Entretien avec Xavier Coste pour L’homme à la tête de lion

 À l’occasion de la sortie de son album, L’homme à la tête de lion chez Sarbacane, j’ai eu le plaisir de recevoir, pour la deuxième fois, Xavier Coste l’auteur de 1984. Un entretien qui s’est déroulé mercredi 24 août 2022, le jour de la sortie de l’album. Ce live était diffusé sur ma page Instagram @livressesdesbulles.

Merci beaucoup Xavier d’avoir accepté de revenir dans ce live pour nous présenter ce nouvel album

L’homme à la tête de lion est mon huitième album et c’est une création originale sur un personnage qui est un freaks. J’ai voulu conserver le même format que 1984, mais dans un récit complètement différent.

Quel est ton regard sur l’aventure 1984 ?

Ce qui m’est arrivé avec 1984 est assez phénoménal. Il y avait des menaces de confinement et cinq versions différentes de ce roman. Autant dire que je n’étais pas rassuré la veille de la sortie. Mais au fur et à mesure, ça n’a fait que grandir, des articles, des prix. Donc pour ne pas prendre la grosse tête, j’ai préféré m’enfermer dans le travail sur L’homme à la tête de lion pour oublier que 1984 marchait aussi bien.

De quand date le projet sur L’homme à la tête de lion ?

En tant qu’auteur on n’a pas la même temporalité. Ça a été plus de deux ans de boulot. C’est un projet qui date de 2017. Je suis tombé sur la photo d’un personnage qui souffrait d’hypertrichose, il était entièrement velu du visage. La photo dégageait quelque chose, mais je ne savais pas quoi en faire.

Quand as-tu commencé à travailler dessus ?

Avec le contexte covid, j’avais vraiment besoin d’une respiration, de faire quelque chose de différent. C’est là que je me suis souvenu de ce projet et en quelques jours, j’ai créé la trame du scénario. C’est magique quand ça se passe comme cela, absolument pas dans la douleur.

Es-tu un passionné de cirque ?

Le thème du cirque ne me passionne pas et je suis content que les gens qui ne sont pas passionnés par le sujet apprécient quand même l’album. Pour moi, le sujet n’est pas le cirque, mais plutôt une personnalité. J’ai tendance à m’attacher aux histoires de personnages.

Le plus compliqué a été de ne pas avoir une imagerie qui faisait trop cirque, dans le mauvais sens du terme. Il y a des scènes de cirque, mais transportées dans un univers plus fantastique. J’espère y être arrivé.

On sait peu de chose sur les protagonistes de ton album, les freaks.

Quand j’ai fait mes recherches, j’ai été étonné de voir que les freaks pouvaient devenir des célébrités et gagner énormément d’argent. Pour eux, ce rapport-là était compliqué. Ils acceptaient de jouer le jeu qu’on attendait d’eux. C’est donc difficile de savoir où se situer.

Je voulais faire d’Hector Bibrowski mon personnage quelqu’un de différent de son modèle. J’ai donc utilisé le nom du vrai personnage, Stephan Bibrowski (1890-1932).

Lionel, l'homme à la tête de lion.png

Quasiment tous les personnages de ce livre ont existé, à part le directeur du cirque. Ils vivaient à des périodes différentes, donc ils n’ont pas pu se rencontrer. Cet album est fantastique par son côté réunion improbable.

Pourquoi as-tu, pour L’homme à la tête de lion, adopté le même format que celui de 1984 ?

Avant 1984, j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour du format classique. Je voulais bousculer ce que j’avais l’habitude de faire depuis plus de dix ans, pour me surprendre moi-même. Ne pas tomber dans une routine. Avec ce métier, on a le risque de toujours travailler de la même façon. Donc j’essaie de l’éviter. Changer de format m’a aidé et m’a libéré, puisque j’ai pu étirer mes dessins.

À la dérive Le lendemain du monde

Comment se sont déroulés les échanges avec ton éditeur sur le projet ?

