Entretien avec Marie Jaffredo pour Le printemps de Sakura

 À l’occasion de la sortie de son album, Le printemps de Sakura chez Vents d’Ouest, j’ai eu le plaisir de recevoir Marie Jaffredo. Un entretien qui s’est déroulé mercredi 07 septembre 2022. Ce live était diffusé sur ma page Instagram @livressesdesbulles.

Ce nouvel album Le printemps de Sakura est à nouveau publié chez Vents d’Ouest.

Je travaille à la fois chez Glénat et chez Vents d’Ouest. À chaque fois que je leur ai proposé un projet, il a été accepté. Comme je suis plutôt fidèle, je ne suis pas allée voir ailleurs. Bien que là, je suis en train de travailler sur une bande dessinée documentaire chez Steinkis. Je ne ferai que le dessin et la couleur. Je voulais faire une pause après Le printemps de Sakura.

Comment décides-tu tes projets ?

Je suis souvent à l’origine des projets, comme pour Meurtre au Mont Saint Michel. Et parfois, pour des questions de planning, je demande à des dessinateurs s’ils peuvent m’aider.

Couverture Meurtre au Mont-Saint-Michel

Je me sens à la fois scénariste et dessinatrice, c’est un mix des deux. Cela dépend des projets, selon si ce sont des commandes, comme Édouard Manet et Berthe Morisot. Même quand je ne fais que le dessin et les couleurs, pour moi, c’est toujours un travail personnel. Je m’investis dans le projet dès le scénario, on en discute beaucoup avant. C’est un travail d’équipe avec des concertations.

Couverture Edouard Manet et Berthe Morisot

Peux-tu nous parler de Yuan, Journal d’une adoption ton précédent album ?

Cet album est autobiographique, même si la plupart de mes albums sont personnels. Il raconte l’adoption de notre fille, de mon point de vue. mon regard, mon vécu de parent adoptant. Pendant des années, j’ai rencontré des gens qui m’ont posé des questions sur l’adoption. Je me suis dit que ce serait bien de partager cela. L’idée a mûri. Je ne l’ai pas fait tout de suite parce que je voulais que ma fille me donne son accord d’adulte.

Couverture Yuan, journal d'une adoption

Était-ce une volonté de laisser une trace ?

Il y a de ça. Quand mes enfants étaient plus petits, j’avais fait un album Les Pop Korn, qui racontait leur petite vie à eux. Un album humoristique sur mes trois enfants. Chaque parent de famille nombreuse sait comment c’est plein de vie et d’étincelles.

Couverture les pop korn tome 1 dur, dur, la vie de famille !

Dans Yuan, je voulais parler de ma famille. C’est pour cela que tout le monde apparaît en photo dans le carnet de voyage à la fin. Comme pour clore le sujet.

Pourquoi cette couverture pour Le printemps de Sakura ?

Je fais souvent plusieurs projets, sous forme d’esquisses rapides, et celui-ci était le tout premier. Ce qui me plaisait, c’était l’architecture japonaise, que j’aime beaucoup. Il y a cet espace dans les maisons traditionnelles japonaises. Là, on est dans l’équivalent du séjour avec le tatami, un espace transitoire avec l’extérieur. On a la possibilité d’ouvrir ces portes en papier de riz, qui forment comme un tableau et mettent en valeur le jardin. Cette lecture à plusieurs niveaux m’intéressait.

Couverture Le printemps de Sakura

Cet album est plus grand que le précédent, ce qui me laissait plus de place pour le dessin, voire une case de plus sur chaque planche. Donc au niveau de la narration, ça peut aider. Il fait plus bande dessinée. Bien qu’il soit considéré comme un roman graphique, parce qu’il a plus de 100 pages.

De quoi parle ce nouvel album ?

Pour résumer, c’est l’histoire d’une petite fille Sakura qui arrive chez sa grand-mère. Celle-ci va lui permettre de faire le deuil de sa maman et d’avancer. Le printemps de Sakura parce que c’est l’image de l’ouverture à la vie, alors qu’elle était en stand-by.

Comment t’es venue cette idée et pourquoi au Japon ?

À l’origine, mon premier projet était plus personnel, il parlait de mon enfance et de mon lien avec mes grands-parents. Il était dans mes cartons.
J’ai fait un voyage au Japon et j’ai été très surprise, comme une impression de me retrouver dans un film. L’ambiance m’a prise aux tripes et j’ai voulu faire quelque chose avec ce ressenti.

Au Japon, les liens avec la mort sont différents. Les kamis ( divinité ou un esprit dans la religion shintoïste) entourent les vivants et j’ai donc fait le lien avec cette histoire que je voulais raconter. Je pouvais ainsi parler de la mort d’une façon plus positive.

