La visite de François Mitterrand au festival d’Angoulême 1985

Des Présidents élus au suffrage universel uninominal à deux tours, qui ont vaguement prêté attention à la bande dessinée, il n’y en a pas eu beaucoup depuis la création de la Ve République. François Mitterrand fut le seul président français en exercice à se rendre au festival d’Angoulême. C’était en 1985.

On sait grâce à Ferri, comment le grand Charles passait ses vacances à la plage ; on sait aussi que le seul rival international du Général, c’était Tintin : d’ailleurs Malraux l’a dit, donc c’est vrai ; on sait enfin que, sous sa présidence, le premier satellite tricolore à avoir été  chatouiller les Romains dans les nuages se nommait Astérix. On a bien compris, aussi (et plus tard) grâce à Tabary, que tous les Iznogoud du microcosme ne rêvaient que de « devenir calife à la place du calife ».

Mais ce qu’on réalise moins, c’est qu’il n’y a qu’un seul locataire de l’Elysée (eh oui, un seul Président chez les Mickeys) à s’être rendu en grande pompe (et en Mystère 20) au salon d’Angoulême.

C’était le mercredi 26 janvier 1985 et la grande messe du neuvième art n’avait que douze ans. Age mineur pour art majeur. Et François Mitterrand himself avait débarqué à l’aéroport dès potron-minet (c’est-à-dire neuf heures du mat’ mais à ce moment-là, à Angoulême, tout le monde roupille encore). Visite présidentielle expédiée en trois heures et en trois temps :

  • Saint-Yrieix pour se faire présenter une palette graphique : « C’est très intéressant » dira poliment celui que certains – ils ne sont pas nombreux – appellent François ;
  • puis le salon proprement dit vécu à l’intérieur surchauffé de la bulle New York avec quelques mots à Schuiten et Peeters et comme guides les grands éditeurs en personne (Dargaud, Gérard, Glénat);
  • et enfin l’autre salon, celui de l’hôtel de ville en compagnie de ce maire banni des mémoires angoumoisines dont il est simplement bon ton de se souvenir qu’il portait le nom d’un grand bijoutier de la place Vendôme, mais que lui, apparemment, avait eu quelques soucis de trésorerie.

Tonton sous la bulle, accompagné de Danielle Mitterrand et de l’omniprésent Jack Lang, s’était vu offrir Ces animaux qui nous gouvernent de Morchoisne et Les Passagers du vent  (d’un autre François que certains, enfin ceux qui ne le connaissaient pas, appellaient Bourgeon).

Il avait fait part de sa grande science de la bande dessinée en affirmant que ses aventures préférées étaient celles de… Chéri Bibi. Dans l’entourage élyséen, où personne n’imagine le Président feuilletant dans France Soir les bandes verticales signées Bernad, on se concerte et on fait savoir à la meute journalistique que l’oracle voulait dire… Bibi Fricotin. Ouf, ça au moins, c’est bédéphilement correct !

Quatre ans plus tard, dans une interview publiée par A Suivre, le même Mitterrand confirmera son attachement pour les histoires dessinées du bagnard de Gaston Leroux ainsi que pour des choses très rock n’roll comme La famille Illico ou le Sapeur Camembert. Pour ceux qui n’auraient pas encore compris que pour être né natif de Jarnac (Charente), celui que les « tontonmaniaques » surnommaient « Dieu » n’était pas vraiment un homme de la deuxième moitié du XXe siècle.

N’empêche qu’il avait fait inscrire au même titre que la pyramide de Peï, la construction du CNBDI au titre des grands travaux du septennat : eh, oui, à l’époque, quand on allait glisser son bulletin dans l’urne – et on allait beaucoup voter ! – on en prenait pour sept ans. « Et toujours le même Président » chantait Michel Delpech (mais c’était en 1966).

Comixtrip vous propose quelques croquis sur le vif datant de 1985 illustrant la venue du plus haut personnage de l’Etat. Des ministres de la Culture, il y en a eut une flopée, mais un Président à Angoulême, manifestement, c’est pas tous les jours. Il ne tient qu’au prochain à prendre la suite de Tonton. Tiens, pourquoi pas en 2015 : ça ferait juste trente ans, un compte rond. Et il se pourrait bien que certains – enfin quelques uns – l’appellent François !

Article posté le samedi 24 janvier 2015 par Erwann Tancé

À propos de l'auteur de cet article

Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé). Il raconte sur Case Départ l'histoire de la bande dessinée dans les pages du quotidien régional La Nouvelle République du Centre-Ouest: http://www.nrblog.fr/casedepart/category/les-belles-histoires-donc-erwann/

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