Les retours ont été sur l’histoire. Mon éditeur est plutôt très exigeant. Même si j’aime beaucoup écrire, je me considère plus comme un dessinateur. Ça ne me gêne pas qu’on me dise que c’est mal écrit à certains endroits. Je peux tout à fait l’entendre, je préfère écouter ce qu’on me dit avant, quand on peut encore rectifier, plutôt que quand le livre est sorti.

Pourquoi avoir choisi de changer de continent ?

Hector part aux États-Unis pour vivre le grand rêve. Ça me permettait de changer de dimension et de dessiner des scènes de ville. Je voulais situer l’album dans les années 1920, 1930 et dessiner New York. J’avais aimé dessiner la ville dans 1984. Donc, j’ai situé les bureaux du cirque là-bas. Et quand Hector arrive là-bas, c’est dans le port de New York.

Page 1 L'homme à la tête de lion

La nouveauté avec cet album, c’est l’insertion de trames dans tes dessins

J’ai choisi ces effets pointillés pour éloigner ma technique de celle de 1984. J’aime bien à chaque album effectuer des changements, soit le format, soit la technique. Faire quelque chose de différent. Je voulais ce côté un peu passé, en utilisant ce système de trames avec des quadrillages ou des pointillés. Comme si l’impression était de mauvaise qualité, avec des aspérités.

Comment travailles-tu ?

Je travaille beaucoup à l’ordinateur, mais je fais des va-et-vient entre les deux. Je commence à l’ordinateur, j’imprime et je fais des rehauts à la main avec de la peinture. Mais aucune page n’est dessinée de la même manière, j’ai toujours besoin d’expérimenter. Je modifie mes pages indéfiniment et c’est un casse-tête pour l’éditeur.

Par quoi as-tu commencé sur L’homme à la tête de lion ?

Pour cet album, j’ai écrit toute l’histoire avant de commencer à dessiner. On s’est mis d’accord avec l’éditeur sur le fil conducteur. J’ai ensuite fait un storyboard pas très précis, pour me laisser un peu de latitude. L’album devait faire une cinquantaine de pages de moins. Plus j’avance, plus j’ai tendance à être généreux.

Dans quel état d’esprit étais-tu, une fois l’album terminé ?

Ça m’a mis une pression incroyable. Mes livres d’avant avaient un succès d’estime, mais il n’y avait pas d’attentes. J’ai donc été désarçonné, par peur de décevoir. Avant quand je faisais un livre moyen, tout le monde s’en foutait. Là, il y avait un véritable enjeu, mais travailler sur un sujet différent m’a aidé à lâcher prise. Parfois avec une adaptation, il y a le syndrome de l’imposteur. Comme si j’avais dépossédé Orwell.

À combien d’exemplaires a été tiré L’homme à la tête de lion ?

Pour le premier tirage, on est à 20 000 exemplaires. Ce qui est bien d’autant plus que le thème, je le rappelle, n’est pas facile. Tout le monde a joué le jeu, l’éditeur, les libraires. D’ailleurs, j’ai la chance d’avoir 1984 qui est toujours mis en avant. J’ai sorti des livres, sur lesquels j’avais travaillé un an ou deux, et qui sont restés en librairie, quinze jours ou trois semaines. Je l’ai très mal vécu.

Couverture Egon Schiele ; vivre et mourir Rimbaud, l'indésirable

C’est pour cela que je voulais faire ce projet maintenant. Si je l’avais fait avant, c’est certain que je n’aurais pas eu la même promo. L’occasion de faire un projet plus difficile.

Quand tu crées, montres-tu l’avancée de ton travail à des personnes ?

Ce projet, je ne l’ai montré quasiment à personne. Mes premiers bouquins, j’avais tendance à montrer mon travail à tout le monde. Le problème, c’est que les gens ont tous des avis. Et après, on ne fait plus rien. Il faut donc faire le tri et avoir quelques personnes de confiance pour leur jugement.

As-tu déjà des projets pour l’après Homme à la tête de lion ?

J’ai déjà une idée et j’ai vraiment hâte de m’y mettre. Ça va rester dans le domaine de la science-fiction. Il me faut du temps pour travailler dessus. Et j’hésite entre deux projets. Il faut que je me mette d’accord avec moi-même. Quand je m’embarque dans un projet, c’est pour deux ans. Il faut donc que je sois sûr de moi.

