Entretien avec Armelle Modéré

Illustratrice connue depuis 17 ans dans le monde Jeunesse avec plus de 70 albums, la pétillante Armelle Modéré a commencé la bande dessinée il y a peu avec Lili Pirouli (Des ronds dans l’o). Elle nous a accordé un long entretien pour nous parler de son parcours et de ses quatre ouvrages dans le monde du 9e art.

Comment avez-vous rencontré Nancy Guilbert ?

C’est elle qui m’a démarchée, je ne la connaissais absolument pas. Elle connaissait mon travail en illustration jeunesse, elle a frappé à ma porte et m’a demandé si je voulais illustrer son scénario de bande dessinée, Lili Pirouli. J’ai été surprise mais en faite je ne regrette pas du tout. C’est super chouette !

Comment travaillez-vous avec elle ?

Alors très simplement. Elle m’a proposé les textes de Lili Pirouli, je les ai dessiné et ça m’a beaucoup plu.

Lorsque l’on travaille ensemble, on se concerte, déjà sur les dessins, graphiquement, je lui ai quand même demandé son avis. C’est important que la petite héroïne corresponde à ce qu’elle envisageait.

Maintenant quand elle écrit les autres tomes, elle me demande si je veux une histoire en particulier ou bien si celle-là me plairait. Elle me demande toujours mon avis et je trouve que c’est une super coopération. Elle est très chouette, elle est comme moi, elle est maman et on s’entend vraiment bien !

« Oui, on peut le dire, Lili Pirouli, c’était un tournant ! »

Quelle place tient Lili Pirouli dans votre parcours ?

En fait, c’est la première bande dessinée que j’ai faite. C’est d’ailleurs Nancy Guilbert qui m’a contacté et m’a convaincue que j’étais tout à fait capable de faire de la bande dessinée. Je me suis donc laissée prendre au jeu, parce que j’ai toujours aimé la bande dessinée et parce que c’était assez proche du dessin enfantin que je fais pour les albums pour enfants. Oui, on peut le dire, Lili Pirouli, c’était un tournant !

Comment réagit le très jeune public lors de vos rencontres, les dédicaces ?

Plutôt bien parce que s’est très inspiré de la vie quotidienne des enfants. Nancy est institutrice, elle en a vu quand même pas mal, et on est mamans donc on a pas mal d’expérience. On a pioché dans notre vécu, dans les anecdotes qui ont ponctuées la vie de nos enfants et on a essayé de dégager des choses rigolotes ou pas.

Faut dire que l’héroïne elle a un sacré tempérament, elle est un peu pénible des fois mais c’était un parti-pris et surtout on rigole quand on l’anime !

Les enfants peuvent aussi facilement s’identifier à elle. C’est important ?

Les enfants peuvent s’identifier hyper facilement. Notamment les situations à l’école, chez elle, quand elle perd ses dents, quand elle n’a pas envie de faire ses devoirs, quand elle veut faire une manif pour ne pas aller à l’école parce qu’elle estime qu’il y a trop de devoirs…

Avez-vous fait des études dans le graphisme ?

Après le bac, j’ai fait les Beaux-Arts à Dijon pendant 6 ans en section peinture. J’aurais aimé faire une section illustration mais à l’époque je n’en n’avais pas vraiment entendu parlé.

« Le monde de la jeunesse : c’est toute ma vie, c’est toujours ce que j’ai rêvé de faire ! »

Pourquoi est-ce important pour vous de travailler dans le monde Jeunesse ?

C’est toute ma vie, c’est toujours ce que j’ai rêvé de faire ! J’ai toujours écrit des histoires, dès que j’ai su écrire. Dès le CP, je faisais des livres et j’écrivais les histoires. Je fabriquais vraiment mes livres, je collais les pages, je commençais à la première page par « Il était une fois un pauvre petit lapin », je faisais les couvertures et les dessins qui allaient avec. Après au collège, j’écrivais des romans.

Les histoires en général ça m’a toujours bercé, on m’en a lu aussi beaucoup, j’ai beaucoup lu et je n’imaginais pas ma vie autrement que dans les histoires. Je suis super contente d’avoir trouvé ce travail !

