Quai des Bulles 2021 avec Riff Reb’s

À l’occasion du Festival Quai des Bulles à Saint-Malo, nous avons rencontré Riff Reb’s. Quel meilleur endroit pour converser avec ce passionné de la mer. Cet échange marin en est la preuve.

Dès 2009, tu te tournes vers des adaptations autour de la mer. Peux-tu nous expliquer ce choix ?

Ce n’était pas parce que c’était autour de la mer, mais parce qu’on me proposait une collection d’adaptation au départ. Il se trouve que je venais de lire À Bord de l’Étoile Matutine (1920) de Pierre Mac Orlan. Pas parce que c’était sur un bateau, mais parce que c’était du Mac Orlan. J’ai beaucoup aimé ce livre et j’en voyais la possibilité de l’adapter.

 

Couverture à bord de l'étoile matutine - grand format    Pierre Mac Orlan — Wikipédia

C’était ta première envie d’adaptation ?

D’abord, je voulais faire l’adaptation du Vagabond des étoiles en 1989 quand j’ai lu le roman de Jack London. Mais mon éditeur chez Glénat me disait que les adaptations ce n’était pas bon pour la bande dessinée, c’était trop intello.

Image illustrative de l’article Le Vagabond des étoiles    Description de cette image, également commentée ci-après

Ça a bien changé !

Quinze ans après, ils voulaient tous en faire. Quand Delcourt m’a contacté, je leur ai dit non. Puis j’ai reçu une proposition des éditions Soleil pour la collection Noctambule qui n’existait pas encore. Pour faire une adaptation littéraire avec une liste de classiques de la littérature aventure. Je leur ai dit que j’avais lu L’étoile Matutine. La directrice de collection m’a expliqué ce qu’ils voulaient.

Comment est-ce que ça s’est déroulé?

Pierre Mac Orlan est mort en 1970, je leur ai dit qu’il allait falloir obtenir les droits. Ce n’était pas simple parce qu’il n’avait pas d’enfants. J’ai dit oui en pensant qu’elle n’allait pas y arriver. Et comme je suis tombée sur une fighteuse de première, à peine un mois après, elle avait obtenu les droits chez Gallimard. Voilà comment je me suis retrouvé à être le premier de cette collection.

Comment as-tu travaillé sur cette adaptation ?

J’ai commencé à travailler l’adaptation par le texte. Je pensais que le dessin allait venir vite. Il s’agissait de pirates, de bateaux, de marine ancienne. Pour moi, ce roman c’était une façon de transposer ses souvenirs de la guerre de 14. Pierre Mac Orlan s’appelait Pierre Dumarchey, il avait été blessé à Péronne. Quand je lis son roman de marin, je vois des histoires d’hommes, qui s’échangent des photos de femmes. Des gens qui sont sur un bateau qui peut à tout moment couler.

Les obus, les mines, les rats c’est la même chose. C’est cela dont il parle.

Qu’imaginais-tu ?

Alors, je n’imaginais pas vraiment des pirates. Et puis les Caraïbes c’est Le quai des brumes (1927), encore un roman de Mac Orlan. Dans son texte quand il dit pirates, ce sont vraiment des terroristes à l’époque. Ça m’a donné la couleur amère du texte Mac Orlan que j’aime beaucoup. Et je me suis retrouvé avec du maritime. Les gens ont aimé ça et m’en ont redemandé.

Le maritime, était-ce vraiment ce que tu voulais faire ?

Mais je me foutais du maritime. Ce qui me plaît, c’est ce que Mac Orlan dit de l’humanité. Évidemment les gens voient le décor. Ce que je vous raconte c’est la faim, la soif.

C’est la prose de Mac Orlan moi qui m’emballe.

Comment es-tu arrivé à l’album Le vagabond des étoiles ?

Je voulais travailler sur Le vagabond des étoiles que j’avais déjà pensé faire à la fin des années 1980. Mais ce n’était pas le moment. Ma mère était en fin de vie. Comme le roman de Mac Orlan est un roman de mort, sur les vies antérieures. C’était trop compliqué en m’occupant de ma mère la dernière année, en étant à son chevet. Il me fallait un travail structuré comme des béquilles.

Peux-tu nous dire comment tu es arrivé à travailler sur Le loup des mers ?

