Quelle belle initiative! Après la très réussie réédition des aventures de Gil Jourdan, Dupuis continue de remettre au goût du jour l’oeuvre du génial Maurice Tillieux avec une magnifique intégrale de César.
Cette série a animé les pages de Spirou à la fin des années cinquante et appartient au family strip, littéralement « bandes familiales », dont l’Américain Geo Mc Manus avait été l’un des premiers à ouvrir la voie avec sa célèbre Famille Illico (Bringing up father) en 1913. Celle-ci a notamment influencé par la suite Jean Roba pour Boule & Bill.
Élément important de l’oeuvre de Maurice Tillieux, César met en scène le dessinateur de bande dessinée du même nom, célibataire de son état, la malicieuse Ernestine, fille de son voisin le taciturne agent de police Petitcarné, ainsi que la paresseuse femme de ménage Eglantine. César doit souvent s’occuper de la petite Ernestine, ce qui est fréquemment le point de départ à de nombreux gags et explique que la série soit également connue sous le titre César et Ernestine.
L’ancêtre de Boule & Bill
Le personnage principal a tout de l’anti-héros, accumulant à un rythme effréné les catastrophes domestiques sous l’œil d’un entourage ne faisant vraiment rien pour l’aider. Son voisin, l’agent Petitcarné le verbalise ainsi à outrance (3236 contraventions en 6 mois!) en déclarant « Je le verbalise pour son bien » tandis que César aime répéter « Ce qui est permis par la loi doit tenir sur la tranche d’un timbre poste! » Ajoutez à cela la répartie d’Ernestine et sa femme de ménage passant son temps à faire semblant de travailler et tous les ingrédients sont réunis pour que Tillieux amuse la galerie.
C’est le 11 juillet 1957 que les lecteurs du journal de Spirou (n°1004) découvrent César, presque un an après Gil Jourdan apparu à la rentrée 1956 (le 20 septembre avec le numéro 962) dans les pages de l’hebdomadaire du plus célèbre groom de la planète. Si César a les cheveux noirs, il possède déjà sa vieille Ford T, source de nombreux gags. Cette première histoire de deux pages s’intitule Petit divertissement en chambre. Il faut ensuite attendre le 3 avril 1958 et le numéro 1042 spécial printemps, pour que le personnage effectue un retour remarqué en compagnie de Ernest, le fils de son propriétaire l’agent de police Petitcarné… Le puzzle commence à s’assembler et deux autres récits suivent: le 7 juillet 1958 (n°1055) et le 2 juillet 1959 (n°1107).
le premier héros du journal Le Moustique
Quatre histoires en deux ans, c’est peu. Mais durant cette période, le personnage a évolué physiquement avant de connaitre un changement encore plus conséquent en migrant des pages de Spirou vers celles de l’hebdomadaire belge Le Moustique, propriété de Dupuis, né en 1924 et considéré par beaucoup comme une sorte de laboratoire pour le journal phare de la maison de Marcinelle. De jeunes auteurs y font leurs premiers pas et leurs histoires sont publiées aux côtés de bandes américaines.
Mais l’arrivée de César au Moustique se fait presque par hasard, suite au désir de Charles Dupuis (le M. Dupuis si souvent évoqué par le Gaston Lagaffe d’André Franquin) de voir ce journal posséder son propre héros. Maurice Tillieux exhume alors de ses cartons à dessins César et remplace Ernest par Ernestine, inspirée par sa fille cadette, Anne. C’est d’ailleurs de son propre quartier que l’auteur puise une grande partie de son imagination, un voisin étant à l’origine de l’agent Petitcarné (le « modèle » ne s’en serait jamais aperçu!) et le père de Gil Jourdan aurait eu à son service une femme de ménage aussi feignante qu’Églantine! La série animera durant sept ans les pages de l’hebdomadaire, du 31 décembre 1959 au 28 juillet 1966 avec l’ultime gag numéro 299. Maurice Tillieux estime alors avoir fait le tour de la question et n’a plus vraiment d’inspiration.
Une intégrale somptueuse
L’aventure éditoriale de César ne s’arrête pas pour autant. Ses gags sont republiés durant quatre ans dans Spirou (du numéro 1603 du 2 janvier 1969 au 1863 du 27 décembre 1973) et son équivalent néerlandais, Robbedoes. Fait amusant, certaines planches passent à la trappe car leurs jeux de mots sont intraduisibles…
Bien sûr, il y a déjà eu plusieurs albums de César. Deux sont parus au format « Gag de poche » dans les années 60 (César, César deuxième service), quatre en grand format cartonné dans les années 70 où la série est à cette occasion renommée César et Ernestine, et enfin les deux recueils Tout César en 1988 et 1989 (ils seront réédités en 1997). Mais l’intégrale en un seul recueil que viennent de sortir les éditions Dupuis est somptueuse et vaut à elle seule le détour.
L’ensemble des gags est réuni sous une magnifique couverture cartonnée en une compilation de 368 pages sur beau papier. On y trouve également un précieux et complet rappel historique, riche en anecdotes, ainsi que de nombreux dessins (ah ces belles couvertures de Spirou!) où Tillieux a mis en scène ce dessinateur inspiré de son propre quotidien.
Un must à retrouver avec nostalgie ou à découvrir avec appétit. Car si certains gags ont vieilli, cela reste, comme toute l’oeuvre de Maurice Tillieux, tout simplement génial.
- César, l’integrale
- Auteur : Maurice Tillieux
- Editeur : Dupuis
- Prix : 39 €
- Sortie : le 4 novembre 2011
À propos de l'auteur de cet article
Nicolas Albert
Nicolas Albert est journaliste à la Nouvelle République - Centre Presse à Poitiers. Auteur de plusieurs livres sur la bande dessinée (Atelier Sanzot, XIII 20 ans sans mémoire…) ou de documentaires video, il assure également différentes missions pour le festival international de la bande dessinée d'Angoulême : commissaire d’expositions (Atelier Sanzot, Capsule Cosmique, Boule et Bill, le Théâtre des merveilles, Les Légendaires…), metteur en scène des concerts de dessins, rédacteur en chef de la WebTV et membre du comité de sélection.
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