La 53e Foire du livre de Bruxelles était le parfait endroit pour rencontrer David Wautier, auteur belge de bande dessinée et d’albums jeunesse. L’occasion rêvée pour en savoir un peu plus sur La Vengeance, un magnifique roman graphique western sur cette thématique intemporelle. Un album que l’auteur a entièrement réalisé à l’aquarelle et qui est publié aux éditions Anspach, une maison d’édition belge, elle aussi.
Est-ce que pour vous le western est synonyme de souvenirs d’enfance et de films regardés à la télévision ?
Pour moi, c’est d’abord synonyme de bandes dessinées. J’ai lu Yakari, Lucky Luke, puis plus tard Buddy Longway et Blueberry. Les films, c’était plutôt quand j’étais adolescent, j’ai découvert Clint Eastwood, John Ford et une multitude d’autres.
« En amenant des enfants avec leur père, pour en faire quelque chose de beaucoup plus humain. »
Comment et quand vous est venue l’idée de faire ce western en bande dessinée ?
J’ai toujours eu envie de m’attaquer au western, il fallait juste trouver le bon angle. Quelque chose de nouveau qui n’avait pas encore été fait, et ce n’est pas facile de se réapproprier ce genre. Ici, j’ai repris le thème de la vengeance, qui est beaucoup utilisé dans les westerns, mais j’ai essayé d’en faire quelque chose d’un peu différent. En amenant des enfants avec leur père, pour en faire quelque chose de beaucoup plus humain. C’était donc mon idée de départ.
Pourquoi vouliez-vous que cette vengeance se déroule en famille ?
Je ne sais pas pourquoi. L’idée m’est venue d’un seul coup alors que je réfléchissais à ce que je voulais faire. Et dans la journée, j’ai trouvé l’idée de ce père et de ses enfants dans la neige, dans la montagne, à la recherche des assassins de sa femme. J’ai tourné autour de cela pour faire grandir l’histoire.
C’est cette idée qui m’a permis de faire ce western. Parce qu’un homme seul à la recherche d’assassins, ça ne me parlait pas. Je voulais apporter quelque chose de nouveau et de plus humain. Avec les enfants, ça me le permettait.
Vous avez ainsi fait de votre personnage principal un homme à deux visages, le justicier et le père de famille aimant.
Je ne sais pas si je voulais lui donner deux visages. Il a ce côté qui fait qu’il veut aller jusqu’au bout de sa vengeance. Mais il ne sait pas quoi faire de ses enfants, il est obligé de les emmener avec lui. Il les entraîne sans se rendre compte des conséquences et du danger auquel ils vont être confrontés. L’histoire s’est construite petit à petit. Quand j’ai commencé, je ne savais vraiment pas où j’allais arriver.
Vous avez choisi de faire se dérouler votre récit selon deux tonalités : au printemps dans le Wyoming et en hiver dans le Montana. Pourquoi était-ce important que la vengeance se passe en hiver ?
L’idée de base était que la vengeance se passe dans la neige. C’est ce qui a tout déclenché. Je ne sais pas pourquoi, mais il y avait l’idée d’une difficulté supplémentaire. De plus, la neige transforme tout avec sa blancheur. Quelque chose de symbolique sans doute.
La neige a pour effet d’assourdir les bruits. Était-ce ainsi une façon de protéger ainsi les enfants d’éventuelles détonations ?
C’est vrai, notamment dans la scène finale, que j’ai dessinée sous la neige mais aussi sous le soleil, qui n’est pas présent avant. Je ne voulais pas que ce soit tout noir, mais plutôt lumineux avec cette neige sur ces paysages.
Comment s’est fait votre choix de ces deux états, le Wyoming et le Montana. Sont-ce des endroits que vous connaissez ?
J’ai étudié les lieux où l’histoire pourrait se dérouler. Je n’y suis pas allé, mais je connais bien les westerns et j’aime beaucoup les réserves naturelles aux États-Unis. Je dispose de nombreuses cartes donc j’ai regardé ce qui était le plus crédible. Même si cela ne doit pas l’être à cent pour cent, ça fonctionnait. Du Wyoming, on peut se déplacer au Montana. Cela me permettait de dessiner à la fois des plaines et des montagnes, sans qu’elles soient trop éloignées.
Comment avez-vous procédé pour créer cet album, en sachant que vous en êtes à la fois le scénariste et le dessinateur ?
Tout d’abord les idées jaillissent, puis j’en fait des storyboards. J’en fait un premier, puis je commence à dessiner. Au fur et à mesure du dessin, je me rends compte qu’il faut changer la suite. Donc je reviens constamment au storyboard pour le modifier. C’est une construction classique jusqu’au dessin à l’aquarelle. Mais pour que je commence à dessiner, il faut que les grandes lignes soient présentes dans le synopsis.
