Meurtre télécommandé

M. Jones, un gros patron de la côte Sud du Maine a été assassiné. Le mobile ? Inconnu. Des suspects ? Quatre. L’arme du crime ? Un avion télécommandé. Janwillem Van de Wetering et Paul Kirchner nous convient à une partie de Cluedo surréaliste dans Meurtre Télécommandé, paru chez Tanabis.

MEURTRE TÉLÉCOMMANDÉ : WELCOME TO VACATIONLAND !

Même les grands patrons ont besoin de repos. Et M. Jones, qui travaille dur à implanter une raffinerie de pétrole sur les côtes immaculés du Maine ne fait pas exception. Alors, le samedi, pour se changer les idées et entrer en communion avec cette nature qu’il détruit du lundi au vendredi, il part à la pêche dans son canot à moteur. Perdu dans ses pensées, ce sympathique personnage observe le moindre frémissement du bouchon. Le son de la nature l’enveloppe : le vent dans les grands arbres non loin et le clapotis des vaguelettes que seuls viennent perturber les éclaboussures provoquées par les canettes de bière qu’il jette à l’eau une fois qu’elles sont vidées. Lorsqu’un poisson vient à mordre à l’hameçon, il le ramène à portée de main avec énergie et un ou deux jurons. Puis, il lui fracasse la tête contre le banc arrière du canot.

Pour M. Jones, les samedis dans le Maine ont un petit goût de paradis.

QUAND UN MEURTRE TÉLÉCOMMANDÉ ABOLIT LE HASARD.

Mais soudain, dans le ciel immaculé, un avion télécommandé apparaît, bien décidé à troubler la quiétude de M. Jones. Malgré ses modestes dimensions, la gueule menaçante dessinée sur sa carlingue laisse deviner ses intentions. Et après deux ou trois tours de reconnaissance, il fond sur sa proie. La première tentative a raison du couvre-chef de M. Jones et le blesse à la main. La seconde, plus précise, le percute en plein front et le tue sur le coup.

« Qui ? » s’était demandé M. Jones, quand il le pouvait encore. Ç’aurait pu être n’importe qui, tapi sur la côte. Qu’y voit-on ? Quatre maisons, qui dominent la baie. Qui y vit ? Les propriétaires ne seraient-ils pas des suspects idéaux ?

Telles sont les questions. Hé bien Janwillem Van de Wetering et Paul Kirchner comptent bien y répondre. Mais à leur manière…

L’AVENTURE D’UNE ÉCRITURE.

Un Meurtre… Quatre Suspects… Un enquêteur…

À l’image du formidable coup de crayon Paul Kirchner, tout semble précis, épuré et presque simple. Et lorsqu’on pose les yeux sur Meurtre télécommandé, on est tout d’abord fasciné par la clarté des planches. Elles paraissent s’étirer grâce aux perspectives profondes portées par les angles de bâtiments tracés au cordeau.

Ainsi, on se laisse guider. Et il est vrai qu’on suit avec plaisir l’intrigue qui se déroule sous nos yeux de manière linéaire. Les dessins sont sublimes, la maîtrise du noir et blanc est remarquable et les pointes d’humour touchent au but.

De plus, la structure est limpide. Elle pourrait même se résumer à une série d’entrevues entre les divers protagonistes. Encore une fois, tout est simple.

Et dans un premier temps, on s’amuse à repérer les références à la pop culture qui parsèment çà et là Meurtre télécommandé. Ainsi, on reconnaît Clarke Gable dans Steve Godrich, un acteur mégalomane. Son majordome ressemble à Erich von Stroheim. Et Valérie Curtin, la mystérieuse « dame aux herbes magiques » a les beaux traits de Maud Adams, la légendaire interprète d’Octopussy.

Mais avec Janwillem Van de Wetering et Paul Kirchner, on le comprend aussi bien vite, simple ne veut pas dire simpliste. Et la clarté apparente devient rapidement un moyen d’accéder à la clairvoyance. D’ailleurs, il faut bien peu de pages au lecteur pour qu’il réalise qu’il ne lit pas un simple polar. Mais pour apprécier l’œuvre à sa juste valeur, il faudra s’impliquer et accepter d’embarquer dans une aventure unique par-delà le réel.

UNE MACHINE À CHAVIRER L’ESPRIT.

