Six mois à vivre, c’est peu, mais c’est suffisant pour rendre aux puissants la monnaie de leur pièce. Dans King of Spies, de Mark Millar et Matteo Scalera, le plus grand agent secret ayant vécu décide de se racheter.
KING OF SPIES : AU SERVICE SECRET DE SA MAJESTÉ.
Son nom est King, Roland King. Et pendant plus de quarante ans, il traversé le monde pour mener à bien les missions les plus périlleuses. Sauter sans parachute du haut d’un immeuble ou d’un hélicoptère en plein vol ne lui faisait pas peur. Il a tué des milliers de personnes et couché avec autant de femmes sans doute. Il a dû en laisser derrière lui des petits King… Mais à aucun moment il ne s’est retourné. Seuls comptaient l’adrénaline et le goût d’un devoir accompli sans se soucier de qui se trouvait face au canon de son arme.
KING OF SPIES : VIVRE ET LAISSER MOURIR.
Mais à 66 ans, celui fut le plus grand agent secret semble avoir enfin trouvé un adversaire qu’il ne pourra pas battre. Son nom : glioblastome.
« J’ai des médicaments pour les crises et la chimiothérapie peut me rallonger un peu. Mais même dans le meilleur des cas, je serai mort en été. »
Dans ce cas-là, on regarde autour de soi pour trouver un soutien indispensable. Mais aux côtés de Roland King, il n’y a personne. Il n’y a jamais eu personne d’ailleurs.
Alors quitte à partir, autant le faire avec panache.
« Six mois à vivre. Trois en bonne santé. Juste assez pour une dernière mission. Je vais liquider tous ces monstres et me racheter auprès de ceux que j’ai abandonnés. »
SON NOM EST MILLAR : MARK MILLAR.
Mark Millar est désormais un nom incontournable en matière de comics. Auteur d’œuvres mythiques comme Ultimates ou Old Man Logan, on lui doit aussi les séries Kick-Ass ou Kingsman, adaptées au cinéma. En 2017, Netflix rachète sa maison d’édition, Millarworld. Et depuis, presque toute la production du scénariste écossais semble destinée à être adaptée sur la plateforme. Ce fut le cas de Jupiter’s Legacy et de Super Crooks. Et d’autres titres tels que Chrononauts, Reborn ou encore American Jesus ont été évoqués.
Qu’on l’adore ou qu’on le déteste, on ne peut que reconnaître que Mark Millar a un style. Et ce dernier repose sur une recette simple, mais efficace.
LE STYLE MILLAR.
Depuis des années, le scénariste fait en effet reposer ses histoires sur l’utilisation d’ingrédients simples, mais qui, associés, constituent un cocktail détonnant.
Tout d’abord, il s’inspire d’une figure iconique de la pop culture. Dans le cas présent, il s’agit de James Bond. Puis, il va écrire sa propre version du mythe en partant d’une idée de départ qui doit être un savant mélange d’innovation et de déjà-vu. Avec King of Spies, l’idée est aussi simple qu’efficace : le plus grand des agents secrets se sait condamné et il va profiter de ses derniers mois pour rendre la monnaie de leur pièce aux puissants. L’association de l’innovation et du déjà-vu est bien là. Le contrat est bien rempli. Beaucoup crieront à l‘imposture, mais les faits sont là : cette idée, personne ne l’a jamais eue. Et elle fonctionne diablement bien.
UN DESSINATEUR D’EXCEPTION.
Autre élément caractéristique et absolument nécessaire : la présence d’un grand nom aux dessins. Dans le cas présent, il s’agit de Matteo Scalera . Et une fois de plus, l’artiste livre une prestation de très haut vol.
Parfaitement à l’aise pour retranscrire les scènes d’action, il s’en donne à cœur joie. Et pour notre plus grand plaisir, il nous en met plein les yeux.
On obtient donc une œuvre caractéristique du Millarworld.
Mais peut-on dire pour autant qu’une fois de plus que Millar réemploie le même moule ?
Hé bien non. Car cette fois-ci, on distingue une critique étonnamment précise.
DES TIRS DE PRÉCISION.
D’ordinaire, Mark Millar s’amuse à tout détruire sur son passage en utilisant l’artillerie lourde. Mais dans King of Spies, on sent l’auteur plus concerné et peut-être plus exaspéré que d’ordinaire par des affaires que la société a récemment mises en avant. Ou plutôt, par des affaires que la société a récemment voulu mettre sous le tapis…
Ainsi, on sera à la fois surpris et impressionnés par certaines cibles de Roland King.
Sans trop en dévoiler, mentionnons un prince vieillissant à Buckingham Palace ayant échappé à son jugement grâce à son statut. La prise de position est claire. Mais il y a encore plus troublant. En effet, on retrouve aussi un ancien pape parlant allemand. Et ce dernier croyait que les monstruosités qu’il avait commises tomberaient dans l’oubli avec son retrait et la venue d’un successeur. Roland King, lui, ne l’a pas oublié.
Avec King of Spies, paru chez Panini comics, Mark Millar nous livre un récit qui porte sa marque de fabrique. De la violence, de l’action, un très grand dessinateur. C’était attendu… Mais en plus, il présente une critique de notre société qui surprend et avouons-le, fait du bien.
- King of Spies
- Auteur : Mark Millar
- Dessinateur : Matteo Scalera
- Coloristes : Giovanna Niro
- Traductrice : Laurence Belingard
- Editeur : Panini Comics
- Prix : 19 €
- Parution : 26 octobre 2022
- ISBN : 9791039111010
Résumé de l’éditeur : Le plus grand agent secret du monde n’a plus que six mois à vivre. Va-t-il accepter de mourir tranquillement dans un lit d’hôpital, ou préfèrera-t-il se racheter de toute une vie de mauvaises décisions ? Après quarante ans à protéger un système inique, celui qui n’a plus rien à perdre change de camp. Une nouvelle série imaginée par Mark Millar, c’est toujours un événement ! Millar fait cette fois équipe avec Matteo Scalera (Deadpool, Batman) pour une approche bien particulière du mythe 007. Comme d’habitude, un hit en puissance !
À propos de l'auteur de cet article
Victor Benelbaz
Tombé dans la marmite de la bande dessinée depuis tout petit, Victor est un vrai amateur éclairé. Comics ou récits jeunesse sont les deux genres préférés de ce professeur de français.
En savoir