Stringbags

Dans les années 30, lorsque les avions Fairey Swordfish furent mis en service, ils étaient déjà obsolètes. Et pourtant, ils ont marqué l’Histoire sous le nom de Stringbags « filet à provisions ». Garth Ennis et PJ Holden nous racontent leur légende chez les éditions Paquet.

Stringbags : l’étoffe des héros.

Fin 1940, l’Europe continentale est occupée par les Nazis. Et la Grande Bretagne se demande si elle va tenir encore longtemps. Chaque nuit, la Luftwaffe bombarde Londres et les grandes villes anglaises. Malheureusement, côté mer, le constat n’est guère plus reluisant. En effet, la Manche n’est devenue qu’un mince rempart face à la puissance de la flotte allemande. D’autant qu’à la tête de cette dernière, se dresse le Bismarck, un cuirassé monumental, véritable monstre des mers.

Pour garder espoir, la Royal Navy a besoin d’avion rapides, maniables, à la pointe de la technologie. Mais à sa disposition, elle n’a que le Fairey Swordfish qui, en un mot, est tout le contraire…

« Construit sur une armature de bois et de métal recouverte de tissu, sa vitesse maximale ne dépasse pas les 100 miles par heure, moitié moins que celle de l’avion de combat ennemi le plus lent. »

Ainsi, c’est bel et bien aux commandes de Stringbags que les trois hommes d’équipage, dans leur cockpit à ciel ouvert bravaient la mort contre la barbarie nazie. Beaucoup sont tombés au combat. Mais même lorsque ce fut le cas, ils donnèrent leur vie en accomplissant des miracles.

Stringbags ou comment écrire l’Histoire.

Avec Stringbags, Garth Ennis (Shadowman, A walk through Hell) revient à un genre qu’il maîtrise à la perfection : le récit de guerre. Comme il l’avait fait avec Sara, le scénariste nous livre un récit extrêmement documenté. Et il faut bien l’avouer, il impressionne. Les faits historiques sont parfaitement maîtrisés. Et le souci du détail va aussi bien dans la conception des avions rencontrés que dans les stratégies militaires mises en place.

Ainsi, grâce au récit de trois événements marquants de la Seconde Guerre Mondiale, on plonge dans l’Histoire. Ici, il s’agit de l’attaque de Tarente, du naufrage du Bismarck et de l’opération Cerberus. Au fil des ans, ces noms ont perdu de leur substance, au fur et à mesure qu’ils se perdaient dans les pages des livres d’Histoire. Et comme toujours, lorsque Garth Ennis nous raconte ces histoires vraies, il a pour but de leur rendre une certaine forme d’humanité, mettant les hommes en avant. Mais pour y parvenir, il use d’un stratagème aux allures paradoxales : les trois protagonistes des aventures sont fictifs.

Rendre hommage : un exercice périlleux.

Et pourtant, parmi les sous-lieutenants, lieutenants et même capitaines rencontrés au fil des pages, il y avait largement de quoi choisir des hommes ayant réellement existé et prêts à devenir les chantres des pilotes de Stringbags. D’ailleurs, et c’est significatif, parmi tous les personnages, seuls Archie, Ollie et Pops, les protagonistes, sont des personnages fictifs. Et on pourrait même dire que c’est un point qui saute immédiatement aux yeux. En effet, bien souvent les réactions des trois « héros » interpellent. Gauches et maladroits, on peut difficilement dire qu’ils brillent par leur valeur au combat. Et bien souvent, même leurs réactions frisent la parodie. D’ailleurs, les traits que leur donne PJ Holden accentuent cette impression. Le fait est que le dessinateur, si adroit pour dessiner les avions et autres vaisseaux, si doué pour donner un rythme cinématographique à la construction de ses planches, semble délibérément caricaturer les protagonistes.

Tous ces éléments auraient pu être troublants s’ils n’étaient pas un élément fondamental de l’hommage majestueux réalisé par Garth Ennis et PJ Holden.

L’art de raconter l’Histoire.

Le scénariste s’en explique longuement dans une postface aussi précieuse qu’éclairante : tout est voulu, tout est orchestré. Le fait est qu’historiquement, personne n’a réellement participé aux trois actions militaires qui constituent le cœur de Stringbags. Or il est indéniable que suivre les trois mêmes personnages du début à la fin du volume donne une dimension à la fois affective et épique aux aventures. Avec Archie, Ollie et Pops, on vibre et on tremble à l’approche du danger. Et comme si nous étions avec eux à bord du Fairey Swordfish, nous plongeons au cœur de l’action. On le ressent, Garth Ennis a un profond respect pour ces hommes qui se sont hissés en ultime rempart contre la barbarie. Et c’est d’ailleurs pour cette autre raison que les trois protagonistes sont fictifs : ceux qui se sont battus lors de l’attaque de Tarente, du naufrage du Bismarck et de l’opération Cerberus sont à jamais des héros, et ils n’ont pas besoin de Garth Ennis pour qu’on les considère ainsi. Modestement et respectueusement, le scénariste leur rend hommage sans trahir ce qu’ils ont réellement pu dire ou faire. Et le résultat est exceptionnel.

 

Avec Stringbags, Garth Ennis et PJ Holden réalisent un récit de guerre d’une rare intensité. Aussi touchante que documentée, cette magnifique œuvre est un hommage vibrant à ceux qui ont combattu la barbarie nazie.

Article posté le jeudi 08 juin 2023 par Victor Benelbaz

Stringbags de Garth Ennis et PJ Holden (Paquet)
  • Stringbags
  • Scénariste : Garth Ennis
  • Dessinateur : PJ Holden
  • Coloriste : Kelly Fitzpatrick
  • Traducteur : Philippe Nihoul
  • Editeur : Paquet
  • Prix : 20.90 €
  • Parution : 08 février 2023
  • ISBN : 9782889323982

Résumé de l’éditeur : Si vous réalisez un peu trop souvent des exploits incroyables, ils finiront par vous demander de faire l’impossible. Les équipages embarqués de la Royal Navy n’avaient en guise de bombardier-torpilleur qu’un biplan sous-motorisé et mal armé, une relique des temps anciens tout juste bonne à figurer dans l’inventaire d’un musée : le Fairey Swordfish. C’est à bord de ce tas de bois et de ficelles, ce Stringbag, que les escadrons anglais écrivirent certaines des pages les plus glorieuses de leur histoire. À partir de l’histoire vraie de différents équipages de Swordfish, le scénariste Garth Ennis (The Preacher, The Boys) nous livre un récit de guerre et de courage, une épopée épique, assaisonné de son légendaire sens de l’humour.

À propos de l'auteur de cet article

Victor Benelbaz

Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.

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