Mal de mère

Rodéric a neuf ans lorsqu’il apprend que sa mère est alcoolique. La petite vie simple et parfaite de cette famille bascule alors cette année-là. L’alcool prend de plus en plus de place, isole la famille jusqu’à la fin inexorable de cette institutrice. Edité par Soleil, Mal de mère raconte de façon autobiographique ces quinze années difficiles : un récit dur et bouleversant de Rodéric Valambois.

UNE FAMILLE CLASSIQUE HEUREUSE

La famille de Rodéric habite dans le Nord de la France dans un petit pavillon de banlieue près de Lens. Le père, ancien professeur d’histoire-géographie, travaille dans la culture autour des livres. L’homme barbu, un peu distant et froid avec ses enfants, rejette tous les codes de la société moderne : pas de magnétoscope, pas de cinéma américain, pas de vêtements de marques, ni de bonbons à foison. Pour lui, le salut ne viendra que par les études.

Claudette, la mère est institutrice en maternelle, plutôt aimante, avant de sombrer : c’était une bonne mère, ayant transmis de belles valeurs morales à ses enfants. En plus de Rodéric, il y a Cédric, l’aîné, un peu bourru, râleur et qui passe son temps devant la télévision, ainsi que la benjamine, qui aime jouer à la poupée.

Cette belle harmonie est mise à mal le jour où sa sœur apprend à Rodéric que sa mère est alcoolique. Elle a découvert de nombreuses bouteilles cachées çà et là dans le maison. Alors que les autres membres de la famille sont au courant, le petit garçon tombe des nues. Jusqu’à présent, les enfants s’inventaient des trucs pour se cacher de la vérité lorsqu’ils tombaient sur une bouteille : ils se disaient qu’une cachée dans le linge, c’était un truc de grand-mère.

UN COUPLE A L’ANCIENNE

C’est un couple à l’ancienne : en plus de son métier d’institutrice, elle doit s’occuper des tâches ménagères, tandis que lui passe son temps à lire, à travailler. Ce ménage chronophage, elle s’en servira d’excuses pour expliquer son alcoolisme, rejetant la faute sur le reste de la famille qui ne l’aide pas. Dépassée physiquement par son travail et sa vie de femme, elle s’isole de plus en plus, trouvant du réconfort dans les litres de boissons ; enfin le croit-elle.

Ces moments-là sont ponctués de violentes disputes dans le couple. Le soir quand les enfants sont couchés, le ton monte, les reproches, la violence verbale et les pleurs.

LENTE DESCENTE AUX ENFERS

A la fin de sa vie, la mère de Rodéric buvait 2 à 3 bouteilles d’alcool fort par jour. Cette lente descente vers les enfers est visible de tous : chutes dans les escaliers, dépression, méchanceté ; la femme en voulait alors à la Terre entière. Si la femme s’isole, elle entraine avec elle sa famille. Pour la protéger, son mari et ses enfants ne sortent plus parce qu’ils ont peur du regard des autres, ils ont honte. Leur vie se résume alors aux médecins, aux hôpitaux et aux ambulances. Entre les cures de désintoxication et une grand-mère maternelle protectrice de sa fille, la vie est dure à la maison. Faire comme si de rien n’était, n’est pas le plus simple.

Rodéric devenu adolescent (parti de chez lui pour suivre des études d’arts graphiques) la découvre alors vieillissante et se transformant physiquement quand il revient les week-ends.

DES PROPOS TRÈS DURS

Le récit de l’auteur de Murder et Scoty (Paquet) est d’une grande dureté, tant dans les mots que dans les gestes. Il faut parfois relire plusieurs fois les mots de cet enfant de 9 ans contre cette mère qu’il ne reconnaît plus, pour en comprendre le sens qu’il y a mis. Afin d’exorciser sa peur, pour être le moins possible touché, il se réfugie dans des répliques d’une grande force. Celle qui se plaçait toujours en victime, il la renvoie sans ménagement. En plus des nombreuses tâches ménagères, elle lui expliquera, sans filtre, que si elle boit c’est parce que ses accouchements ont été très durs. Quelle violence pour un petit garçon que d’entendre cela.

Bouleversant et extrêmement fort, il n’épargne rien aux lecteurs, sans jamais donner de leçon. Il en faut pourtant du courage pour raconter un pan de sa vie si délicate. A l’instar de (a)mère de Raphaël Terrier (La Boîte à Bulles, 2004), il met en lumière un sujet encore tabou en France avec une très grande justesse dans ses propos. Parfois même, le lecteur est aux bords des larmes.

UN RÉCIT POUR RÉHABILITER SA MÈRE

Il a néanmoins attendu que sa grand-mère disparaisse pour livrer son récit. Il veut réhabiliter sa mère dans toute sa grandeur ; raconter l’histoire d’une femme en prise avec ses démons mais qui était une bonne mère, ne voulant pas uniquement résumer sa mère à l’alcoolisme. Celui qui en 15 ans n’aura finalement jamais vu sa mère boire, apporte un témoignage dérangeant et poignant sur une construction de vie peu banale.

Article posté le samedi 27 juin 2015 par Damien Canteau

Mal de mere fait partie des coups de coeur des BD parues en 2015 pour Comixtrip, le site spécialisé en bande dessinée
  • Mal de mère
  • Auteur: Rodéric Valambois
  • Editeur: Soleil, collection Quadrants
  • Prix: 18.95€
  • Parution: 16 juin 2015

Résumé de l’éditeur : L’histoire relate 20 ans de notre vie. J’en suis le témoin et je raconte comment une famille heureuse devra renoncer à tout ce qui la construisait, perdre pied, devenir peu-à-peu une famille de cas sociaux. Je rends compte de l’évolution de chacun des membres de notre famille, pas seulement de celui de ma mère. Mon père qui s’est rapproché de nous par nécessité. Moi qui me suis endurcis pour me protéger. Mon frère qui, plus tard, deviendra un homme assumant ses responsabilités. Ma soeur qui n’aura connu notre mère qu’en état de dépendance, contrairement à mon frère et moi-même. Ma mère qui, je ne sais pourquoi, a lâché prise, le cerveau bouffé et le corps bouffi. Et puis les autres : les tantes, grand-mères, amis, commerçants, médecins, psychiatres, policiers, ceux qui faisaient souvent mine de ne rien voir, nous tournant le dos, nous jugeant, et ceux qui, parfois, nous comprenaient et nous aidaient. J’ai écrit cela en n’épargnant personne, mais sans acharnement. S’il y a des jugements, il n’y a pas de morale. Chacun a sa part d’ombre et d’humanité. R.V.»

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

En savoir