Saturnine

Des singes qui élèvent un bébé, cela ressemble au récit de Tarzan. Dans Saturnine, Alex Baladi penche plus du côté d’Albert Robida plus que de celui d’Edgar Rice Burroughs pour imaginer son Tarzan, sous les traits d’une jeune fille rousse.

Couffin flottant dans les eaux du Pacifique

Après le naufrage d’un navire, un couffin dérive dans le creux des vagues du Pacifique. Le bébé s’échoue alors sur une île peuplée de singes au pelage roux. Ce petit d’homme grandit et s’avère être une fille, rousse elle aussi.

Elle est élevée comme une singe. Pour se fondre avec sa nouvelle famille, ses congénères lui fabriquent même un queue. L’adolescente, rapidement, comprend qu’elle n’est pas comme les autres. Plus grande, sans fourrure et d’une grande tristesse.

Saturnine, enfant solaire et sauvage

Dans un élan de chagrin, la jeune fille tombe de son arbre et atterrit dans un frêle esquif. Dérivant sur les eaux, elle est secourue par un navire marchand croisant dans ses eaux. Le capitaine du navire aperçoit alors une tâche de vin sur son omoplate et reconnait en elle, la fille du capitaine Farandoul.

En attendant de toucher terre, les hommes à bord lui confectionnent une robe, tentent de lui faire apprendre son prénom : Saturnine. Mais rien n’y fait, c’est toujours une petite sauvageonne…

Baladi, Robida, Tarzan et Saturnine

Alors que sa mère regarde le long métrage Tarzan avec Johnny Weissmuller de 1939, Alex Baladi surfe sur internet pour en découvrir plus sur le film. Ce qu’il savait déjà, c’est que le réalisateur Richard Thorpe avait adapté le comics d’Edgar Rice Burroughs, mais ce qu’il ignorait, c’est que l’auteur américain avait eu un prédécesseur. Tarzan n’était pas le premier homme élevé par des singes, mais Saturnin Ferandoul.

Quelques années avant Burroughs (en 1912), un auteur français, Albert Robida, inventa un bébé naufragé recueilli par des singes. Alex Baladi est tout de suite subjugué par les dessins des Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul, un citoyen français élevé par des singes. Ils ressemblent à ceux qu’il a dessiné pour son Robinson suisse. Le livre datant de 1879 est pourtant tombé dans l’oubli. Et si l’auteur helvétique le remettait au goût du jour en transformant Saturnin en Saturnine.

Saturnine, femme-singe avant tout

Librement inspiré par Albert Robida, Saturnine est donc une belle aventure qu’Alex Baladi a décidé de situé un siècle après Robinson suisse sur la même île. L’arbre jaune et les singes rouges sont d’ailleurs le lien entre les deux albums.

En changeant le genre du personnage principal de Robida, l’auteur de Revanche fait alors glisser son album vers un récit féministe. On y découvre une jeune femme volontaire et extrêmement libre. Elle ne veut pas changer aux côtés des hommes « civilisés ». Ce n’est pas sa vie. Sa vie, c’est une île sauvage auprès de ses pairs, les singes. Si la vraie Pocahontas était exhibée car sauvage mais prenant tous les atours d’une femme de la société, Saturnine n’a pas envie de cela. Elle est libre et souhaite le rester. Nulle robe ni langage ne pourront la faire changer.

Saturnine, aventure féministe

En cela, Saturnine est donc une aventure féministe. Le genre, les hommes un brin patriotes et la grandeur de la France font de cet album, un récit politique. Rien n’est gratuit, tout est réfléchi chez Alex Baladi. Ses bandes dessinées sont résolument engagées comme avec sa série sur Benny (Voix douce, Douce nuit) où un simple personnage est entraîné malgré lui dans les soubresauts de la vie.

Dans Saturnine, Alex Baladi multiplie les techniques graphiques avec beaucoup de maîtrise. Il mélange habilement la peinture, les crayons et même les collages.

Saturnine : le superbe Tarzan de Baladi, un conte féministe et engagé dans le lignée de son oeuvre. Un album et un auteur à découvrir.

Article posté le dimanche 04 septembre 2022 par Damien Canteau

Saturnine de Alex Baladi (Atrabile)
  • Saturnine
  • Auteur : Alex Baladi
  • Éditeur : Atrabile
  • Prix : 26 €
  • Parution : 19 août 2022
  • ISBN : 9782889231195

Résumé de l’éditeur : Un couffin, porté par les vagues du Pacifique, vient s’échouer sur une île. Là, des singes au pelage rouge recueille la toute petite fille et vont alors l’élever comme l’une des leurs. Les années passent, et la jeune fille à la tignasse rousse grandit, consciente quelque part de sa différence. Par un concours de circonstances qui doit autant à l’accident qu’au coup du sort, elle se retrouvera à nouveau portée par les flots, jusqu’à rencontrer un navire, qui sera pour elle une première confrontation avec « les hommes » et la civilisation… C’est en s’intéressant à Tarzan que Baladi va découvrir un prédécesseur français et méconnu au « seigneur de la jungle », à savoir Saturnin Farandoul, créé en 1879 par Albert Robida. Puis c’est en jouant mentalement avec l’idée d’adapter le livre que Baladi aura l’idée de transformer Saturnin en Saturnine et de placer l’action sur l’île aux singes qui servait déjà de décor à son Robinson Suisse. Et tout comme dans Robinson Suisse, Baladi va dans Saturnine multiplier les techniques (crayon, peinture, collage) mais également jouer avec le genre (ici dans tous les sens du terme) pour créer une bande dessinée d’aventure ouvertement politique, qui évoque aussi bien Edgar Rice Burroughs que le Francois Truffaut de L’Enfant sauvage.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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