L’histoire se situe d’abord à Tokyo, puis dans un village. Où se trouve-t-il ?

Le village où se situe le récit n’existe pas, c’est un mélange de plusieurs lieux existants que j’ai visités. Je ne trouvais pas le village idéal, donc je l’ai inventé. Et comme je suis née au bord de la mer, j’aime bien mettre des mouettes. Pour la référence aussi aux pieds dans le sable ou aux roseaux. Ce sont des choses vécues.

Il y a comme une vraie différence entre ces deux endroits

Des villages comme celui-là existent au Japon, il n’est pas hors du temps. Deux mondes peuvent cohabiter. Sakura a une tablette, sur laquelle elle suit ses cours, fait ses devoirs. C’est juste que quand elle est à Tokyo, elle est dans une ville moderne hyper connectée. Puis elle découvre autre chose, sa grand-mère lui propose un lien avec la nature. Elle change de contexte et c’est cette rupture qui est intéressante.

Pourquoi as-tu choisi d’écrire une histoire avec peu d’action ?

C’est un récit initiatique avec cette volonté qu’il n’y ait pas de rebondissements. Le journal intime de Sakura vient ponctuer le récit et met en avant ses idées, son ressenti sur son séjour. On voit l’évolution de ce personnage, comme une fleur qui va éclore et s’ouvrir progressivement. C’est sa grand-mère qui lui donne les clés. En japonais, Sakura signifie fleur de cerisier. D’ailleurs, la grand-mère appelle sa petite-fille Petite Fleur.

Les sens sont très présents dans ton album.

La grand-mère va réveiller Sakura et pour cela, actionner ses sens qui sont au repos. La petite est à l’arrêt depuis la mort de sa maman. Cela va passer par l’olfactif, le toucher, le goût, les caresses au chat. J’ai essayé de retranscrire ces sens et les petites choses de la vie qui procurent des petits plaisirs qui font du bien à l’âme.

Le printemps de Sakura est également un album sur le choc des cultures.

Sa grand-mère initie Sakura à des choses qu’elle ne connaît pas, les traditions. Son père ne l’emmène pas aux bains publics. Elle ne va d’ailleurs pas les apprécier plus que cela : être vraiment tout nu, avec juste une serviette sur la tête…

On est en plein milieu du Japon et Sakura arrive avec sa francitude. De toute façon, elle est aussi française (par son papa), il n’y a pas d’ambiguïté, c’est son quotidien, elle va au lycée français de Tokyo. Elle vit dans une bulle et sa grand-mère va lui proposer de découvrir d’autres objets, d’autres aliments. C’est comme ça que Sakura va découvrir la cuisine de sa maman et donc son autre partie d’elle-même.

La langue peut également être une difficulté.

Sakura parle peu japonais et elle se met comme une barrière parce qu’elle ne le parle pas au quotidien. C’est au départ l’argument qu’elle utilise pour ne pas aller chez sa grand-mère. Finalement on s’aperçoit qu’elle a assez de vocabulaire pour échanger avec elle. De plus, un enfant apprend très vite et c’est une première barrière qui tombe.

Comment procèdes-tu quand tu travailles ?

Quand je fais un album dans son intégralité, je commence par écrire un synopsis assez détaillé. Puis je procède au découpage en scènes, en pages, puis en cases avec les dialogues. Cela me permet de voir si la pagination correspond à ce que mon éditeur attend. Je vérifie également le rythme du récit, comme quand on pose des flashbacks, il faut qu’ils soient là au bon moment.

Combien de temps te prend cette première phase ?

Ce gros travail d’écriture me prend trois ou quatre mois. Puis ensuite, je fais le storyboard assez poussé en format A5. Je suis très myope alors je dessine très petit. Mon storyboard est en doubles pages, pour vérifier qu’elles fonctionnent ensemble au niveau du dessin et des couleurs.
Chaque étape est validée par mon éditrice.

Et pour la phase de dessin ?

Ensuite j’agrandis en format 1 pour faire mon crayonné que je réalise sur la table lumineuse. Tout est scanné puis je vérifie la place des bulles. Après la relecture totale, j’entame les couleurs, et là, il n’y a plus de retour en arrière possible. Cette dernière étape couleur encrage se fait sur un papier 240 g.

Travailles-tu un peu en numérique ?

Oui pour les corrections et le nettoyage. Je suis un peu maniaque et je veux maîtriser l’objet fini.
Maintenant mes bulles ne sont plus sur le dessin, je les fais avec Photoshop. Ce qui me permet de modifier mon dialogue jusqu’au dernier moment, d’agrandir ou déplacer la bulle. Comme cela je dessine tout, sans avoir à contourner ma bulle.

Combien de temps te faut-il pour réaliser un album ?