Avec La Vengeance, vous êtes passé de l’univers de l’album jeunesse à la bande dessinée pour adulte. Pour cela, avez-vous dû modifier votre façon de travailler ?
Pour le dessin, je n’ai pas changé grand chose, cela se fait d’ailleurs tout seul. Les personnages sont plus réalistes. J’utilise également la même technique dans mes carnets de voyage. Cela vient de là.
En ce qui concerne l’histoire, elle est forcément différente puisque les thèmes abordés sont plus adultes. C’est un récit avec du suspense. Il faut donc juste que les sujets soient différents.
Vous travaillez à l’aquarelle. Pourquoi le choix de cette technique ?
C’est la technique que j’ai développée dans mes carnets de voyage. Pour le moment, c’est celle que j’ai envie d’utiliser, que ce soit en album jeunesse ou en bande dessinée. Peut-être qu’un jour je changerai de technique, mais pour le moment c’est ce qui me plaît.
Est-ce également pour des raisons pratiques que vous utilisez l’aquarelle ?
Les bandes dessinées sont presque entièrement dessinées chez moi. Tout du moins à un bureau, quelque chose de très classique. Mais pour mes carnets de voyage, c’est effectivement quelque chose de très pratique. il y a un côté magique.
C’est très beau, pas spécialement facile à dessiner, mais facile pour se déplacer. L’aquarelle sèche assez vite.
« C’est en travaillant l’aquarelle que l’on découvre sa propre technique. »
L’aquarelle est-elle une technique que vous avez apprise pendant vos études d’art ou bien seul ?
J’ai appris les bases pendant mes études d’illustration à St Luc à Bruxelles. Mais je ne les ai plus utilisées. C’est donc revenu ensuite avec mes carnets de voyage. J’ai donc dû tout recommencer à zéro, parce que c’est en travaillant l’aquarelle que l’on découvre sa propre technique. Personne n’a la même technique. C’est particulier parce qu’il faut trouver sa manière de faire.
Votre album est donc dans deux tonalités différentes, selon les saisons. Les avez-vous travaillées dans l’ordre de l’album en les alternant ?
Oui j’ai plus ou moins alterné dans l’ordre chronologique de l’album. D’ailleurs ça me permettait de me reposer dans les parties Wyoming parce que quand on ne fait qu’une seule couleur, ça va évidemment beaucoup plus vite. C’est plus facile que de travailler les couleurs plus réalistes. Là, c’est beaucoup plus long et plus délicat.
Pourquoi avez-vous fait ce choix d’utiliser un nombre restreint de couleurs ?
Dans la partie du passé qui se déroule dans le Wyoming, ce sont surtout des tons sépia. Pour la période de la vengeance qui se déroule dans la neige, ce sont des tons plus réalistes , avec un bleu qui est très présent.
Pourquoi avez-vous utilisé ce sépia alors qu’il n’y a que quelques mois de différences entre les deux périodes ? D’ordinaire on l’utilise pour marquer des périodes très éloignées l’une de l’autre.
C’est un choix que j’ai fait pour faciliter la lecture. Si j’avais utilisé le ton réaliste pour la première période, il aurait été plus difficile de comprendre le récit à chaque retour en arrière.
Narrativement c’était plus fort ainsi, d’autant plus que la date est indiquée pour chaque période au début de l’histoire.
Vous êtes musicien. Envisagez-vous de créer un BD-concert avec cet album ?
Je n’avais pas pensé pour cet album à faire des concerts lors de festivals de bandes dessinées. Avec le batteur qui joue avec moi, Abdel de Bruxelles, on aimerait bien faire des tournées dédicaces et concerts dans des festivals. On va essayer de faire ça. Pas spécialement avec un de nos albums comme La Vengeance ou L’Abbé Pierre. Enfin, lui va le faire avec Tanger sous la pluie, ce sera un très beau spectacle.
Le style western se prêterait bien à un BD-concert. D’autant plus qu’il y a quelques uns de mes morceaux qui pourraient accompagner cette idée. C’est à réfléchir.
Pour en revenir à votre personnage principal, pourquoi avez-vous voulu en faire quelqu’un de jusqu’au-boutiste malgré la présence de ses enfants ?
On retrouve le caractère du père dans certains rôles tenus par Clint Eastwood. Le personnage de western qui parle peu, décidé à aller jusqu’au bout de sa vengeance. C’est un classique que je voulais garder.
D’ailleurs, en racontant l’histoire, je me sentais plus du côté des enfants. J’avais envie de dire : “On arrête tout, on revient”. Les enfants s’interrogent sur ce besoin de vengeance. Ils ont d’ailleurs peur parce qu’ils ont perdu leur mère. Ils ne veulent pas le perdre aussi.
