Dans l’industrie des comics, la relation entre éditeurs et artistes, c’est l’histoire du pot de fer contre le pot de terre, tout le monde le sait. Mais attention, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas en parler. Et Chip Zdarsky ne s’en prive pas dans Public Domain, publié chez Urban comics.
Public Domain ou l’arnaque dont on ne doit pas prononcer le nom.
Dans les années 70, Syd Dallas, dessinateur de génie, a créé The Domain, un des plus grands super-héros de l’histoire du comic book. Quelques décennies plus tard, le personnage est devenu une franchise extrêmement rentable. Casquettes, tee-shirts, figurines, films… Il se décline sous toutes les formes, du moment que cela permet de dégager de l’argent. Et de ce point de vue-là, le moins que l’on puisse dire, c’est que le succès est au rendez-vous. Tous ont mis la main dans ce gigantesque pot de confiture. Tous ?… Hé bien non… Syd Dallas est le grand oublié de l’histoire. Lui, ça ne lui pose aucun problème. Mais c’est très loin d’être le cas de son fils.
Chip Zdarsky connaît son sujet.
Chip Zdarsky est aujourd’hui un auteur reconnu dans l’univers des comics. En effet, depuis 2014 et le prix Eisner remporté avec Sex Criminals, son nom ne cesse de figurer dans les sélections des meilleurs auteurs. Pourtant, cet ancien journaliste entretient une relation particulière, voire ambiguë avec le milieu. En effet, il a collaboré avec Marvel et DC, le fameux « Big Two », sur des titres extrêmement prestigieux : Batman et Daredevil. Et pourtant, il reconnaît avec une sincérité déconcertante que ce sont ses projets indépendants qui comptent le plus. Et dans le cas présent, on ne parle pas que du caractère affectif qui lie le créateur à son œuvre. En effet, cela a beau surprendre, mais travailler pour les grosses maisons d’édition ne paye pas autant qu’on le croit. Et c’est cet état de fait que Chip Zdarsky nous présente dans l’œuvre qui nous intéresse ici.
Syd Dallas, son univers impitoyable.
Dans Public Domain, on découvre le cas extrême d’un artiste qui a été complètement dépossédé de son œuvre. Et dans un premier temps, on a l’impression que Chip Zdarsky se livre à une satire mordante d’un univers qu’il ne connaît que trop bien. Ainsi, dans une scène particulièrement marquante, on voit Syd Dallas manger du pop-corn incognito à l’avant-première du film mettant en scène un héros qu’il a créé. Ce cas extrême a de quoi faire grincer des dents. Pourtant, « cas extrême » ne signifie pas histoire inventée, loin de là.
Quand la réalité dépasse la fiction.
En effet, cette situation fait écho à une autre mésaventures, bien réelle celle-là. Ainsi, on sait aujourd’hui qu’Ed Brubaker (Reckless), créateur du personnage du Soldat d’Hiver n’a obtenu que 5000 $ et une invitation à l’avant-première du film qui a pourtant engrangé des millions de dollars. Le parallèle est évident et le message est limpide. Alors du coup, on pense avoir saisi le message. Avec Public Domain, Chip Zdarsky se livrerait donc à une satire au vitriol d’une situation dont il est la victime ? Hé bien en réalité, le scénariste de Newburn se montre bien plus fin.
Tout est dans la nuance.
Pour tout dire, il serait trop simple et même décevant de ne voir en Public Domain qu’un pamphlet contre l’industrie cynique du comic book. En effet, le sort réservé à Ed Brubaker (mais aussi à Jack Kirby avec ses nombreux personnages créés pour Marvel, ou encore à Bill Finger avec Batman) a de quoi indigner. C’est indiscutable. Mais dans Public Domain, Syd Dallas ne se plaint pas de son sort. Bien au contraire.
Pas de domaine public pour Public Domain.
Par amour pour ses créations, il est même heureux de les voir vivre et évoluer. D’ailleurs, dans la scène dont nous parlions plus haut, il a bel et bien le sourire aux lèvres en mangeant ses pop-corn. Et de la même manière, Miles Dallas, le fils de Syd, a beau jeu de s’offusquer de la situation, lui qui n’a jamais rien réussi. Et d’ailleurs, serait-il aussi scandalisé s’il n’était pas criblé de dettes de jeu, à un tel point que la mafia menace de le tuer ?…
On le comprend finalement, la critique, car critique il y a, est sensible et nuancée, exempte de tout manichéisme.
Public Domain est une œuvre que Chip Zdarsky a créée de A à Z. Scénario, dessins, encrage, première publication… Tout ne devait dépendre que de lui pour garantir sincérité et créativité. Indéniablement, le pari est réussi.
- Public Domain T1
- Scénariste : Chip Zdarsky
- Dessinateur : Chip Zdarsky
- Coloriste : Chip Zdarsky
- Traducteur : Jérôme Wicky
- Editeur : Urban Comics
- Collection : Urban Indies
- Prix : 10 €
- Sortie : 07 avril 2023
- ISBN: 9791026824008
Résumé de l’éditeur : Syd Dallas est un auteur de comics légendaire, responsable du plus grand héros de la culture pop : THE DOMAIN ! Mais ses fils Miles et David ont une relation compliquée aussi bien avec le créateur qu’avec sa création. Pourront-ils convaincre leur père de se battre pour l’héritage de leur famille, dans un système qui veut s’accaparer leur création et ne leur laisser que les miettes ?
À propos de l'auteur de cet article
Victor Benelbaz
Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.
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