Quand je travaille sur un auteur, je lis d’autres livres sur lui, ses influences. Pour le comprendre et rentrer dans son époque. Je me retrouve à lire un livre de Francis LacassinJack London ou L’écriture vécue et un résumé du Loup des mers. J’emprunte le livre à la bibliothèque et là, j’ai déjà la couverture en tête, je sens l’adaptation.

Couverture le loup des mers

Je connais très bien l’histoire de London, je vois très bien de quoi il parle. J’ai appelé l’éditeur et je lui dis, tu veux des pirates, cette histoire c’est tout comme. C’est des enfoirés pareil.
Et là, grande satisfaction du public, Prix Fnac, Prix Ouest-France.

Une collection de reconnaissances qui était pas mal, à 50 ans j’existais quand-même.

La thématique de la mer a beaucoup d’attrait ?

La mer, la mer, tout le monde en demande. J’ai voulu faire un dernier tour d’horizon d’auteurs maritimes. J’ai donc fait Hommes à la mer, qui compile des histoires avec une catastrophe différente à chaque fois.

Couverture Hommes à la mer

Et puis le travail des illustrations. Comment parler de la mer sans parler d’Homère et L’Odyssée et un petit peu de Victor Hugo, c’est un de mes monstres préférés. Un petit clin d’œil à ces gens là, qu’ils soient auteurs maritimes ou pas.

Et là je passe au Vagabond des étoiles que j’ai enfin réussi à boucler. Il pesait depuis 30 ans sur mes épaules.

Donc cette fois-ci ton éditeur était prêt à t’accompagner ?

Oui, vu les ventes des albums précédents, le tapis rouge était un peu sorti, même si ce n’est pas Titeuf. J’ai un lectorat. Et puis cette collection improbable (Noctambule) s’est imposée dans cette maison d’édition. Il y a d’autres très bons artistes dans cette collection, comme Cromwell. Cette collection est bien maquettée, bien présentée, le format est parfait. C’est un bijou qu’on fabrique. Mon éditrice Clotilde Vu, c’est son nom, elle est au combat sur tous les fronts.

Cette trilogie maritime était-elle pensée ainsi initialement ?

Pas du tout. J’ai encore reçu l’année dernière un appel de la Marine nationale pour présenter un dossier pour être Peintre officiel de la Marine. Emmanuel Lepage y est passé récemment. Je leur ai dit non parce que si je fais un western demain, je ne vais pas devenir peintre des cowboys.

C’est pourtant un titre honorifique que d’être Peintre officiel de la Marine.

Qu’est-ce que j’en ai à faire, les honneurs ce n’est pas ça ! C’est le public. C’est vous qui m’invitez pour une interview. Ce sont les gens que je fais rêver.

Ou quand un gamin me dit qu’il a lu Mac Orlan à cause de moi. Je me dis que j’ai servi à quelque chose, j’ai trouvé un interrupteur. C’est une belle récompense.

L’année dernière une exposition t’a été consacrée ici à Quai des Bulles.

J’avais eu une exposition qui avait été faite avec des panneaux disposés sur la plage de Perros-Guirec et le port de Saint Brieuc. Mais c’est mon éditeur qui a appelé le festival et s’est entendu avec lui. Donc des scénographes sont venus dans mon atelier et j’ai sélectionné avec eux ce qu’on pourrait mettre. Le premier tome du Vagabond des étoiles venait de sortir.

Couverture Le vagabond des étoiles tome 1

Il y avait toute l’entrée de l’exposition avec mes dessins liés au rock. Car j’ai fait des livres jeunesse, des romans illustrés, des bouquins sur les Doors, sur les Clash.

The doors : Riff Reb's, Jean-Noel Levavasseur: Amazon.fr: Livres

Plus des livres d’humour, ça m’a bien fait manger et partir mes enfants en vacances, avec les droits d’auteur. Ce n’est pas rien. J’ai toute une vie de travail acharné. J’avais beaucoup de choses à montrer.

C’était une très belle exposition.

Comment s’est déroulée la sortie du deuxième tome du Vagabond des étoiles ?

Le deuxième volume du Vagabond des étoiles est arrivé entre la fin du premier et le début du deuxième confinement. J’ai donc eu le temps de faire une dédicace à Paris. Les gens faisaient la queue dehors puisqu’ils savaient qu’ils allaient être reconfinés le soir même. Ils ont fait leurs provisions après le manque du premier confinement. Donc pas de promo, pas de festival, le merdier que tout le monde a vécu.