« Je suis donc allé dans plein de directions. »
Avez-vous, à un moment, pensé à une autre fin à votre album ?
J’ai tout envisagé. En tant que scénariste, c’est ce qu’on doit faire. Je suis donc allé dans plein de directions. Mais j’ai choisi celle-là parce que c’était celle que je ressentais le mieux. Quand nos personnages prennent vie, on ne peut pas leur faire faire n’importe quoi. On échange avec eux, on les ressent. Ma fin ne pouvait pas être trop noire ou trop tragique.
Envisagez-vous qu’on puisse retrouver cette famille dans un autre album ?
J’y avais pensé parce qu’en réalité, je sais ce qu’ils deviennent après. Un scénariste en sait toujours beaucoup plus que ce qu’il y a en réalité dans son album. Mais à chacun de se l’imaginer. Je ne sais pas si je le ferai, mais ce serait faisable.
Vous travaillez seul, que ce soit sur cet album ou bien sur vos albums jeunesse. Une collaboration sur un projet serait-elle possible et si oui, quel rôle tiendriez-vous, scénariste ou dessinateur ?
J’ai fait des essais qui n’ont pas abouti. Mais si cela se faisait, ce serait en tant que dessinateur. Pour me reposer un peu et ne pas avoir le poids du créateur ! Bien qu’un dessinateur ne se repose pas tant que cela. Il nourrit aussi le scénario par son dessin.
Il ne faut jamais dire jamais, mais j’envisage moins d’écrire le scénario et de laisser le dessin à quelqu’un d’autre. Ma première idée quand je pense collaboration, c’est pour être au dessin.
« J’ai fini mon prochain projet qui sortira au mois de juin 2024. »
Pour terminer, pourriez-vous nous dire si vous travaillez déjà sur un autre projet et pouvez-vous nous en parler ?
J’ai fini mon prochain projet qui sortira au mois de juin 2024. La Vengeance aurait dû sortir l’année dernière, en 2023, mais il a été postposé. Donc, j’ai deux albums qui sortent presque en même. Ça s’appellera La Tempête et c’est une bande dessinée muette pour enfants. Un tout autre registre puisqu’on suivra une famille pendant une tempête dans les plaines du Far West. Trois enfants, les parents et un chien se réfugient dans leur maison alors qu’une grosse tempête arrive. Cela se passera pendant et après le passage de cette tempête.
Avez-vous envie de refaire une bande dessinée plus pour les adultes ?
Oui j’ai d’autres idées pour des romans graphiques, j’ai envie d’alterner pour pouvoir faire les deux. Il y a également les carnets de voyage qui sont très importants pour moi. Certains ont été édités, mais c’est de la micro-édition, on les trouve sur internet ou en festival. Et dans certaines librairies à Paris.
Merci beaucoup David Wautier d’avoir bien voulu nous accorder un peu de votre temps lors de ce très bel évènement littéraire. Et n’hésitez pas à vous plonger dans La Vengeance, un album où vous trouverez du sombre, mais surtout de très belles couleurs.
Interview réalisée le vendredi 5 avril à la foire du livre de Bruxelles par Claire Karius
- La vengeance
- Auteur : David Wautier
- Éditeur : Anspach
- Prix : 19,50 €
- Parution : 15 mars 2024
- Pagination : 96 pages
- ISBN :9782931105221
Résumé de l’éditeur : Wyoming, XIXe siècle. Richard Hatton avait tout pour être heureux : un lopin de bonne terre où il avait construit sa ferme, ainsi qu’une magnifique épouse qui lui avait donné deux beaux enfants. C’était sans compter sur Jim Pickford et ses deux acolytes. Tombant par hasard sur la ferme des Hatton et sur Mary restée seule, ces trois salopards en profitent pour la violer et la tuer. À son retour chez lui, Hatton voit sa raison chanceler. Son amour est parti à jamais, souillé pour l’éternité. Seul pour administrer tout le comté, le shérif ne peut pas l’aider et lui conseille d’oublier… Oublier ! Impossible, alors tout lui rappelle ce crime resté impuni. N’y tenant plus, Hatton vend sa ferme et part à la recherche des assassins de sa femme. Et ses enfants ? Il doit se résoudre à les emmener avec lui, quitte à leur montrer la face sombre de l’homme qu’il est devenu. Malgré le froid, la faim et les dangers qui menacent sa fille et son jeune fils, Hatton suit sa piste comme un loup qui a reniflé l’odeur du sang. Jusqu’où peut-on se couper de soi-même et de l’amour de ses enfants, pour assouvir son désir de vengeance ? Qu’est-ce qui différencie le vengeur des criminels? Hatton n’a pas de réponse à ces questions, mais il est trop tard pour reculer.
À propos de l'auteur de cet article
Claire Karius
Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.
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