairement, les tenants de la liberté, les plantes, les légumes, les bouteilles, les piscines ou les bains, l’eau est là belle, puissante et rare.
Les jardins de Babylone : grande œuvre politique
L’eau s’infiltre dans toutes les couches de la société. Elle serpente, elle vivifie, elle tue. A travers Les jardins de Babylone, Nicolas Presl livre une œuvre imminemment politique, un album portrait d’une société qui se fracasse sur l’autel du bien le plus précieux sur terre.
Même si Les jardins de Babylone comporte des lueurs d’espoirs et de l’humour, cette bande dessinée est la plus sombre et la plus pessimiste de l’auteur français. Il dépeint des anonymes aux vies si disparates et opposées, entre révolutionnaires qui grondent et élite qui règne sans partage. Des activistes épris de libertés opposés à cette oligarchie qui continue de boire et danser alors que la fronde s’intensifie. Les inégalités sont criantes entre ces deux mondes si proches physiquement mais si loin moralement.
Et au milieu coule une rivière
Dans cet endroit désertique, l’eau est scrutée et protégée avec ardeur. Coulant dans des pipelines comme au milieu d’une rivière, elle permet de cultiver les champs arides et étancher la soif.
Entre fable prémonitoire et récit de science-fiction, Les jardins de Babylone est une bande dessinée sans texte d’une grande force narrative. Comme dans ses précédentes publications (Orientalisme, Levants, Priape), Nicolas Presl est bavard. Ses magnifiques planches à l’encre racontent plus qu’elles le voudraient au premier coup d’œil. Parfois foisonnantes, parfois épurées, les vignettes virevoltent sur les pages. Quatre cases, gaufriers ou pleines-pages, son découpage nous invite à le suivre dans ce pays fictif qui ressemble à tant de ceux sur Terre. Le rythme est parfois soutenu – on enchaîne les cases – parfois plus lent – pour prendre le temps de réfléchir – ce qui permet de goûter tout le sel de cette bande dessinée.
Les intrigues semblent indépendantes mais avec une grande habileté, Nicolas Presl les interconnecte pour délivrer une histoire poignante courant sur 328 pages. Les femmes et les hommes aux quatre coins de ce pays interagissent sans parfois le savoir, et ça c’est fort !
Les jardins de Babylone : encore un merveilleux récit de Nicolas Presl, entre fable politique, conte poétique et chronique de science-fiction. Et de l’eau, beaucoup d’eau, l’eau symbole de vie…
« La force de l’eau vient de la source. »
[proverbe persan]
- Les jardins de Babylone
- Auteur : Nicolas Presl
- Éditeur : Atrabile
- Prix : 29 €
- Parution : 06 novembre 2020
- ISBN : 9782889230952
Résumé de l’éditeur : La Terre paraît bien loin, vue de la Lune, et bien paisible. On n’y distingue pas les longs pipelines qui strient des sols arides et transportent son bien le plus précieux ; on ne devine pas la sécheresse qui sévit ni les malheurs qu’elle engendre ; on n’y entend pas les plaintes des moins fortunés, ni l’oppression que ces derniers subissent, même si la colère gronde, et enfle, inexorablement. Sur la Lune, on ne souffre pas de tout ça, même si on reste tributaire de la Terre et de son eau, que l’on fait importer dans d’énormes containers volants. Il faut aussi, bien sûr, être plus riches et plus puissants que le reste de l’humanité pour mériter cette place de choix sur ce triste satellite, devenu refuge de l’élite mondiale. Politique et poétique, Les Jardins de Babylone use d’une narration à plusieurs voix, où de plus courts chapitres viennent s’enchâsser dans un récit plus grand et plus tortueux. Nicolas Presl dresse alors le portrait d’une humanité minée par ses inégalités et par l’arrogance d’une minorité qui s’arroge tous les droits, même si avidité et égoïsme semblent se retrouver dans toutes les couches de cette société en péril. Entre fable prémonitoire et pur récit de science-fiction, Les Jardins de Babylone refuse tout manichéisme et empoigne à bras-le-corps la complexité du monde et des sentiments humains – et si le constat peut paraître parfois un peu sombre il n’est, heureusement, pas complètement dénué d’espoir, ni d’humour.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.
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