Les voyages de Kitaro : L’imaginaire lui va si bien

Depuis 2007, les éditions Cornelius ont mis le doigt sur les aventures de Kitaro du mangaka Shigeru Mizuki. Après Kitaro le repoussant, l’éditeur nous propose cette fois de profiter des voyages zinzin de cette superstar de la pop culture Japonaise. 

OPERATION MIZUKI

Célébré cette année à Angoulême, Shigeru Mizuki est à l’instar d’Osamu Tezuka, l’un des pères fondateur du manga moderne. Son travail se partage entre œuvres à l’imaginaire puissant (Micmac aux enfers, Mon copain le Kappa, 3 rue des Mystères…) et histoires autour de sujets qui l’ont directement touché, notamment la guerre (Non Non Bâ, Opération Mort ou encore Hitler). 

Mizuki est enrôlé dans l’armée japonaise durant la Seconde Guerre mondiale. Il va y vivre un véritable cauchemar. En 1942, lors du conflit que mena le Japon dans l’actuelle Papouasie-Nouvelle Guinée, il voit la plupart de ses camarades mourir au front, perd son bras gauche dans un bombardement et contracte la malaria. Son bras gauche est celui avec lequel il écrit et dessine, au sortir du conflit il va donc devoir tout réapprendre. Ce n’est qu’en 1957 qu’il se décide à entamer une carrière de mangaka, lui qui montrait dès son plus jeune âge une réelle aptitude pour le dessin.

Il débute en reprenant à la demande de l’éditeur le titre Kitaro du cimetière. Kitaro le Repoussant, qui est son manga le plus célèbre au Japon, sera la deuxième série à se mettre en oeuvre. Elle voit le jour à une époque où des auteurs anoblissent la bande dessinée japonaise, média longtemps relégué au rang de divertissement mineur. Mizuki prend le train en cours de route mais il sait imposer sa griffe, ce dessin qui mêle tous les artifices qui préfigure le manga d’aujourd’hui (autodérision des personnages, yeux exorbités etc…), un dessin rond à la manière de Tezuka et qui va surtout officier dans le genre de l’horreur.

KITARO EN VADROUILLE

En France, l’œuvre de Mizuki est éditée par Cornelius qui fait encore et toujours un travail éditorial remarquable. Si Kitaro du cimetière n’a pas encore trouvé son chemin dans nos contrées, Kitaro le Repoussant est édité en 11 volumes depuis 2007 parmi de nombreuses autres ouvagres du mangaka. Véritable phénomène culturel, l’univers de Kitaro a régulièrement été décliné en film d’animation, live, jeux vidéos, figurines, touchant plusieurs générations de Japonais ou « pas un enfant ne grandit sans dévorer ses aventures » selon l’éditeur. S’il est aussi populaire, c’est en partie parce que le public de l’époque fut séduit par ces histoires issus de leur folklore, pile au moment où les États-Unis écrasaient culturellement tout en vendant leurs divertissements de masse au monde entier.

Avec Kitaro, Mizuki a réintroduit dans l’esprit des Japonais le mythe des yokaïs, ces créatures surnaturelles issues des légendes Japonaises. Dans la série, Kitaro est un gamin chargé de résoudre les conflits qui opposent les humains à ces créatures hors du commun. Voulu comme une sort de spin-off au bloc Kitaro le repoussant, Les Voyages de Kitaro, toujours proposés aux éditions Cornelius, racontent ces mêmes combats. Sauf que vous l’aurez compris, cette fois Kitaro s’extirpe des frontières Japonaises. Sortie en deux volumes entre février et juin de cette année, ces nouvelles histoires donnent à voir un savoureux mélange de références populaires horrifiques autant qu’un vrai éveil de l’imaginaire. 

DE VOJANOÏ A DRACULA

Dès le premier volume, Kitaro quitte le Japon, incapable de tuer Baku, un yokaï surpuissant. Il embarque pour ses aventures à bord d’un radeau avec Ratichon, personnage peu recommandable. Ils sont tous les deux le Ying et le Yang, le noir se mélangeant au blanc et le blanc au noir et ils représentent l’âme de l’œuvre. Ils se marient à merveille, sont aussi attachants que repoussants. En plus de cette fouine de Ratichon, Kitaro fait équipe avec une bande de losers magnifiques incarnée par Papa Oeil, son père et ange-gardien, Simoune, un yokaï-sorcière, Vieux-poupon, Coton Volant et L’emmureur, un yokaï qui a pris la forme d’un espèce de gros bloc de ciment.

