Reckless, tome 2

Sous la plume d’Ed Brubaker et les crayons de Sean Phillips, Ethan Reckless poursuit sa route dans l’Amérique torturée des années 80. La candeur n’est plus de mise car des espoirs vont se briser dans les bas-fonds d’Hollywood.

RECKLESS – « VOUS ESSAYEZ DE RETROUVER UN MORT ? ».

Dans une autre vie, Ethan Reckless a travaillé pour le FBI. De cette expérience, il a gardé une belle balafre et la capacité à voir que les autres ne distinguent plus.

C’est pour cette raison que désormais, il loue ses services en tant que privé. Grâce à son tempérament pugnace et sa faculté à user des poings sans sourciller, il arrive toujours à ses fins.

Peu importe où et quand la personne a disparu. Tel un chien de chasse il traque sa proie et remonte la piste inlassablement. Et tant pis pour les conséquences. Car après tout, une fois que le disparu refait surface, tant que sa conscience est tranquille ou qu’on le paye suffisamment, ce ne sont plus ses affaires.

Et pourtant, même les gros durs peuvent faire preuve de sensiblerie. Ethan Reckless va en faire l’expérience quand sa route va croiser celle de la belle Lin Tran.

RECKLESS – PARCE QUE C’ÉTAIT MOI, PARCE QUE C’ÉTAIT ELLE.

Alors qu’il enquêtait sur la disparition d’un père de famille peu scrupuleux, Reckless va faire la rencontre de la jeune femme à la bibliothèque publique de Santa Monica. Tout semblait les opposer, et pourtant, la souriante employée allait laisser sa curiosité la guider vers le charisme magnétique du jeune homme.

Ainsi, le temps d’une brève accalmie, ils s’étaient aimés, se confiant leurs joies mais surtout leurs peines.

« Si elle ne parlait pas de son histoire, elle devait avoir une bonne raison, me disais-je. Et il n’y en avait une. Pas celle que j’imaginais, c’est tout. En y réfléchissant bien, j’étais moi aussi ce dont Linh avait besoin, cet été-là. Quelqu’un qui avait envie de lui montrer des vieux films… de parler de bouquins. Quelqu’un qui lui permettrait de rire… et de se perdre. »

Mais un jour, sur l’écran du cinéma dans lequel vivait Ethan, la figure d’une jeune femme blonde apparut en second plan. Elle était belle, mais avait l’air triste et perdue… À ce moment, Linh prononça de simples mots qui devaient tout changer à jamais :

« C’est… ma sœur. Maggie. »

Les deux femmes s’étaient perdues de vue depuis des années. Depuis que Maggie était partie à Hollywood pour devenir une vedette. Mais dans le bois de houx de la cité des anges, parfois un être pur disparaît. Et retrouver sa trace n’est jamais chose aisée.

Et en général, c’est là qu’Ethan Reckless intervient.

EN UN MOT : BRUBAKER.

Après un premier tome très réussi, nous retrouvons avec plaisir les aventures d’Ethan Reckless, ce privé dont les méthodes brutales ne parviennent pas à éclipser le cœur tendre.

Et comme à son habitude, Ed Brubaker (Pulp) nous livre une intrigue parfaitement construite qui entraine le lecteur dans un tourbillon dont on a peine à s’extirper.

Cette fois-ci, il décide d’explorer la face sombre de l’Amérique du milieu des années 80, cette époque où les idéaux ont été balayés, laissant la place à un gouffre d’où a pu ressortir les instincts les plus sordides.

UNE VISION DÉSABUSÉE.

Ed Brubaker s’en explique d’ailleurs fort bien dans sa postface. En 1985, il avait une vingtaine d’années. Il a donc grandi en entendant parler de la Manson Family puis des tueries du fils de Sam. Il a vu le satanisme et le néo-nazisme prendre de l’ampleur et gagner de plus en plus d’adeptes. Pourtant, bien trop jeune, il a assisté impuissant à ce phénomène. Et son dégoût n’a pu se manifester que par des cauchemars.

On comprend alors que d’une certaine manière, Ethan Reckless apparaît comme un moyen d’exorciser les démons du passé. En effet, le personnage ayant une quinzaine d’année de plus que le scénariste, il peut agir et même offrir une vengeance tant espérée. Et le temps de la fiction, il peut corriger ce que la réalité a montré de plus horrible. De cette manière, Ed Brubaker explore le champ des possibles à la manière de ce que fait Quentin Tarantino dans l’excellent Once Upon a Time… in Hollywood. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les deux œuvres abordent des thèmes aussi semblables.

VIVE LE CINÉMA.

Inspiré par les grands films, Ed Brubaker inscrit son histoire dans l’univers du 7e art. C’est d’ailleurs dans un cinéma qu’Ethan Reckless a élu domicile. Et comme on avait pu l’apprécier dans le premier tome, les clins d’œil aux films que regarde le héros constituent autant d’indices sur l’enquête qu’il va mener.

Pourtant, le scénariste de Fondu au noir souhaite rappeler qu’Hollywood n’a pas produit que du rêve. Et bon nombre de jeunes acteurs et actrices ont tout quitté pour finir dans des films de série B ou pire, dans des snuff movies.

Ce nouvel opus des aventures d’Ethan Reckless est à cette image : désabusé et violent. Et une fois de plus, le duo composé de Sean et Jacob Phillips contribue à l’élaboration de cette ambiance.

UNE ESTHÉTIQUE.

Comme souvent, Ed Brubaker est accompagné de Sean Phillips. Les deux artistes se connaissent à la perfection et les dessins du second viennent donner une âme à l’intrigue élaborée par le premier. La construction des planches est comme toujours un modèle du genre. Et la variation des plans permet de guider l’œil d’un lecteur conquis par tant de maîtrise. On est par ailleurs impressionné par certaines audaces, comme ces trois pages composées uniquement de cases noires… Dans une osmose parfaite, le dessin sert la narration pour nous plonger dans cette ambiance faite de paillettes et de crasse. Saluons à ce titre le travail de colorisation de Jacob Phillips qui une fois de plus, dans une ambiance crépusculaire faite de sépia et d’ombres, parvient à restituer l’amère mélancolie qui émane de cette œuvre magnifique.

 

Avec ce nouvel opus des aventures d’Ethan Reckless, Ed Brubaker, ainsi que Sean et Jacob Phillips nous proposent un polar noir et désabusé. Confronté à L’envoyé du diable, le héros va plonger dans ce que l’Amérique a connu de plus abject.

Article posté le jeudi 24 mars 2022 par Victor Benelbaz

Reckless #02 d'Ed Brubaker et Sean Phillips (Delcourt)
  • Reckless, L’envoyé du diable
  • Scénariste : Ed Brubaker
  • Dessinateur : Sean Phillips
  • Coloriste : Jacob Phillips
  • Traducteur : Alexis Nikolavitch
  • Editeur : Delcourt
  • Collection : Contrebande
  • Prix : 16.5 €
  • Parution : 19 janvier 2022
  • ISBN : 9782413044833

Résumé de l’éditeur : La saga RECKLESS se poursuit !

Ethan Reckless est de retour. On est en 1985 et tout va bien pour lui… Jusqu’à ce qu’une femme disparue dérange l’équilibre de sa vie. Il sera amené à traîner dans les bas fonds d’Hollywod pour s’en sortir !

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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