Surmédiatisation, gloire éphémère et dépression pour Miss D, une star de la délinquance. Michael DeForge dresse son portrait dans Brat, un album dérangeant et cynique chez Atrabile. Génial !
Miss D. : délinquante juvénile
La reconnaissance médiatique de Miss D, elle la doit à ses mises en scène d’actes de délinquance. Depuis de nombreuses années, elle aime à se montrer dans ces postures pour la gloire.
Elle est devenue une star des réseaux sociaux. Prise comme modèle par la jeunesse, elle monnaye son image. Plus fort encore, elle tourne dans des publicités ou des films. Des goodies sont même vendus à son effigie. Elle vit donc de cette éphémérité.
Pourtant, elle aimerait bien passer à autre chose. Miss D. joue avant tout sur la fibre nostalgique mais ça ne va qu’un temps. Elle se force même lors de conférences de presse.
Dépression à tous les étages
Miss D se pose de multiples questions. Cette gloire, elle n’en veut plus. Les canulars et autres farces, ce n’est plus pour elle. Elle sombre dans une longue dépression.
Ce qu’elle préfère maintenant, c’est observer une grand-mère et son petit-fils dans leur jardin; prendre son temps et ne plus être sollicitée.
Pire, les policiers ne l’arrêtent même plus lorsqu’elle met le feu à l’une de leurs voitures. Normal, ces jeunes pousses bleues ont grandi avec elle. Elle est leur exemple !
Brat : gloire éphémère d’une star des réseaux sociaux
Après les magnifiques La fourmilière, Dressing et Big Kids, Michael DeForge est de retour avec Brat, un album d’une grande justesse sur la glorification des stars des réseaux sociaux.
Comme à son habitude, l’auteur canadien possède un sens inné de l’observation de ses contemporains. Il vise juste et fort. Il met en scène, une femme devenue célèbre par ses actes de délinquance. Si elle les a effectué dans sa prime jeunesse – elle a connu la maison de correction – elle continue parfois pour entretenir son mythe.
Artificiels et superficiels, ces instants de notoriété pourtant se poursuivent dans le temps, au grand étonnement de Miss D. Elle pensait être balayé par les nouveaux venus.
Travail et dépression
Ce prestige n’est pourtant pas un métier au départ. Miss D a réussi à transformer cela en monnaie sonnante et trébuchante. Films, pubs, objets dérivés et conférences lui permettent de vivre. En cela, Brat est fort. Michael DeForge décrit les mécanismes d’une starification venue dont ne sait où et qui peut s’éteindre d’un seul coup.
Comment vivre avec la pression des fans ? Comment tourner la page lorsque ces instants sont passés ? Comment changer d’attitude ? Voilà les nombreuses questions mises devant les yeux des lecteurs. Pire, Miss D déprime sévère. DeForge met donc en scène ces moments de doute, de désarroi et de dépression. Pour nous montrer cela, l’auteur n’hésite pas à utiliser la poésie, l’onirisme et les rêves.
Quant à son dessin, il nous scotche toujours autant. Il est moderne et original. Jusqu’à présent, nous n’en n’avons pas vu de tel dans le monde du 9e Art. Personnages chewing-gum, grosses têtes et corps longilignes telles des ficelles sont le cœur principal de Brat. Le plus important étant les interactions entre les protagonistes et le cheminement intérieur de Miss D, d’où des décors a minima, voire de grands aplats en fond de vignette.
Brat : encore un album de fou signé Michael DeForge ! Un récit qui dérange, qui interpelle et qui questionne ! Top des tops !
- Brat
- Auteur : Michael DeForge
- Editeur : Atrabile
- Parution : 14 juin 2019
- Prix : 19€
- ISBN : 9782889230822
Résumé de l’éditeur : Une énorme star. Voilà qui est Miss D., une énorme star dans son domaine, à savoir la délinquance juvénile. Certes, elle est de moins en moins jeune, certes, il lui reste des fans zélés, certes elle compte bien se maintenir au top, mais la concurrence fait rage, et rester célèbre et adulée est un combat de tous les jours. Face aux médias, face à la compétition, elle doit accomplir un grand coup qui laissera le monde sur l’arrière-train. Dans Brat, Michael DeForge fait un pas de côté avec la réalité pour mieux taper sur notre petit monde, qui ne demande rien mais le mérite bien. Reconnaissance éphémère, sur-médiatisation du vide, quête stérile de la célébrité, récupération commerciale (de l’acte de rébellion, de l’idée de révolution), jeunisme à tout crin, voilà ce que tacle Michael DeForge, à l’heure où l’attitude a plus d’importance que le sens, où l’image est partout mais ne veut plus rien dire. Enfant de la modernité mais pas dupe pour autant, Michael DeForge est une espèce de génie versatile, imprévisible et passionnant à suivre, trublion surdoué de la bande dessinée nord-américaine, dont le travail nous hante et nous obsède. Véritable mine d’idées et d’inventions visuelles, sans barrière ni limite, Michael DeForge prouve, à chaque nouveau livre, l’incroyable potentiel d’un art (la bande dessinée!) qui n’a pas encore tout dit ni tout montré.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.
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