Mauvaise herbe #1

Passées les magnifiques premières pages en couleur où se dessinent un chat et deux personnages aux regards perdus ou accusateurs – qui nous seront présentés plus tard – c’est la très jeune Honoka qui nous fait entrer dans le « Teen Reflexology Hello Sunrise« . Les propositions qu’elle donne au lecteur ou plutôt à son « client » contrastent violemment aux suppléments évoqués sur l’écriteau voisin. Bien que l’établissement se protège par un simple écrit de pratiques sexuelles interdites, Mauvaise Herbe débute avec Honoka, adolescente prostituée dans une maison close.

Il faudra une descente de police pour qu’Honoka n’ait pas à donner son corps cette fois. Ni elle, ni les autres filles mineures aux réactions mitigées face à cette arrivée surprise des forces de l’ordre. Entre celles animées par la honte et d’autres plutôt furieuses qu’on leur enlève leur « travail », elles finiront par rentrer toutes dans leur foyer. L’une d’entre elles attire soudainement l’attention du lieutenant sur place Hajime Yamada. En prenant sa carte étudiante à la photo ancienne, sa réaction spontanée nous fait penser qu’il connaît ce visage. On comprendra vite pourquoi il lui est si familier.

Shiori Umino, à peine seize ans, reste là, impassible, le visage aussi figé que sur sa photo d’identité. Aucune émotion ne se dégage à travers ses yeux. Si ce n’est une certaine fatalité. Comme si elle ne devait rendre de compte à personne. D’ailleurs, bien que sa mère eut été prévenue, elle ne viendra pas la chercher au commissariat. Une collègue du lieutenant finira par la ramener chez elle. C’est alors que sortira le premier mot de sa bouche quand sa mère lui ordonnera de s’excuser face à l’agent de police : « Pardon ».

Encore troublé par cette rencontre, Hajime Yamada divulgue rapidement la raison pour laquelle Shiori l’a subitement ramené quelques années en arrière. La ressemblance avec sa propre fille disparue dans un tragique accident est saisissante. Hajime, qui ne s’est jamais vraiment remis de ce drame, va tout faire pour venir en aide à Shiori dont la détresse est à son paroxysme.

Mais pour cela, il faudra qu’il gagne sa confiance…

Si un seul mot devait définir l’ambiance de ce premier tome de Mauvaise herbe, la solitude sortirait aisément du lot. Que ce soit au travers de Shiori ou d’Hajime en passant par la mère de la jeune fille ou de ce chaton, chaque personnage traduit une terrible fracture sociale. Comme s’ils n’existaient pas, comme si chacun d’entre eux errait dans une société où prime le chacun pour soi.

Seul Yamada donne l’espoir d’un retour à l’empathie en prêtant cette attention particulière à Hajime.

Quelle sensibilité que nous offre là Keigo Shinzô ! On connaissait déjà le talent artistique du mangaka japonais avec son surprenant et drôle l’Auto-école du collège MoriyamaAvec Mauvaise herbe, il dépeint des tranches de vie plus sombres voire dénonciatrices de la société nippone. Tellement de passages dans ce premier volume relatent une ambiance pesante qu’on a envie de respirer un bon coup à la dernière page. Mais surtout, on a envie que le réconfort et l’entraide s’invitent au prochain tome.

Avec son dessin fluide, ses visages marquants et ses scènes aussi violentes physiquement que psychologiquement, Shinzô nous emmène dans son monde avec une salve d’émotions Il suffit de découvrir les premières planches et de se laisser emporter.

Article posté le samedi 04 avril 2020 par Mikey Martin

  • Mauvaise herbe #1
  • Scénariste : Keigo Shinzô
  • Dessinateur : Keigo Shinzô
  • Traduction : Aurélien Estager
  • Éditeur : Le Lézard Noir
  • Prix : 13,00 €
  • Parution :  16 janvier 2020
  • ISBN : 978-2353481644

Résumé de l’éditeur : Au cours d’une descente de police dans une maison close miteuse maquillée en salon de massage, le lieutenant Yamada rencontre Shiori, une lycéenne fugueuse qui lui rappelle sa propre fille aujourd’hui décédée. À peine raccompagnée chez elle par la police, Shiori disparaît de nouveau, fuyant les coups de sa mère abusive. Yamada part à sa recherche, mais la jeune fille désemparée trouve refuge chez un inconnu à la bienveillance plus qu’équivoque.

À travers ce drame abordant de nombreuses questions contemporaines, Keigo Shinzô explore la face sombre et sordide de la société japonaise contemporaine.

À propos de l'auteur de cet article

Mikey Martin

Mikey, dont les géniteurs ont tout de suite compris qu'il était sensé (!) a toujours été bercé par la bande dessinée. Passionné par le talent de ces scénaristes, dessinateur.ice.s ou coloristes, il n'a qu'une envie, vous parler de leurs créations. Et quand il a la chance de les rencontrer, il vous dit tout !

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