« Il fallait que chaque personnage ait un côté concon »: Rencontre avec Camille Blandin

Fraichement débarqué sous les radars de la bande dessinée indépendante, Camille Blandin vient de sortir aux éditions Misma, On est en finale, hilarante comédie se déroulant dans le milieu du basket amateur. Entre vestiaires qui sentent la transpi, arbitres furieux, des Chocapic et un humour à faire crever le plus gonflé des ballons, le livre met les perdants sur le trône avec style et panache. En toile de fond, une pointe de chronique sociale. On a soulevé la coupe avec son auteur pour tenter de savoir comment il a réussi ce joli panier à 3 poings (levés).

ROCKY BALBUTIA

Une finale, peu importe sa teneur, est un moment important de la carrière d’un joueur amateur. Celui où la pression est à son comble, les bancs tremblent et les maillots se mouillent plus intensément que dans les matches de poule.

Notre finale du jour oppose d’un côté l’équipe de Guindoul-Pégueux, les killers du panier, les grands favoris du titre. Ils jouent à domicile et ils sont chauds bouillants. De l’autre, celle de Fandeloup-les-Rouguemouses. Surnommée les « Chicago Boulets », tout le monde se demande comment ils ont atterri là tellement les gars sont des branques, entraineur compris. Évidemment avec un pitch aussi fun, le match ne va du tout se passer comme prévu…

Si ce n’est pas nous, on a tous un frangin ou une frangine qu’on a dû accompagner le week-end dans des bleds reculés, dans des villages aux noms si imprononçables qu’il était légitime de se demander si on n’avait clairement pas changé de dimension.

Depuis les gradins, on a regardé éclore une rencontre où personne ne joue ni sa place, ni le match de l’année mais s’adonne à la pratique d’un sport qu’il aime et se frotte aux rudiments de l’esprit d’équipe. Ce sont cette faune et ce décorum qui composent la bande dessinée de Camille Blandin, On est en Finale. Une faune de Rocky Balboa du dimanche qu’on peut croiser employée dans le magasin de bricolage du coin, en tant que facteur ou responsable de la boutique d’informatique du boulevard (fermée entre 12h et 2).

FRENCH COMEDY

S’il dit ne pas s’inspirer du cinéma, difficile au moment de la lecture de ne pas y penser. Mon penchant irait vers cette série de films Disney des années 90, celle où une certaine naïveté trouvait enfin sa place dans les films live et non plus dans les films d’animation de la firme. Ceux topés au vidéo-club le samedi après-midi, certainement pas à marquer d’une pierre blanche mais de petites pépites dans leur genre : Rasta Rocket, L’incroyable Voyage en passant par Les Petits Champions ou Chérie,  j’ai rétréci les gosses. Des univers forts qui aiment les losers et les regardent sans jamais les juger, sans cynisme aucun. Le tout emballé dans une bonne humeur aussi contagieuse qu’un bon COVID des familles.

On est en finale de Camille Blandin (éditions Misma)

Qui dit comédie Made in France ne signifie pas qu’une blague beauf va vous tomber dessus toutes les quatre cases. S’il est question de caca et de vomi, l’humour régressif est intelligemment mis au service de la lolade. Ça a le mérite de sortir mais pas de trop, ni trop souvent.

L’humour est ici comme un bon shoot bien négocié et qui rentre quasiment à chaque lancé. Idem pour les persos : les méchants sont très méchants, limite vicieux et les gentils très gentils, limite benêts. Mais c’est ce qui fait leur force et surtout, qu’on s’y attache. Tout connement.

Faire de la comédie dans notre cher hexagone n’est pas si simple. La comédie c’est un rythme, une intensité, des phrases et des situations qui font mouche. Sinon c’est le plongeon raté et le plat assuré. Dans un pays comme le nôtre, où la bataille pour prétendre au trône du genre fait rage, comment Camille Blandin pense-t-il avoir obtenu sa médaille ? Réponse avec l’intéressé où rien ne semble tourner rond, pas même le ballon.

On est en finale de Camille Blandin (éditions Misma)

On est en finale de Camille Blandin (éditions Misma)

On est en finale de Camille Blandin (éditions Misma)

« Tous mes livres sont humoristiques, mais dans des registres assez différents »

Je n’ai pas eu l’occasion de découvrir tes précédents travaux, tu peux m’en parler ?

