La jungle

A chaque album de Nicolas Presl, on est subjugué. Après Orientalisme, Priape, Levants et Les jardins de Babylone, l’auteur propose La jungle, un récit d’aventure antimilitariste et empli de liberté.

De la force des albums de Nicolas Presl

Si Nicolas Presl n’est pas un auteur connu du grand public, il l’est des amateurs d’histoires publiées par des maisons d’édition indépendantes. Je le dis à chaque fois mais les récits de l’auteur né en Vendée en 1976 sont toujours aussi forts, prenants et interrogateurs.

Si son graphisme pourrait mettre de la distance avec de potentiels lecteurs (les têtes au crâne plat, qui parfois se cognent contre les contours de cases), il faut se pencher sur ses merveilleuses planches. Sans texte, ses romans graphiques ont la force du cinéma. Son découpage est millimétré et ses compositions de vignettes excellemment mises en scène.

Orientalisme, Priape, Levants ou Les jardins de Babylone, muets mais bavards

Assez mystérieux – on ne connait pas grand chose de lui, Nicolas Presl est aujourd’hui à la tête de neuf albums qui forment un univers singulier et qui lui sont propres. L’on sait qu’il apprécie Pablo Picasso – d’où des visages très travaillés – et Francis Picabia mais également qu’il est professeur des écoles, détaché dans un lycée français de Sofia en Bulgarie.

Les récits de Nicolas Presl sont sans texte (Orientalisme, Levants ou Les jardins de Babylone) mais ne sont néanmoins pas vides de sens. Ils sont paradoxalement très bavards. L’auteur y glisse toujours des thématiques contemporaines fortes et interrogatrices. C’est encore le cas pour La jungle, un roman graphique intelligent en noir et blanc.

Dans la Jungle inhumaine

Alors que la guerre fait rage et que des bombes font exploser des immeubles, un homme armé fuit. Il fuit cette absurdité, cette jungle inhumaine. Il jette alors une grosse pierre sur son fusil qui se fracasse. Si la liberté commence à naître au fond de lui, il n’est pourtant pas encore véritablement libre.

Afin de ne pas être rattrapé, il doit se mêler à la foule. Il doit devenir un anonyme parmi les anonymes. Pourtant, les militaires sont là qui rôdent. Il prend alors un bus pour quitter la ville en proie aux combats.

Passeurs sans cœur

Alors qu’il est prêt à embarquer sur un immense paquebot, l’homme croise la route d’une mère et de son fils qui pleure. Après avoir réussi à le faire arrêter de pleurer, ils sont séparés.

Le lendemain, le soleil se lève, des femmes, des hommes et des enfants grimpent sur un bateau de fortune après avoir soudoyé des passeurs sans cœur. Là, le fuyard reconnaît la mère et son fils. Importunée par des salauds, la femme ne peut se défaire des mains baladeuses du pilote du navire. C’était sans compter sur notre homme dégainant un couteau et venant égorger cet homme…

La jungle, la vie, la liberté, les démons et l’amour

Comme dans son album précédent, Les jardins de Babylone, Nicolas Presl lorgne du côté de la science-fiction. Il en glisse quelques petites touches pour ancrer son récit dans l’intemporel.

La jungle inhumaine des militaires et autres passeurs pourtant laisse passer des éclaircies. L’homme solitaire rencontre une femme et leur histoire tend vers de l’amour. Mais il n’est jamais serein. Il est hanté par des démons, des fantômes du passé. Des hommes qu’il aurait tué ?

C’est un vrai récit d’aventure que Nicolas Presl nous dévoile. Comme dans un road-trip, La jungle déplace ses héros toujours et encore. Même s’ils s’arrêtent un temps dans un pays où un gourou semble être le maître. Son emprise est spéciale sur les autres. Ils ne sont jamais tranquilles, obligés de bouger et de fuir. Et si la fuite n’était pas spécialement la panacée pour trouver le bonheur et la liberté ?

La jungle est un récit antimilitariste, fait de contraintes et de liberté. Encore un merveilleux album d’un auteur si mystérieux mais qui mériterait d’être encore plus connu.

Article posté le dimanche 25 septembre 2022 par Damien Canteau

La jungle de Nicolas Presl (Atrabile)
  • La jungle
  • Auteur : Nicolas Presl
  • Éditeur : Atrabile
  • Prix : 27 €
  • Parution : 07 octobre 2022
  • ISBN : 9782889231218

Résumé de l’éditeur : Des explosions ravagent la ville. Alors que les immeubles s’effondrent, un combattant fuit. L’homme se débarrasse de son arme, on le devine fatigué, on verra bientôt qu’il est hanté par la mort. Alors qu’un vaisseau traverse le ciel, l’homme trace son chemin dans la foule. Fuir, encore plus loin, quitte à changer de vie, de pays. Quitte à traiter avec des passeurs, à embarquer dans une chaloupe vétuste avec d’autres fuyards, guidés par l’espoir. Commence alors une épopée noire emplie d’embûches et de défis, dans un récit qui mélange habilement (science) fiction et actualité.
Si dès ses prémices, La Jungle vous saisit à la gorge pour ne plus vous lâcher durant ces trois cents et quelques pages, c’est que son auteur a atteint une maîtrise narrative qui transforme son nouveau livre en un véritable « page turner » peuplé de rebondissements et de visions hallucinées, des images qui continueront à accompagner le lecteur une fois le livre terminé – à l’image de son héros, poursuivi par ses propres fantômes.
C’est un récit dur et en même temps incroyablement beau que nous offre ici Nicolas Presl, un récit où souffle le grand vent de l’aventure tout en portant un regard pour le moins désenchanté sur un monde en totale perdition.

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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