Moi menteur

Avec Moi menteur, Antonio Altarriba et Keko achèvent leur trilogie du Moi. Ce dernier opus nous plonge dans les coulisses, pas toujours légales, de la politique. Cet album au vitriol est un vrai portrait de la scène politique espagnole. Passionnant et glaçant.

Parti pourri jusqu’à l’os

Dans Moi menteur, Antonio Altarriba brosse le portrait peu élogieux de membres du Parti démocratique populaire espagnol. On y découvre des magouilles financières, des meurtres d’opposants, du pinkwashing, femme et maîtresse, réseaux d’influence et conseiller qui louvoie habilement.

Ce conseiller, c’est Adrian Cuadrado. Ayant des pouvoirs immenses dans le PDP, il agit en sous-main pour faire ou défaire les candidats aux postes locaux ou nationaux. Il gère tout, notamment la communication du parti. Il ne laisse rien au hasard notamment pour cacher au public les faits illégaux de son mouvement politique. Mentir est une deuxième peau chez Adrian.

Candidat à l’élection présidentielle

En plus de mentir dans le parti et en dehors, Adrian est un vrai menteur dans sa vie privée. Entre sa belle vie de famille (une épouse et deux filles) et sa maîtresse à Madrid, sa double vie n’est pourtant connue de personne. Mais depuis quelque temps, sa femme et ses enfants ont eu la puce à l’oreille. Sa famille se délite.

Pourtant, il n’a pas le temps de gérer ses problèmes privés, il doit « construire » le nouveau candidat à la présidentielle espagnole. Le façonner, lui donner une belle image, lui apporter les éléments de langage, c’est son travail. Pour cela, il a trouvé la bonne personne : Javier Morodo.

Pinkwashing et meurtres en cascade

Javier Morodo est l’homme parfait, celui qui redorera l’image du Parti démocratique populaire : homosexuel marié, il permettra de donner une apparence progressiste au mouvement politique. Il faut souligner que le PDP fut longtemps accusé d’homophobie. Une aubaine pour établir un pinkwashing, une bonne conscience de tolérance sans en avoir la conviction.

Mais Adrian a aussi un autre dossier chaud qui vient le percuter de plein fouet : des opposants se sont élevés contre les détournements financiers du parti par l’entremise de ventes immobilières. Des hommes de main ont eu vite fait de les éliminer. Il ne reste que leurs têtes dans des bonbonnes en verre…

Moi menteur : glaçant de réalisme

La grande force de Moi menteur, c’est son réalisme glaçant. Tout pourrait être vrai dans cette histoire : les magouilles, les meurtres, les manigances, les réseaux ou la construction de toutes pièces d’un candidat. Antonio Altarriba connait bien ce milieu politico-financier, corrompu jusqu’à l’os.

Avec cet album, l’auteur de L’aile brisée et L’art de voler clôt une trilogie passionnante et originale, celle du Moi (Moi, fou et Moi, assassin). L’intelligence d’Altariba c’est que ces trois opus sont interconnectés entre eux, même s’ils peuvent être lus indépendamment. Certains protagonistes se retrouvent dans plusieurs volumes. En parcourant la trilogie, on obtient un vrai tout, un formidable univers. La dimension finale est magistrale.

Vitoria sous les pinceaux de Keko

Comme pour les deux précédentes publications de la trilogie du Moi, Keko est au dessin de Moi menteur. Son trait épais semi-réaliste en noir et blanc est superbe. Grâce à ses jeux de lumière et d’ombre, il distille une très belle ambiance de suspense et tension.

Pour souligner des éléments importants de l’histoire, il utilise des touches de vert (les corps assassinés, le liquide des bobonnes, des plantes, des pulls…). Il avait recouru à cet artifice chromatique dans Moi assassin avec du rouge et du jaune pour Moi, fou.

Vitoria est belle sous les pinceaux de Keko. La ville basque espagnole est aussi un personnage principal dans la trilogie du Moi.

Moi menteur : plongée tourbillonnante dans les coulisses d’un parti politique rongé par le folie de ses membres.

Article posté le jeudi 06 mai 2021 par Damien Canteau

Moi menteur de Antonio Altarriba et Keko (Denoel Graphic)
  • Moi, menteur
  • Scénariste : Antonio Altarriba
  • Dessinateur : Keko
  • Editeur : Denoël Graphic
  • Prix : 21,90 €
  • Parution : 24 mars 2021
  • ISBN : 9782207157466

Résumé de l’éditeur : Adrián Cuadrado est conseiller en communication du Parti Démocratique Populaire, force dominante de l’échiquier politique espagnol vouée à la corruption, aux magouilles financières, aux coups tordus, à la manipulation des consciences et des suffrages. Roi du storytelling, Adrián est l’un de ces spin doctors chargés de produire la lumière qui illuminera le meilleur profil d’un candidat, en fera un produit désirable pour les électeurs. Menteur par vocation, par profession et par nécessité conjugale, il est l’heureux détenteur d’une double vie, entre son épouse et ses deux enfants à Vitoria, et sa maîtresse torride à Madrid. Pour l’heure, sa mission est de faire entrer dans le grand bain national le jeune élu local Javier Morodo, dont l’homosexualité assumée offrira un gaywashing au Parti, trop longtemps accusé d’homophobie. Tâche élémentaire pour Adrián, que vient compliquer la découverte inopinée de trois têtes coupées de conseillers municipaux artistement conservées dans des bonbonnes en cristal. Qui est derrière ces meurtres baroques ? Quel lien les rattache à une opération autour des palais en ruine qui constellent la cité basque ? Soudain, la vie d’Adrián l’imposteur se détraque, menaçant de faire mentir sa devise, selon laquelle « le menteur est un dieu dont le verbe crée des mondes ». Avec ce tome ultime, la très sombre « Trilogie du Moi » acquiert sa dimension finale. Celle d’une ode lovecraftienne à la ville où l’auteur vit depuis des décennies, où tous les fils se nouent, toutes les trajectoires se recoupent, tous les conflits se terminent (mal le plus souvent) pour tracer le portrait d’une Vitoria noire, gothique, mythique. Celle aussi, majestueuse, d’une cathédrale de papier dédiée à nos modernités perturbées.

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

En savoir