L'enfant et la rivière A comme Eiffel

Sur quoi aurais-tu envie de travailler maintenant ?

J’avais un très bon projet qui est tombé à l’eau. Une adaptation de La route de Cormac McCarthy. C’était pour moi une telle évidence en termes de dessin. Mais un autre auteur de bande dessinée a eu les droits, c’est Manu Larcenet. J’avoue que je suis un brin dégouté. C’était mon deuxième roman de chevet.

Image illustrative de l’article La Route (roman)

Sur quoi mets-tu l’accent dans ton travail ?

Généralement, je suis attaché aux histoires de personnages. Le cinéma de François Truffaut m’a beaucoup influencé. Dans ses scénarios il n’y a pas nécessairement d’enjeux, mais il y a un personnage intéressant. J’ai tendance à être comme cela. Donc, j’ai retravaillé mon scénario pour y mettre plus d’enjeux, injecter un peu plus de suspens, notamment sur la fin. J’ai eu beaucoup de mal à la trouver d’autant plus que je ne voulais pas une fin triste.

Que représente un album pour toi ?

Je suis très attaché au livre objet ancré dans le réel. Mes derniers livres ne sont pas disponibles en ebook. J’aime bien que les gens puissent avoir un objet et prennent le temps de le lire. Il y a un tel décalage entre le temps qu’on passe à faire des livres comme ça et la façon dont les images sont éphémères.
Quand un bouquin ne marche pas, ce n’est pas toujours la faute du livre. Ils n’ont pas toujours le temps nécessaire pour vivre.

 

Merci Xavier Coste d’avoir accepté mon invitation pour nous parler de ce magnifique album L’homme à la tête de lion publié chez Sarbacane.

 

CET ENTRETIEN A ÉTÉ RÉALISÉ DANS LE CADRE DU LIVE QUI S’EST TENU MERCREDI 24 AOÛT 2022 SUR LA PAGE INSTAGRAM DE YOANN DEBIAIS @LIVRESSEDESBULLES .
LA RETRANSCRIPTION ET LA MISE EN PAGE ONT ÉTÉ RÉALISÉES PAR CLAIRE KARIUS.
SI VOUS VOULEZ EN SAVOIR PLUS SUR L’HOMME À LA TÊTE DE LION, N’HÉSITEZ PAS À REGARDER ICI LE REPLAY DU LIVE
Article posté le mercredi 08 février 2023 par Claire & Yoann

L'homme à la tête de lion de Xavier Coste chez Sarbacane
  • L’homme à la tête de Lion
  • Auteur : Xavier Coste
  • Editeur : Sarbacane
  • Prix : 29,00 €
  • Parution : 24 août 2022
  • ISBN : 9782377318131

Résumé de l’éditeur : Du fauve ou de l’homme moderne, qui est le plus féroce ? On dit que le bonheur est une vocation. Celle d’Hector Bibrowski, né dans un cirque à la fin du XIXe avec des poils recouvrant tout son visage, ne le rend pas heureux, mais il ne l’a pas choisie. Comme son père avant lui, il fera la tournée des villes européennes en compagnie d’avaleurs de sabre, de sœurs siamoises, d’hommes-troncs et autres bêtes de foire. Mais tout le monde n’a d’yeux que pour « l’homme à la tête de lion » qui, derrière son visage sauvage, est passionné de littérature et capable de converser comme le plus instruit des gentlemen. Bientôt, l’opportunité d’intégrer le plus grand cirque des États-Unis l’emmène dans le moderne New York où s’élèvent les gratte-ciels et les ambitions démesurées des hommes. Dans ce monde qui a perdu toute échelle humaine et qui connaît les premiers balbutiements du cinéma, l’homme-lion restera-t-il le roi du spectacle ?

À propos de l'auteur de cet article

Claire & Yoann

Claire Karius @fillefan2bd & Yoann Debiais @livressedesbulles , instagrameurs passionnés par le travail des auteurs et autrices de bandes dessinées, ont associé leurs forces et leurs compétences, pour vous livrer des entretiens où bonne humeur et sérieux seront les maîtres-mots.

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