Keigo Shinzo est le roi de la tranche de vie et Hirayasumi, une nouvelle preuve de son incontestable maîtrise du genre. Hiroto est un freeter, un employé à temps partiel. Il habite, avec sa cousine en étude d’art, dans une maison de plein-pied. C’est un gars qui aime la simplicité. Il profite de chaque jour et nous fait profiter de chaque instant.
De fil en aiguille
Natsumi vient d’emménager à Tokyo, chez son cousin, Hiroto. Elle commence des études d’arts et a un caractère un tantinet grognon. Elle aurait bien aimé habiter toute seule, mais avoir un cousin sur place avec une maison… c’est mieux qu’un appartement hors de prix à la capitale. Alors elle emménage dans une chambre chez son cousin.
Cette maison, dans un coin calme de la ville, entourée d’arbre et de fleurs, appartenait à Madame Hanae. Elle était grognon, elle aussi, Madame Hanae. Une vieille dame rustique et dégourdie. Une dame peu amène avec son regard « plus rien ne peut me surprendre« . Hiroto l’aimait bien, cette vieille dame.
Leur rencontre s’est un peu faite par hazard. Et parce-que le garçon se laisse porter par ses pas au début du printemps – enfin tous les jours, mais surtout au début du printemps. De fil en aiguille, il a finit par emménager chez elle, puis de fil en aiguille, il a finit par en hériter. C’est ainsi qu’Hiroto peut accueillir sa cousine chez lui, dans la maison de Madame Hanae.
Hirayasumi
Bien sûr, Keigo Shinzo vous raconte tout cela avec plus finesse. Enfin, cette finesse dont vous prenez conscience à la fin de l’ouvrage. Car, tout le long du récit, vous ne savez pas trop si vous lisiez ou si vous vous promeniez de page en page. Au gré du vent, du soleil, des lampadaires qui éclairent la rue comme s’ils faisaient la fête, au gré de la pluie qui imbibe le linge laissé dehors, des bières bues entre amis, d’un livre de recette feuilleté en plein supermarché, du clic d’un appareil photo au premier jour de la rentrée….
Le mot Hirayasumi fait référence aux congés pris par un employé les jours fériés. Mais voyez-vous, pour Hiroto, même s’il travaille à temps partiel sur un stand de pêche, c’est un peu férié tous les jours. En tout cas, c’est ainsi qu’il nous le fait ressentir. Non pas parce-qu’il adore son travail (ça, on ne sait pas), mais parce-que le bonheur, c’est avant tout un état d’esprit.
Naviguer dans le temps
Keigo Shinzo jongle entre les relations d’Hiroto. Ici, Hirayasumi relate son quotidien avec Natsumi. Là, nous plongeons dans le passé – pas si lointain – où le presque trentenaire partageait ses repas avec Madame Hanae. Au fil des pages, les deux récits se mélangent. Avec Hiroto comme fil rouge, Hirayasumi tisse une toile des relations entre génération.
Keigo Shinzo parvient à nous raconter la solitude sans en dire un mot. Il soupoudre un peu de Hiroto au-dessus du quotidien esseulée de Madame Hanae, de la peur de vivre de Natsumi et un pont se créer. Des instants de simplicité deviennent un bouclier magique contre la tristesse et la crainte. Hiroto est le Hobbit qui rassure Madame Hanae et Natsumi.
« Je crois que ce sont les petites choses, les gestes quotidiens des gens ordinaires qui nous préservent du mal… de simples actes de bonté et d’amour ! » – Gandalf, Le Hobbit : Un voyage inattendu
A travers la bibliographie de Keigo Shinzo, il ne fait aucun doute que J.R.R Tolkien et l’auteur nippon partagent une certaine vision de la paix. C’est peut-être bien car Hiroto se laisse porter par les petites aventures du quotidien avec l’aisance d’un poisson dans l’eau qu’Hirayasumi nous fait tant de bien. Prendre la vie comme elle vient, avec une distance presque naïve, une simplicité de réaction qui vous rappelera sans doute Akari, ondine sur Aqua – alias Mars – dans la série Aria, the Masterpiece, de Kozue Amano. Akari et Hiroto ont en commun la tendresse bienheureuse qu’ils portent au monde. Une tendresse communicative à travers les pages.
Le poisson et la rameuse
Pourtant, Hirayasumi n’est pas fait que de ce quotidien tranquille. Keigo Shinzo parvient à nous tenir en haleine jouant sur notre perspicacité et notre méfiance envers lui.
Yomogi Tachibana, conseillère en immobilier, a la fâcheuse tendance à surgir dans le quotidien de notre héros sans qu’il la voit venir. A chaque fois leurs rencontres sont des fiascos d’une façon ou d’une autre. Yomogi est à cran tout le temps. Speed dans une vie qu’elle ne maîtrise à peine. Elle est l’opposée d’Hiroto (qui l’énerve beaucoup). Si lui est un poisson dans l’océan de la vie, elle est une rameuse en barque dans la tempête.
Sans nous dire que tout va changer, Keigo Shinzo murmure que Hiroto a encore beaucoup de chose à raconter derrière sa vie en apparence simple. C’est un peu cela, la magie d’un Keigo Shinzo. Le livre ne se glisse pas dans nos vies, nous glissons dans la vie du livre. L’auteur nous montre un paysage apaisant par dessus tout, où l’absurde est une douce surprise et où la complexité se trouve en profondeur. Laissant les personnages penauds, et le lecteur ravi.
Nota Bene :
Hirayasumi fait parti des titres en sélection pour le Prix Tezuka 2023. Ici la liste complète.
- Hirayasumi T1
- Auteur : Keigo Shinzo
- Éditeur : Lézard Noir
- Prix : 13 €
- Parution : 8 mars 2023
- ISBN : 9782353482788
Résumé de l’éditeur : Hiroko Ikuta, 29 ans, freeter (employé à temps partiel), a reçu en héritage une petite maison de plain-pied que lui a léguée une vieille dame avec laquelle il s’était lié d’amitié. Rejoint par Natsumi, sa jeune cousine qui vient d’arrive à Tokyo pour poursuivre des études d’art, ils entament sous le même toit une vie à la fois paisible et mouvementée !
À propos de l'auteur de cet article
Marie Lonni
"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !
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