Pourquoi est-ce important de parler aux enfants ?

Les enfants, il y a de toutes les générations, il faut s’adapter , avoir un autre langage, d’autres sujets avec la vie qui évolue, même si les thèmes sont universels, il faut se les réapproprier et en parler à nouveau.

Quelle série animez vous en ce moment pour la presse jeunesse ?

Je travaille tous les mois pour Abricot avec mon petit héros qui s’appelle Petit Panda. C’est d’ailleurs une mini bande dessinée.

Quelle place tient Jules B dans votre parcours, dans votre vie ?

C’est un OVNI dans ma production. C’est la première fois que je faisais un album pour les 10/12 ans puisque jusqu’à présent c’était plutôt pour les 0/6 ans.

Lili Pirouli, ça m’a donné des ailes. J’avais vraiment envie de continuer dans la bande dessinée; parce que surtout j’aime bien ce schéma narratif, on peut vraiment développer, inventer une vraie histoire, avec autant de pages que l’on veut. Pour ça, la bande dessinée c’est pratique.

Ça faisait longtemps que j’avais des projets de BD dans mes placards. J’ai pris celui qui me tenait le plus à cœur et je l’ai développé. Je suis très contente du résultat !

« C’est un message optimiste, c’est avant tout un message d’espoir »

Cet album est dédié à votre grand-père, pourquoi ?

En étant maman et en vieillissant, on se sent un peu responsable de l’avenir de nos enfants et surtout on est conscient de la continuité de l’histoire familiale que ce soit la mienne ou celle de l’Homme en général.

C’est vrai que mon grand-père a vécu la Guerre. Mais son histoire est banale : il fait parti des 1 800 000 prisonniers de guerre. Donc raconter son histoire en soi , ça n’avait rien d’intéressant.

Mon héros, je lui ai donné son nom, son prénom et il exerce le même métier mais après je voulais transmettre un message aux jeunes autour de la guerre, un message positif sur les choix que l’on peut faire pendant un conflit. C’est une situation délicate, je ne sais pas moi-même si j’aurais sauvé des juifs mais si on ne se pose pas ces questions là, on ne saura jamais. C’est un message optimiste, c’est avant tout un message d’espoir, qui malheureusement est encore d’actualité par rapport à toutes les formes de haines.

Pourquoi avez-vous choisi d’incarner vos personnages en animaux anthropomorphes ?

C’est venu naturellement, je n’avais pas d’autres possibilités. Je viens de la Jeunesse et j’ai toujours dessiné des animaux sauf Lili Pirouli. La question ne s’est même pas posée, je ne me suis pas demandé si j’allais faire des êtres humains. J’aime utiliser des animaux pour en faire des héros que je rends humains. Les héros animaux en bande dessinée ont toujours existé en commençant par Mickey ou Babar. Les animaux pour les enfants, c’est un langage qui leur parle.

Il y a une opposition frappante entre Jules un gros cochon et de frêles chatons. Jules, grand et costaud qui protège les plus petits. Est-ce voulu ?

C’est rigolo, on me dit tout le temps ça ! J’ai fait de l’illustration parce que j’aimais le personnage d’Ernest de Gabriel Vincent dans Ernest et Célestine. J’étais fascinée par ce grand ours qui protégeait une minuscule souris. D’ailleurs, un de mes livres préférés c’est La naissance de Célestine où l’on voit ce tout petit bébé souris. J’ai la chance d’avoir cette faculté de dessiner ces tous petits qui peuvent être protégé par des grands.

« Jules : C’est un modèle pour nous tous ! »

Au delà de la simple question de la Guerre, il y a d’autres thématiques fortes, notamment : Jules est un homme seul, abandonné par sa femme et qui sombre dans l’alcool…

Jules c’est un personnage comme vous et moi, ce n’est pas un héros. Il est un peu alcoolique sans doute et la vie ne lui a pas souri, mais surtout il n’a pas l’étoffe de quelqu’un qui va sauver des gamins. Il a bon cœur, c’est un anti-héros. Il va prendre des risques insensés pour sauver ces enfants. C’est un modèle pour nous tous ! C’est ce que je voulais faire dès début : un personnage lambda.