Tout est né de la rencontre fortuite entre Janwillem Van de Wetering et Paul Kirchner. Le premier est un auteur néerlandais né dans les années 30. Traumatisé par la montée du nazisme en Europe, il passera sa vie à chercher des réponses, que ce soit en Colombie, en Afrique du Sud ou dans un monastère bouddhiste zen au Japon. Le second, nous le connaissons : il est le créateur de Dope Rider. De leur amitié, naîtra Meurtre télécommandé.

Il est difficile de caractériser cette œuvre. Un polar, certainement. Mais en plus, c’est une bande dessinée qui invite à voir, derrière les apparences, ce que la conscience occulte.

Jim Brady, le détective en charge de l’enquête en a la capacité, le don pourrait-on presque dire. Et c’est grâce à cela qu’il parvient à résoudre les enquêtes. Mais dans le même temps, et c’est en ça que l’œuvre fascine, le personnage est aussi l’allégorie de cette réflexion artistique surréaliste qui a passionné les deux artistes. « Activer le troisième œil », « utiliser la méthode paranoïaque-critique », « accéder aux idées hypnagogiques ». Les termes diffèrent, mais ils ont un point en commun : ils consistent à laisser libre cours au subconscient. Et Janwillem Van de Wetering et Paul Kirchner nous invitent à découvrir ce que ces procédés donnent lorsqu’on les applique à la bande dessinée.

DE L’INTÉRÊT D’UNE ÉDITION BIEN PENSÉE.

Dans l’excellente postface que les éditions Tanabis retranscrivent avec une grande fidélité, Paul Kirchner dévoile la genèse de l’œuvre. Avec une grande sincérité, l’artiste donne des clés nécessaires à la compréhension. Bien entendu, le surréalisme y tient une part importante, mais avec malice, Kirchner ne dit pas tout. Il laisse le lecteur rechercher les indices, à l’image de ce que fait Jim Brady dans l’œuvre.

 

Sans jamais tomber dans le délire psychédélique incompréhensible, Janwillem Van de Wetering et Paul Kirchner réalisent une œuvre parfaitement pensée et maîtrisée. Par un usage mesuré et réfléchi d’un surréalisme au service de d’une intrigue, les deux artistes réalisent une œuvre fascinante qui constitue indéniablement une expérience graphique. On connaissait le Nouveau Roman et le Nouveau Théâtre, avec Meurtre télécommandé, Janwillem Van de Wetering et Paul Kirchner nous présentent la Nouvelle Bande Dessinée.

Article posté le vendredi 02 décembre 2022 par Victor Benelbaz

Meurtre télécommandé de Janwillem Van de Wetering et Paul Kirchner (Tanabis)
  • Meurtre télécommandé.
  • Auteur : Janwillem Van de Wetering
  • Dessinateur : Paul Kirchner
  • Traducteur : Patrick Marcel
  • Editeur : Tanabis
  • Prix : 23 €
  • Parution : 04 novembre 2022
  • ISBN : 9782848410708

Résumé de l’éditeurMaine, années 1980. Une galerie de personnages hauts en couleur habite autour d’une baie calme et préservée. M. Jones, magnat du pétrole qui projette d’y implanter une raffinerie, est assassiné par un avion télécommandé lors d’une partie de pêche. Qui a tué Jones ? M. Kane, le paysan du cru qui voit les nouveaux arrivants d’un mauvais oeil ? Valérie, l’ancienne fille de joie reconvertie dans le jardinage, mais également un peu sorcière ? Joe McLoon, le desperado retranché, entouré de motos, d’armes et de maîtresses ? Ou encore Steve Goodrich, l’acteur hollywoodien à la retraite pour qui le monde est un plateau de tournage ? Les suspects ne manquent pas et chacun a son mobile. Soumis au regard scrutateur et aux pouvoirs psychiques de l’inspecteur Jim Brady, chacun à son tour va révéler les secrets de son inconscient, permettant au lecteur d’assembler les différents morceaux de l’intrigue. Fruit d’une collaboration entre Paul Kirchner et l’auteur de polars néerlandais Janwillem Van de Wetering, Meurtre télécommandé est initialement publié aux États-Unis en 1986 et reste à ce jour le seul récit long du créateur du bus et de Dope Rider. Le scénario, écrit sur mesure, dissèque l’âme américaine et met au jour ses tiraillements et ses contradictions. Il permet aussi à Paul Kirchner de donner corps aux visions de Jim Brady via des séquences hallucinatoires déclinées dans de spectaculaires splash pages. Elles nimbent l’enquête d’une atmosphère mystérieuse qui n’est pas sans évoquer la série télévisée Twin Peaks, sortie quelques années plus tard.

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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