Couverture Le vagabond des étoiles tome 2

Le pire a été l’anniversaire du décès de Mac Orlan l’année dernière (27 juin 1970). Brest,  sa ville adoptive, avait prévu des événements à cet effet. Je devais venir signer, exposer. Mais il y avait les risques liés au virus. Finalement, tout a été annulé.

Quand tu prépares un événement comme celui-là et que ça saute, là c’est les boules.

Quel est ton rythme de travail ?

Je travaille avec acharnement, dix heures par jour, six jours sur sept. Rajouter des dédicaces le weekend, il faut vraiment que je sois motivé. Saint-Malo c’est bien, j’y rencontre des amis. Angoulême je vais y aller cette année (en 2022). Mais l’important c’est de faire des bons livres. Pour les festivals, on n’est pas rémunérés. Le jour où ça le sera, ça rentrera dans le métier. Actuellement faire des dédicaces devient un boulot. Mais c’est un travail gratos. Il y a des petites choses bizarres dans ce métier, mais ça ne m’affole pas.

Les échanges avec les lecteurs sont essentiels.

C’est très important. Être enfermé pour travailler, c’est ce que je fais sans le covid. Parfois une aération c’est bien entre ces longues séances de travail. Mais je n’en ai pas besoin tous les mois.

Quand tu es enfermé longtemps à faire un livre, tu ne sais plus pourquoi tu le fais. Je ne le fais pas pour moi. Quand il est imprimé, je ne le lis pas. Je le connais par cœur. Et quand tu regardes les dessins, tu vois les défauts. Le texte, tu le récites par cœur.

Pour qui fais-tu tes livres ?

Tu fais des livres pour un lecteur idéal, qui n’est pas là quand tu travailles. Le moment le plus intéressant c’est le découpage. Quand tu mets en scène. Tu choisis le texte plutôt que le dessin ou le dessin plutôt que le texte. C’est un art complexe la bande dessinée et très bâtard. Mais c’est d’une richesse. Le moment de création est très intéressant. Tu imagines quelqu’un qui lit, mais ce quelqu’un n’a pas de nom. C’est le lecteur idéal.

Quand le bouquin sort, le lecteur va l’acheter ou pas, va l’aimer ou pas. Et c’est la sentence financière par rapport à ton éditeur. On est dans le capitalisme sauvage depuis toujours.

Si tu ne vends pas, tu n’existes pas. Mais c’est un métier qu’on a choisi.

Comment se passent les rencontres avec tes lecteurs ?

Quand tu rencontres ton lectorat, tous tes fantasmes de mec enfermé sont mis à plat et tes prétentions retombent. C’est bien d’être en contact, mais tu n’as pas besoin de plein, plein, plein de contacts. Une dizaine de personnes te permet d’avoir une idée. Surtout quand tu as du métier. Il faut éviter les proches et les gens qui t’aiment. On parle de boulot, pas d’affection.

Le vagabond des étoiles était-il prévu en deux tomes dès le départ ?

Oui, au départ les gros romans graphiques épais ne se faisaient pas. Quand un jeune dessinateur proposait un livre de 200 pages, même en noir et blanc, c’était difficile à imposer. Même en 2019, faire 200 pages d’un coup, c’est dur. On peut se planter complètement. C’est plus raisonnable financièrement d’en faire deux volumes. Comme ça j’ai deux contrats, je touche deux payes pour deux livres. Pas un seul forfait pour un gros livre.

Ce n’était pas gênant pour l’album ?

Ça m’embêtait de le couper en deux car le roman d’origine n’était pas publié en deux. C’était un feuilleton, un chapitre par mois dans la presse américaine. Puis c’est sorti regroupé pour un format d’édition littéraire.

Dans mon cas, il a fallu que je coupe en deux pour avoir un prix public qui soit le même que ceux des albums précédents. Et moi pour manger un peu mieux, vu la quantité de travail sur ce livre. Les hachures, la prison, les éclairages.

Tu as beaucoup joué avec les espaces clos.

C’est un roman carcéral. Il y a des évasions mentales. Plus j’enferme les gens dans la prison avec mon personnage, plus on allait avoir en sortant, un grand coup de vent, d’oxygène. Tu as un moment de blanc narratif qui est juste un moment de bonheur. Avec London tu n’as pas vraiment de moments de vide. Donc je les crée moi-même. Le livre est dense, il fallait concentrer 400 pages de roman en 200 pages de bande dessinée. C’est très très compliqué.

