Bien souvent la colonisation des Amériques nous est décrite du point de vue européen. Celui des Conquistadors, ces hommes chargés par le pouvoir royal espagnol de conquérir le Nouveau Monde. Avec Celle qui parle, d’Alicia Jaraba publié chez Grand Angle, le point de vue est totalement différent. En effet, le récit s’intéresse à l’incroyable parcours de Malinalli une jeune femme mésoaméricaine qui va croiser le chemin d’Hernán Cortés.
Malinalli, une jeunesse à Oluta
1511. Malinalli vit avec sa grand-mère dans un village sous domination mexicas. À chaque fois que les Aztèques arrivent, le village d’Oluta doit leur fournir des villageois pour leurs sacrifices. Le père de Malinalli, qui était le chef, le cacique, de ce village, ne permettait pas qu’autant d’habitants soient enlevés à leurs proches. La jeune fille sait bien qu’un jour ce sera son tour, son père n’étant plus là pour la protéger.
Très jeune, Malinalli a appris à parler le Nahualt, la langue parlée par les Mexicas, en plus du Popoluca, sa langue natale. Son père pensait qu’il était important qu’elle puisse comprendre la langue de ses ennemis.
Une jeunesse bouleversée par un changement de vie.
Mais un jour Malinalli est enlevée, non pas par les Mexicas comme elle aurait pu l’imaginer, mais par des marchands d’esclaves à la solde des Mayas. La jeune fille va donc devoir travailler dans les champs de maïs en compagnie d’autres femmes. Mais Malinalli ne comprend pas la langue maya parlée par ceux qui l’entourent dorénavant. C’est alors que Zaazil, une femme qui connait des rudiments de Nahualt, va l’aider apprendre cette nouvelle langue.
Une jeune femme intégrée.
1519. Malinalli est devenue la concubine du cacique de son village maya et s’est adaptée à sa nouvelle vie. Un jour, les “hommes blancs de la mer” débarquent à Potonchán. Les habitants sont obligés d’aller se cacher dans la forêt. Comme la jeune femme le faisait quand elle était petite, pour échapper aux Mexicas. Les hommes blancs sont à la recherche d’or et pour cela, ils sont prêts à utiliser “des armes qui portent le tonnerre”.
De nouveau, Malinalli va faire partie de ces hommes et femmes qui seront donnés comme esclaves aux Conquistadors pour les aider à se déplacer sur ce territoire qu’ils ne connaissent pas.
Une nouvelle vie sous le signe d’un nouveau prénom.
À la tête de ces conquistadors se trouve Hernán Cortés (1485-1545), chargé par l’empereur Charles Quint (1500-1558) de conquérir l’Empire aztèque et de coloniser cette partie des Amériques. Il est accompagné par Jeronimo, un traducteur qui va traduire ses paroles en langue maya. Les colonisateurs étant catholiques, Malinalli est baptisée et reçoit comme nouveau prénom Marina.
C’est alors que Marina, avec sa connaissance des langues locales et de l’Espagnol qu’elle apprend rapidement, va pouvoir aider Cortés à se faire comprendre des populations locales. Et ainsi, faciliter l’avancée des Conquistadors jusqu’à Tenochtitlan, l’actuelle ville de Mexico, alors capitale aztèque.
Un parcours hors du commun
Le personnage de celle qui sera également appelée par la suite La Malinche ou encore Malintzin a réellement existé même si elle a pendant longtemps été occultée. C’est d’ailleurs une personnalité très controversée dans l’Histoire mexicaine. En effet, sa connaissance approfondie des langues locales, aurait permis à Hernán Cortés de faciliter sa conquête du territoire mésoaméricain. Certains lui reproche d’avoir fourni au chef des Conquistadors des éléments pour mieux comprendre les croyances locales.
A contrario, d’autres personnes pensent que son intermédiaire aurait évité aux populations locales de nombreuses violences.
Mais La Malinche ne se serait pas cantonnée à être une simple traductrice pour Hernán Cortés. En effet, la jeune femme sera sa maîtresse et aura un enfant, un fils, avec lui. Il s’avère difficile de connaître le niveau de dépendance existant entre eux deux.
Un récit mettant en avant une femme
Avant Celle qui parle, Alicia Jaraba avait travaillé précédemment avec Séverine Vidal sur L’onde Dolto et avec Naïma Zimmermann sur Les détectives du surnaturel. Pour Celle qui parle, elle est seule aux commandes de ce nouvel album. Si le parcours d’Hernán Cortés ne lui était pas inconnu, elle connaissait moins celui de La Malinche. Elle s’est donc intéressée à celle qui se trouvait derrière le “grand homme”. Une figure forte qui était à même d’expliquer la condition de la femme à cette époque.
L’intérêt de ce récit porte aussi sur l’importance de la communication et la maîtrise des langues. Quel aurait été le parcours du conquistador espagnol s’il n’avait pas pu communiquer avec les populations autochtones ? Il en est de même pour la connaissance des lieux et des coutumes.
Un dessin très expressif
Alicia Jaraba a choisi de nous présenter des personnages très expressifs dont les yeux retranscrivent à merveille les émotions. La jeune autrice réussit à faire passer une large palette de ces émotions uniquement par ce truchement.
Elle a également utilisé la superposition des bulles pour matérialiser les traductions effectuées par les différents protagonistes. Cette façon de faire est très ingénieuse et permet de mieux comprendre l’importance de la connaissance des différentes langues pour la communication entre les peuples.
Une lecture pour nous parler
Cet album, dont le titre Celle qui parle décrit parfaitement le propos de l’autrice, est une vraie réussite. Il met en avant la personnalité et le parcours d’une femme dont l’histoire n’était pas parvenue jusqu’à nous, surtout de notre côté des Pyrénées.
Un récit de femme sur une femme qui a dû essayer de faire ce qui était en son pouvoir pour s’adapter à deux cultures antagonistes dont les buts étaient totalement opposés.
Une femme dont les choix ne peuvent qu’être compris quand on réalise combien elle était dépendante, au péril de sa vie, des hommes qui l’entouraient.
Celle qui parle, une très belle lecture qui ne peut que nous parler.
- Celle qui parle
- Autrice : Alicia Jaraba
- Editeur : Grand Angle
- Prix : 24,90 €
- Parution : 30 Mars 2022
- ISBN : 9782491374419
Résumé de l’éditeur : « Fille d’un chef déchu, offerte comme esclave, elle est devenue l’une des plus grandes figures féminines de l’Histoire ». XVIe siècle. Malinalli est la fille d’un chef d’un clan d’Amérique centrale. Peu de temps après la mort de son père, elle est vendue à un autre clan pour travailler aux champs et satisfaire la libido de son nouveau maître. Un jour, d’immenses navires apparaissent à l’horizon, commandés par Hernan Cortez, obsédé par la recherche d’or. Le conquistador repère Malinalli et son don pour les langues. Elle sera son interprète et un des éléments clés dans ses espoirs de conquête. Elle sera également celle qui aura le courage de dire un mot interdit aux femmes de son époque : non ! Au-delà de la légende, voici l’histoire de la Malinche, vivante, jeune, inexpérimentée, souvent dépassée par les événements, mais avant tout, humaine.
À propos de l'auteur de cet article
Claire Karius
Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.
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