« Em silêncio, le livre qui rappelle salutairement que les migrants sont une part réelle de notre histoire française ».
La Boîte à Bulles continue sa mission de proposer des premiers albums à de nouveaux auteurs et autrices. En ce début d’année 2025, c’est Adeline Casier qui se présente à nous avec Em silêncio, un récit inspiré notamment des souvenirs de son grand-père, ayant immigré illégalement sur le territoire français dans les années 60, depuis un Portugal dictatorial.
Em silêncio : Quand le migrant, c’est aussi nous
1962. Dans les Pyrénées espagnoles, un groupe d’hommes essaye de se montrer discret. La Guardia Civil est sur leurs talons. Et ils n’hésitent pas à tirer. Ces hommes sont portugais. Ils tentent de fuir le régime dictatorial de Salazar et sa guerre en Angola. Mais atteindre la France et la démocratie, c’est dangereux. Mais comment faire autrement que fuir son pays ?
Une première œuvre graphiquement maîtrisée
Quand on publie une première bande dessinée, en tant que « petite » maison d’édition indépendante, on privilégie parfois le fond à la forme. Les nouveaux auteurs et autrices doivent faire leurs armes, apprendre le métier et renforcer leur dessin.
Ce n’est pas le cas ici avec Adeline Casier. Issue de l’Académie Royale des Beaux-Arts et des Arts Décoratifs de Tournai, en Belgique, maîtrise l’exercice. Son dessin pourra toujours évoluer et progresser, mais en l’état, il s’avère tout à fait à la hauteur de la publication à compte d’éditeur.
Ce dessin au crayon affiche de la souplesse et de l’énergie. Les personnages prennent vie avec vérité et sincérité. Mais il y a aussi quelque chose de tranchant, d’acéré, dans son coup de crayon. Un trait qui n’entend pas s’excuser d’être là et qui affirme sa volonté de transmettre l’histoire dont l’autrice est porteuse. C’est intense, c’est nuancé et c’est tant mieux.
Em silêncio : une œuvre dont on a besoin
Aujourd’hui en France, la parole d’extrême-droite est décomplexée. Elle est présente sur tous les principaux médias. Ce faisant, elle porte un discours anti-immigration qui prétend défendre une France pure de tout apport extérieur.
Et pourtant, Adeline Casier vient avec Em silêncio, nous rappeler que nous sommes des enfants d’immigrés. Que l’immigration qui s’imposait pour tenter de survivre à un régime dictatorial, nous l’avons connu. Ces portugais, nous les avons méprisés, les surnommant même « les portos ». Comme les « ritals » avant eux, ou les « polaks ». Et pourtant, ils ont construit notre pays, ces immigrés clandestins. Ils ont connu les bidonvilles, ils ont, eux aussi, travaillé comme des bêtes à des tâches ingrates, pour envoyer un peu d’argent à leur famille miséreuse restée au pays. Eux aussi, ils ont fait le nécessaire pour faire venir leur famille à eux. Ils ont fait cela pour vivre une vie heureuse, avec les leurs. Ce que leur pays ne permettait pas. Et ils sont devenus la France. Une leçon à mémoriser.
Intensité de la course poursuite
Pour passer ce message, Adeline Casier a eu l’intelligence de miser sur un récit d’action. Une course-poursuite entre migrants et forces de polices au cœur des montagnes. Elle compose un récit haletant, oppressant, qui vient rappeler la réalité de ce qu’ont vécu ces gens alors. Comment ils ont essayé de fuir et de survivre aux dictatures de la péninsule ibérique.
Merci pour Em silêncio
Oui, merci Adeline Casier et La Boîte à Bulles pour nous avoir offert ce récit. Il paraît dans une époque qui a besoin de remettre de l’humain derrière ces concepts invisibilisant que sont les mots « migrants » ou «flux migratoires ». Et nous dire que ce qui était vrai il y a soixante ans, le reste toujours aujourd’hui.
- Em silêncio
- Autrice : Adeline Casier
- Éditeur : La Boîte à Bulles
- Date de publication : 02 janvier 2025
- Nombre de pages : 160 pages
- Prix : 23€
- ISBN : : 9782849535257
Résumé éditeur : Nord du Portugal, octobre 1962. Depuis la prise du pouvoir par Salazar, les arrestations arbitraires s’enchaînent et la population ouvrière s’enfonce dans la misère. Lorsque João perd son emploi, il n’ose pas tout de suite en parler à sa famille et sombre dans le désespoir… jusqu’à ce qu’un ami lui parle de la France. Là-bas, dit-on, il y a du travail, il pourra y offrir une belle maison à sa famille et y vivre
heureux. Quelques semaines plus tard, un passeur vient chercher João chez lui et le guide jusqu’à la frontière espagnole. Comme des milliers de portugais avant lui, il s’élance sur les chemins sinueux de l’espoir, où la Guardia Civil espagnole guette et le silence est roi.
Adeline Casier revient au crayon graphite sur l’histoire de son grand-père, témoin de la grande vague de migration portugaise d’Après-guerre. Un hommage solidement documenté, empreint d’une poésie et d’une mélancolie rêveuses.