C’était pareil pour Mac Orlan, j’ai sacrifié la moitié de son volume. Mais j’ai pris l’habitude. Ça fait un paquet d’années que je fais des adaptations.

Que représente Le vagabond des étoiles pour toi ?

Il vient de ressortir avec les éditions originales, le texte des magazines où à chaque début de chapitre, il résume la fin du chapitre précédent.

Je suis intéressé par le style de London, je cherche à quitter le réel pour l’aventure.

Ce livre parle de ce que sont la faim, l’isolement, des inhérents à l’humanité depuis toujours. Pourquoi la recherche de l’être aimé, pourquoi la superstition a créé des religions partout. Et ce goût de la mort, de l’assassinat, de la tuerie. La colère rouge est ressentie par le héros parce qu’il a tué. Il est en prison, il dit qu’il a vu rouge.

Quel est ton prochain projet ?

Alors ce n’est pas dans la même maison d’édition. Daniel Maghen rêve de m’éditer depuis des années, c’est mon galeriste. Il ne s’agit pas d’une bande dessinée mais d’un livre, un roman illustré. L’île au trésor de R.L. Stevenson (1883).

Image illustrative de l’article L'Île au trésor

Un livre que je ne voulais pas faire en bande dessinée. Avec une cinquantaine d’illustrations en couleur, pas une page sans dessin. Je suis à la fin de la deuxième partie, au chapitre neuf. On n’est pas encore à l’île, on est à Bristol sur le port. Un format plus grand qu’un roman, des doubles pages en couleur.

Pour quand est-il prévu ?

Normalement pour les fêtes l’année prochaine (2022). Le travail est très copieux.
Il y aura le texte original de Stevenson, dans une belle traduction. On sortira pour les Anglais en même temps.

En même temps, un autre livre va se préparer. Je ne connais pas l’éditeur, ce n’est pas signé. Mais normalement c’est un artbook, avec tous mes dessins autour du rock’n roll, pochettes de disques, affiches, livres illustrés. Aussi pour les fêtes l’année prochaine.

Actuellement te sens-tu plus scénariste ou dessinateur ?

Notre métier c’est une relation. Un grattoir et une allumette. Tu n’as pas le feu, sans l’un ou sans l’autre. Une collaboration peut être l’enfer comme ca peut se passer super bien. Pour moi l’idéal c’est quand les livres sont écrits et dessinés par la même personne. Maintenant il y a des collaborations magnifiques, c’est comme un couple. Il y a des histoires d’amour qui fonctionnent. Un mois, un an, dix ans ou un jour, tu ne sais pas. Il y a des mariages réussis ou moins. Ça se fâche, il y a un divorce. Et des fois ça ne prend pas du tout.

J’ai 60 ans, je fais combien de livres encore ? Je me dis que je ne ferai peut-être plus que trois livres. Alors autant essayer de se faire plaisir. Et essayer d’accrocher une certaine excellence. Ce n’est plus l’heure des expériences.

Un immense merci Riff Reb’s pour ce temps que tu nous as accordé, afin de répondre à nos questions. Bon festival et bon vent pour tes projets.
Article posté le mardi 21 décembre 2021 par Claire & Yoann

Le vagabond des étoiles de Riff Reb's chez Noctambule
  • Le vagabond des étoiles, intégrale
  • Auteurs : Riff Reb’s
  • Editeur : Noctambule
  • Prix : 34,95 €
  • Parution : 01 décembre 2021
  • ISBN : ‎ 99782302094932

Résumé de l’éditeur : Orné d’un fer à chaud argent, cette édition intégrale – grand format – réunit les volumes 1 et 2 du Vagabond des Étoiles, un projet que Riff Reb’s porte en lui depuis une trentaine d’années. Oscillant entre réalisme et fantastique, ce récit s’impose à la fois comme un procès contre l’univers carcéral et un hommage à la puissance de l’imaginaire.

À propos de l'auteur de cet article

Claire & Yoann

Claire Karius @fillefan2bd & Yoann Debiais @livressedesbulles , instagrameurs passionnés par le travail des auteurs et autrices de bandes dessinées, ont associé leurs forces et leurs compétences, pour vous livrer des entretiens où bonne humeur et sérieux seront les maîtres-mots.

En savoir