Extrêmement attachants de par leur humanité, ils sont maladroits, vite pris au dépourvu, s’entraident, soutiennent Kitaro dans ses affronts et ce malgré leur pouvoirs qu’ils savent limités. Sauf évidemment cette serpillère de Ratichon qui ne peut jamais s’empêcher de tirer la couverture à lui. Son aspect fanfaron de comptoir (pets foireux y compris) fait qu’on lui pardonne à peu près tout. Tout le temps. 

D’une manière générale, le bestiaire de Kitaro recense des créatures existantes dans les mythes, mais adaptés de façon détournée pour les besoins du manga. S’il est donc bien question de yokaïs en pagaille, Kitaro et ses amis affrontent aussi des monstres issus de la culture populaire mondiale tels la créature de Frankenstein, Dracula ou encore la Momie. La dimension spirituelle s’amoindrit de temps à autre et fait place à un très beau panel de personnages haut en couleurs sombres. On ne sait jamais quel va être l’ennemi de l’histoire, ni sa puissance. A ce propos, les pages d’introduction de certaines histoires sont à tomber tant visuellement que par leur pouvoir de suggestion. Mention spéciale à Vaudou, tout en monstruosité folle à la limite du psychédélire.

GRIVOISERIES OCCULTES

A la lecture, la dichotomie, semble-t-il assez caractéristique de l’œuvre du mangaka, saute aux yeux. Celle qui confronte horreurs et douceurs, contes grivois tordants et intrigues à la forte dimension occulte. Dans ses combats, Kitaro fait face à des monstres dont le pouvoir pourrait vite amener son lot d’atrocités bien gorette. Certains agissent au nom de la méchanceté la plus pure, d’autres uniquement parce que Ratichon est venu mettre son boxon et que naturellement ils défendent leur bout de gras. Kitaro est parfois avalé, recraché, Ratichon dévoré par une horde de zombies, Papa-Oeil déchiqueté. Ce qui pourrait apparaitre comme un ensemble à justement ne pas mettre sous toutes les pupilles s’avèrent grâce au ton et au dessin de Mizuki relever d’une légèreté bienvenue. Comme un épisode de la série Anglaise Doctor Who, les aventures de Kitaro et ses amis deviennent dès lors une ode à un imaginaire polymorphe niché dans le creuset d’un trait simple mais jamais simpliste, tout en force et efficacité, maitrise et diversité.

Je ne connaissais Kitaro ni de sa casquette ni de ses cheveux dangereux. Ces voyages sont ma première approche dans l’univers de ce gamin courageux. Si le premier volume fait état de lieux divers et variés, le second nous plonge directement dans une Europe fantasmée et devient encore plus délicieux, passant par Rome, Paris ou encore l’Angleterre. La lecture de ces deux volumes évoquent bien des plaisirs: celui de garder son âme d’enfant dans un monde adulte corrompu, critiqué en filigrane par Mizuki, celui de découvrir un monstre et ses particularités, de sauter de surprises en surprises et de vivre milles aventures avec une bande de joyeux drilles, de s’évader dans des fantasmes qu’ils soient d’enfants ou d’adultes, de les voir se concrétiser et autant que nos héros, de voyager tant spirituellement que géographiquement. Tout simplement. 

Article posté le jeudi 27 octobre 2022 par Rat Devil

Les voyages de Kitaro de Shigeru Mizuki (Cornélius)
  • Les Voyages de Kitaro volumes 1 & 2
  • Auteur : Shigeru Mizuki
  • Editeur : Cornelius
  • Prix : 16,50€
  • Parution : Février/Juin 2022
  • ISBN : 9782360811946

Résumé de l’éditeur : Kitaro prend le large et embarque à bord d’un modeste radeau pour découvrir de lointaines contrées inexplorées. Accompagné par ses fidèles amis Ratichon et Papa Oeil, il devra faire preuve d’ingéniosité et de malice pour désamorcer les situations rocambolesques dans lesquelles les yôkai savent si bien plonger les humains.

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