J’ai sorti Rien à feutre aux éditions Lapin en 2022, puis Papa ou le Francky en 2023 aux éditions Exemplaire et Chienchien le chien a disparu aux éditions Microgram la même année. Tous mes livres sont humoristiques, mais dans des registres assez différents : Rien à feutre est un recueil d’histoires très courtes sur des sujets divers et variés, alors que Papa ou le Francky se centre sur mon père, et des moments de vie drôles avec lui. Chienchien est une enquête absurde sur une disparition d’un…chien ah ah.

Tu t’attaques au genre de la comédie, est-ce qu’il y avait de l’appréhension chez toi à le faire ?

Pas vraiment, ça s’est fait assez naturellement, et surtout sans avoir d’attentes particulières. J’ai lancé mon compte Instagram fin 2019. À ce moment-là, j’étais encore en études de graphisme et assez loin d’imaginer que je ferai de la bande dessinée à plein temps, quelques années plus tard. J’ai toujours aimé en faire, mais je ne pensais pas pouvoir en vivre. J’ai commencé à publier mes strips dans un état d’esprit « on verra bien ».

On est en finale de Camille Blandin (éditions Misma)

La comédie est un exercice qui existe assez peu en bande dessinée en France, sinon dans les grands travers de l’humour balourd, type Les gendarmes ou Les pompiers. Comment as-tu construit ton récit pour éviter de tomber dans ce type d’humour ?

J’ai l’impression qu’on s’est pas mal éloignés de cet humour de manière générale en bande dessinée (même s’il existe toujours bien sûr). À mon sens, il y a une quantité de bandes dessinées d’humour francophone de qualité autant qu’une quantité d’auteur.ices d’humour qui m’ont inspiré depuis que je suis ado. Je pense à Anouk Ricard, Antoine Marchalot, Philippe Valette, et pour aller chercher dans du plus ancien, Franquin, et plus précisément Gaston, que je trouve toujours aussi drôle et que j’adore visuellement. Je pense que ça m’a aidé à ne pas tomber dans les travers dont tu parles.

Cela étant, je ne considère pas avoir un humour « intello » non plus, je fais des blagues couillonnes sur le caca (au grand dam de certaines personnes qui vont penser que je suis resté bloqué à mes 4 ans ah ah) et ça me fait marrer.

Comment as-tu travaillé le rythme de la comédie pour que le soufflé ne retombe pas ?

C’est compliqué de répondre à cette question, parce que pour être honnête, je ne me la suis jamais posée en ces termes. J’imagine que pour tenir une histoire longue et humoristique comme On est en finale, il faut laisser des respirations entre les blagues, sinon ça peut être soûlant. Le fait que ce soit un match de basket m’a permis de donner ces respirations, en revenant à l’aspect concret du match, tout en faisant avancer l’histoire.

On est en finale de Camille Blandin (éditions Misma)

« Il fallait que chaque personnage ait un côté concon sans pour autant trop me moquer d’eux »

Comment as-tu construit tes différents personnages ?

Je voulais qu’il règne une ambiance un peu bêta, un peu couillonne. Il fallait que chaque personnage ait un côté concon (enfin sauf José, mais ça, il faut lire le livre pour le comprendre) sans pour autant trop me moquer d’eux. Je m’attache vite à mes personnages et j’ai aussi toujours besoin (malgré moi je crois) qu’ils aient une part de sensibilité et de tendresse.

Pourquoi avoir choisi le basket en particulier et pas le foot qui est un sport plus populaire ? Es-tu toi aussi un ancien joueur de basket d’un club paumé ?

Je suis un immense fan de basket. Quand j’étais aux Beaux-Arts à Toulouse, on avait créé avec des amis une équipe de l’école pour participer au championnat universitaire. On était partis de zéro, on avait créé l’asso, puis recruté les joueurs dans l’école, on avait designé nos maillots, on faisait une affiche à chaque match qu’on allait placarder dans toute l’école… Et je trouve ça très plaisant de dessiner les postures du basket, les maillots, je trouve que l’univers visuel de ce sport est très riche.

Est-ce qu’il y a des références spécifiques qui ont guidé l’écriture et le dessin ?