« On est responsable des uns et des autres et pas forcément que de soi-même »

La notion de Juste parmi les nations, qu’est-ce que ça fait résonner en vous ?

C’est important surtout à notre époque parce que nous aussi un jour on peut être confronté à ce genre de décision. C’est-à-dire faire fi des préjugés sur les gens et sur leur croyance ou sur leurs origines. Mon point de vue, c’est que l’on est tous humains et qu’on est tous là pour s’aider, s’entraider.

Avec ce qui se passe ces derniers temps, on a besoin de se questionner. Ce ne sont pas des questions qu’il faut esquiver, on est des êtres humains, on a un planète, on est responsable des uns et des autres et pas forcément que de soi-même. Si on veut continuer ensemble, il faut aller dans le bon sens, dans celui auquel je crois : la solidarité, l’entraide.

Est-ce compliqué d’aborder ces thèmes pour les plus jeunes ?

Oui, c’est toujours délicat de raconter ce style d’histoire aux enfants mais en même temps ce qui m’a poussé à le faire, c’est que j’ai vu des films ou j’ai lu des livres qui étaient tout à fait abordables, s’éloignant de l’horreur, mais qui permettaient de délivrer un message d’espoir.

Sur quelle documentation vous êtes-vous appuyée ?

Même si c’est une fiction, je ne voulais pas faire d’erreurs par rapport au temps, aux lieux ou aux véhicules par exemple qui devaient être identiques à ceux qui circulaient pendant la guerre, les armes ou les vêtements des policiers. J’ai donc fait des recherches sur internet et trouvé des références.

Entre l’idée et la finalisation de la l’album, quel temps s’est-il écoulé ?

Il m’a fallu à peu près trois ans. L’histoire semble simple mais ce n’est pas si évident que cela. Mon plus grand souci c’était qu’il fallait que ce soit lisible, compréhensible et juste par rapport au public concerné.

D’ailleurs, comment le public réagit lorsqu’il lit Jules B. ?

Je n’ai pas encore trop de retour car il vient juste de sortir, il commence tout juste à entrer dans les écoles. Plutôt des retours des adultes qui s’en sont emparés.

J’ai fait quelques interventions et je suis satisfaite parce qu’ils ont été super intéressés et ont posé beaucoup de questions. L’accueil qui est réservé à cet album est exceptionnel et j’ai envie de remercier tous mes lecteurs !

Cette histoire est aussi une bonne entrée pour discuter de la Guerre…

C’est un peu un support pédagogique pour aborder les histoires de la guerre en général, de la déportation, des Justes, de la shoah ou de la résistance.

Dans votre œuvre, Jules B est donc un coup de cœur ?

C’est un peu une histoire intime. C’est d’abord celle de ma famille, même si ça ne s’est pas passé exactement comme ça. Lili Pirouli, je n’ai pas de messages à faire passer, juste que les enfants vont bien rigoler. Alors que là c’était plus sérieux, si je puis dire. Je me suis surtout dit que je prenais un gros risque.

Etes-vous étonnée par les retours positifs de la presse ?

Oui, la presse était enchantée. J’ai eu des dizaines de chroniques très sympa et je suis vraiment touchée. Je le reçois positivement. On fait un livre, puis après il ne nous appartient plus, il appartient aux lecteurs.

Comme c’est un peu mon premier vrai grand récit, j’avais un peu peur parce que je me livre même graphiquement. Je me suis vraiment engagée et je n’ai jamais fait un travail aussi long. Au niveau du dessin, d’habitude ça me prend 3/4 mois maximum mais là un an, c’était important.

Lili Pirouli est un tournant parce que vous entrez dans le monde de la bande dessinée et Jules B. est un tournant parce que c’est votre premier grand récit…

Oui et en même temps ça m’encourage. Je vais en faire d’autres. Je ferais des albums et de la bande dessinée, ça c’est sûr !