En moyenne, pour faire entièrement une page, il me faut une semaine, en faisant le ratio à la fin de l’album. J’essaie de ne travailler que sur un seul projet à la fois, parce que j’ai du mal à passer d’un univers à un autre. Tous mes projets sont différents et je n’ai pas envie de répéter ce que j’ai déjà fait.

Tu travailles uniquement tes dessins à l’aquarelle et en direct ?

Sur d’autres albums, je mélange les techniques. Sur Meurtre au Mont Saint Michel ou Les damnés de Paris, j’ai fait un premier lavis à l’encre acrylique pour donner une texture sépia de carte postale ancienne. Et je viens dessus à l’aquarelle.

Couverture Les damnés de Paris

Sur Le printemps de Sakura, c’est de l’aquarelle parfois rehaussée de gouache ou de crayon de couleur, quand c’est trop fade. Mon encrage est toujours au stylo bille.

Que penses-tu du travail d’auteur ou d’autrice de bandes dessinées ?

On a un peu un travail d’autiste, on travaille de chez soi. Il y a les festivals qui permettent aussi de faire des rencontres. Avec les réseaux sociaux, c’est plus facile que de prendre son téléphone. Ça demande moins de temps que d’appeler et ça permet d’avoir des liens avec plus de personnes. C’est un lieu de rencontres.

Peux-tu nous parler un peu de ton prochain projet que tu avais évoqué plus haut ?

Je suis actuellement sur un travail de commande qui sera édité chez Steinkis, je commence les couleurs. C’est une bande dessinée documentaire sur les nouveaux agriculteurs. Je finirai vers le mois de mars et je vais signer mon prochain album chez Glénat. Mais comme ce n’est pas fait, je n’en parle pas. Je travaillerai avec une scénariste que j’aime beaucoup.

Merci beaucoup Marie Jaffredo d’avoir accepté mon invitation pour nous parler de ce magnifique album Le printemps de Sakura publié chez Vents d’Ouest.

 

CET ENTRETIEN ET SA RETRANSCRIPTION ONT ÉTÉ RÉALISÉS DANS LE CADRE DU LIVE QUI S’EST TENU MERCREDI 24 AOÛT 2022 SUR LA PAGE INSTAGRAM DE YOANN DEBIAIS @LIVRESSEDESBULLES .
SI VOUS VOULEZ EN SAVOIR PLUS SUR L’HOMME À LA TÊTE DE LION, N’HÉSITEZ PAS À REGARDER ICI LE REPLAY DU LIVE
Article posté le mercredi 08 février 2023 par Claire & Yoann

Le printemps de Sakura de Marie Jaffredo chez Vents d'Ouest
  • Le printemps de Sakura
  • Autrice : Marie Jaffredo
  • Editeur : Glénat Vents d’Ouest
  • Prix : 19,00 €
  • Parution : 31 août 2022
  • ISBN : 9782749309415

Résumé de l’éditeur : Chronique poétique d’une petite tokyoïte. Sakura, 8 ans vit à Tokyo. Depuis le décès accidentel de sa maman quelques années auparavant, la fillette n’arrive pas à surmonter son chagrin. Obligé de s’absenter quelques semaines pour raisons professionnelles, son papa, français d’origine, décide de la confier à sa grand-mère japonaise. Mais les premiers moments avec cette aïeule vivant de façon traditionnelle au rythme de la nature, plongent l’enfant dans un désarroi encore plus grand ! Pourtant, contre toute attente, ce séjour va profondément transformer Sakura… Le temps d’un printemps auprès de Masumi, aussi douce que joyeuse, la fillette découvrira en elle des ressources insoupçonnées, lui permettant de dépasser le drame, et de s’ouvrir de nouveau à la vie. Cette résurrection passera par l’éveil de ses sens et la découverte de plaisirs simples : la pêche aux coquillages, la saveur des dorayakis, la sensation du sable chaud, le chant des roseaux, les senteurs du jardin, l’air de la mer, les rencontres avec les villageois ou encore la compagnie affectueuse d’un chat l’aideront à passer le cap de la résilience… Émouvant et sensible, ce roman graphique d’une immense poésie nous invite à revenir à l’essentiel pour trouver l’authenticité. À travers le parcours de Sakura, le lecteur effleure le raffinement japonais et la richesse de la culture asiatique. Certainement un des plus beaux albums de Marie Jaffredo, empreint de sagesse où le choix de l’aquarelle contribue pleinement à l’harmonie générale.

À propos de l'auteur de cet article

Claire & Yoann

Claire Karius @fillefan2bd & Yoann Debiais @livressedesbulles , instagrameurs passionnés par le travail des auteurs et autrices de bandes dessinées, ont associé leurs forces et leurs compétences, pour vous livrer des entretiens où bonne humeur et sérieux seront les maîtres-mots.

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