J’ai tendance à placer mes références visuelles plutôt dans le domaine de la littérature jeunesse, et plus précisément les auteurices avec lesquel.les j’ai grandi. Je pense à l’École des Loisirs notamment : Grégoire Solotareff, Nadja, Mario Ramos, Alain Le Saux, Claude Ponti, Philippe Corentin, même Tomi Ungerer

Je sais que beaucoup de personnes ont tendance à citer des films, mais de mon côté le cinéma n’est pas du tout une référence dans mon boulot. J’écoute beaucoup de musique en travaillant mais dire qu’elle guide la création ne serait pas tout à fait vrai. En ce moment, j’alterne entre rap français (j’écoute pas mal le dernier album de PLK), de l’afrobeat, du R’n’B, et Francis Cabrel ah ah. Et puis quand j’en ai marre, je me remets le rock que j’écoutais au collège, les Arctic Monkeys ou les Raconteurs.

Comment as-tu trouvé le nom des villages fictifs dont sont issues les deux équipes ? Tu as dû t’amuser.

Ces noms sont des transformations et un mélange de lieux que j’ai connus, où j’ai grandi. Des noms liés à ma famille, des expressions en patois que j’entends beaucoup dans la bouche de mes grands-parents…

On est en finale de Camille Blandin (éditions Misma)

Tu me parles de ton traitement sur les couleurs ? Est-ce qu’il y avait une envie particulière ?

J’avais envie de changer une nouvelle fois de technique. Comme la plupart des gens ont découvert mon travail avec mon compte Instagram ou Rien à feutre, ils ont tendance à penser que le feutre est mon outil de prédilection.

D’ailleurs, beaucoup de personnes pensent que Papa ou le Francky est également colorisé au feutre, alors que c’est à la peinture acrylique et à l’aquarelle. J’ai beaucoup reçu de la part des gens du « ah ouais, donc c’est fini le feutre ? ». Je continue à faire des dessins au feutre, comme à l’acrylique, mais là j’avais encore envie d’autre chose avec notamment une colorisation informatique.

Comment est née ta collaboration avec Misma ?

Je connaissais les éditions Misma depuis le lycée, je pense. Je leur ai envoyé une quarantaine de planches de ce projet pendant l’été 2022 et j’ai attendu leur réponse en me disant que si elle était négative, je les enverrais à d’autres maisons d’édition. Mais j’avais très envie que le livre soit chez eux. Et ils étaient partants, donc je suis super content !

Entretien réalisé le 7 juin 2024
Article posté le mardi 11 juin 2024 par Rat Devil

On est en finale de Camille Blandin (éditions Misma)
  • On est en finale
  • Auteur : Camille Blandin
  • Éditeur : Misma
  • Date de publication : 19 avril 2024
  • Nombre de pages : 164
  • Prix : 22€
  • ISBN : 9782494740044

Résumé de l’éditeur : Personne ne sait comment ils ont réussi à arriver jusqu’ici, mais les joueurs de l’équipe de basket de Fandeloup-les-Roumegouses sont bel et bien en finale . En finale départementale… Ce n’est pas non plus la finale de la Coupe de France. Mais autant dire que c’est un exploit pour cette équipe de bras cassés qu’on pourrait surnommer les «Chicago Boulets» ou les «LOOSERS de Los Angeles». Malgré les stratégies de leur entraîneur Jean-Marie Grumeau et ses remontants alimentaires (des céréales chocapiques), il faudra un miracle pour ramener la coupe à la maison. D’autant qu’en face d’eux, il y a l’équipe de Guindoul-Pégueux, grande favorite pour le titre et qui joue à domicile. Chaud ! Avec ON EST EN FINALE, Camille Blandin l’auteur toulousain de RIEN À FEUTRE (Éditions Lapin) et PAPA OU LE FRANKY (Éditions Exemplaire), nous offre un match de finale de basket mémorable ou l’équipe qui gagnera ne sera finalement pas celle qui aura marqué le plus de paniers mais celle qui aura dit le plus de conneries. Et ça s’annonce bien serré car nos «champions» du ballon orange ne sont pas des flèches sur le terrain et n’ont pas non plus inventé la poudre. Heureusement, le spectacle est assuré par Camille Blandin dont chaque dialogue est une passe précise, chaque rebondissement un dribble de contre-attaque redoutable et chaque vanne un lancer à trois points réussi !

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Rat Devil

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