Le Festival BD Boum de Blois tient une place particulière dans l’élaboration de Jules B. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La vraie chance pour cet album c’est que BD Boum m’a accompagnée l’année dernière. Ils ont vu et retenu mon projet et ils m’ont accueilli en résidence à la Maison de la BD à Blois, pendant quatre mois. Ce qui m’a permis de terminer cet album, de rencontrer plein de personnes qui sont en lien avec le thème. Ils ont vraiment porté cet album.

Comment se composent vos journées de travail ?

Je travaille chez moi dans mon atelier, dans mon sous-sol et je travaille bêtement aux horaires d’école. Quand j’ai déposé mes enfants à l’école et que mon mari est au boulot, je suis tranquille chez moi de 8h à 17h (rires). Je peux même rebosser dans le train et parfois, le samedi et le dimanche, je retouche des planches.

J’arrive à faire un dessin propre du premier coup, je m’applique beaucoup, je n’aime pas me tromper. Je peux me tromper au brouillon mais pas quand je passe sur les planches.

J’essaie de garder à l’esprit que l’album, il n’est pas que pour moi, il est aussi pour le public et je sais combien les lecteurs de bande dessinée peuvent être des passionnés bien plus qu’en jeunesse et que ça va sûrement réjouir leurs yeux de voir un dessin bien fait, bien léché, bien coloré. Mes moyens sont un peu réduits par rapports à d’autres auteurs de bande dessinée mais j’essaie toujours de faire au mieux, si possible.

Je ne sais pas comment font les autres, mais moi je travaille aussi pendant les vacances. Quand je ne dessine pas sur un album, j’ai hâte de me mettre sur une prochaine création, que je vais ensuite pouvoir présenter, ça me turlupine mais ma famille y est habituée et mes enfants sont grands maintenant donc je peux me permettre de longues heures derrière ma table à dessin, chose que je faisais moins lorsqu’ils étaient plus petits.

J’encre en couleur directe même si c’est long. Mes prochains albums, ce sera du direct parce que c’est super agréable. Sur Lili Pirouli, je travaille sur tablette graphique.

« Des ronds dans l’o est une maison d’édition engagée, qui défend bien les albums »

Quelles sont vos relations avec Marie Moinard, votre éditrice et Des ronds dans l’o ?

Des ronds dans l’o est une maison d’édition engagée, qui défend bien les albums même Lili Pirouli. Marie Moinard aime bien cette petite héroïne qui prend position, qui est ferme et qui a des idées. Elle défend bien mes projets et plus particulièrement Jules B, parce que ce n’est pas un projet qui a toujours été facile à placer au départ. Des histoires de Justes, il y en a déjà eu. Mais quand elle l’a vu, elle le savait, c’était pour elle. Je suis reconnaissante de m’avoir permis de mener ce projet jusqu’au bout parce que sans sa détermination, son soutien, il n’aurait sûrement pas existé de la même manière .

Article posté le vendredi 09 décembre 2016 par Damien Canteau

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

Armelle Modéré est née en 1971 et publie ses premiers albums en 2001

  • Les petites vies d’Apolline, Didier Dufresne, Mango Jeunesse, de 2001 à 2005
  • Rien qu’une petite grippe, Didier Dufresne, Ecole des loisirs, 2002
  • Mais tu marches, Didier Dufresne, Ecole des loisirs, 2003
  • Le cadeau de Mémé Loup, Didier Dufresne, Atelier du Poisson Soluble, 2008
  • Lili Pirouli, tome 1 : Tous avec moi, avec Nancy Guilbert, Des ronds dans l’o, 2014
  • Lili Pirouli, tome 2 : Demain je serai présidente,  avec Nancy Guilbert, Des ronds dans l’o, 2014
  • Lili Pirouli, tome 3 : En avant toute, avec Nancy Guilbert, Des ronds dans l’o, 2015
  • La grosse faim de Cap’tain Lupo, avec Christelle Vallat, Frimousse, 2016
  • Jules B., Des ronds dans l’o, 2016

Son blog : http://armellemodere.blogspot.fr/

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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