L’armée des ombres

Ecrit en 1943 au coeur de l’Occupation, le roman culte de Joseph Kessel, L’armée des ombres, fait aujourd’hui l’objet d’une belle adaptation dessinée. Le scénariste Jean-David Morvan et le dessinateur Emmanuel Moynot y donnent toute la mesure de leur talent.

L'armée des ombres de Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot et Benoît Lancou, d'après le roman de Joseph Kessel (éditions Philéas)

Une commande du général De Gaulle

Après la défaite de 1940, parvenu à Londres, Joseph Kessel, grand reporter et romancier déjà apprécié, s’engage dans les Forces Françaises Libres. En 1943, il est à Londres, où il a rejoint un certain général De Gaulle. C’est là qu’il va rédiger l’un des récits les plus célèbres consacrés à la Résistance, L’armée des ombres.

Ce livre, comme se plaisait à le souligner son auteur, n’est ni un livre de propagande ni un livre de fiction. Il a été dit-on, suggéré par le général lui-même au romancier. « Écoutez, lui aurait dit De Gaulle, ce que vous pouvez faire, puisque vous connaissez la vie de la Résistance, c’est d’écrire un livre pour apprendre au monde ce qu’est la Résistance française ».

Fin 1943, c’est chose faite. Dans ce livre, les lieux et les noms, voire certains faits, ont été modifiés pour préserver la sécurité des protagonistes, car il s’appuie sur des témoignages recueillis par l’auteur lors de rencontres avec des résistants et des résistantes.

L'armée des ombres de Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot et Benoît Lancou, d'après le roman de Joseph Kessel (éditions Philéas)

De l’écrit à l’écran

Livre-choc, livre-témoignage, livre-culte, les superlatifs n’ont jamais manqué au sujet de L’armée des ombres. Porté à l’écran en 1969 par Jean-Pierre Melville, avec Lino Ventura, Simone Signoret, Paul Crauchet ou encore Jean-Pierre Cassel, il retrouvera une nouvelle vigueur auprès des plus jeunes. Aujourd’hui, c’est la bande dessinée qui s’empare de cette armée des ombres, avec une réussite tout aussi éclatante.

L'armée des ombres de Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot et Benoît Lancou, d'après le roman de Joseph Kessel (éditions Philéas)

Un tandem bien accordé

Familier de la période de la seconde guerre mondiale, Jean-David Morvan a scénarisé sans le trahir le récit de Kessel. En 2022, associé à Madeleine Riffaud, la grande résistante disparue tout récemment à l’âge de 100 ans, il avait d’ailleurs reçu le prix du meilleur scénariste au festival international de la bande dessinée d’Angoulême. La même Madeleine Riffaud qui a signé la postface de cet album.

Au dessin, avec la collaboration de Benoît Lacou, on appréciera particulièrement la patte d’Emmanuel Moynot . Ce dernier retrouve ici un style quelque peu « tardiesque », lui qui avait repris, le temps de quelques albums, les aventures de Nestor Burma.

Avec un « jeté au pinceau » qui lui est propre, des clairs obscurs et des couleurs contrastées (On les doit au travail soigné du trio Hiroyuki Oshima, Adèle Martin et Alizée Bertheloot), un souci du détail documentaire, il restitue avec force l’atmosphère d’une époque qu’on devine ballottée sans cesse entre espoirs et renoncements, trahisons et solidarités.

L'armée des ombres de Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot et Benoît Lancou, d'après le roman de Joseph Kessel (éditions Philéas)

« Jamais la France n’a fait guerre plus haute et plus belle… »

En 114 pages, cette adaptation restitue l’essentiel des histoires individuelles de ces hommes et femmes résistants. En premier lieu celle de Philippe Gerbier, cadre de la résistance, qui en est le narrateur principal. A ses côtés, d’autres ombres évoluent au gré des événements.

De Lemasque au Bison, en passant par Mathilde, cette galerie de portraits retrace les destinées souvent tragiques de celles et ceux qui ont dit non. « Jamais la France n’a fait guerre plus haute et plus belle, notait Kessel dans son introduction, que celle des caves où s’impriment ses journaux libres, des terrains nocturnes et des criques secrètes où elle reçoit ses amis libres et d’où partent ses enfants libres, des cellules de tortures où malgré les tenailles, les épingles rougies au feu et les os broyés, des Français meurent en hommes libres ».

L'armée des ombres de Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot et Benoît Lancou, d'après le roman de Joseph Kessel (éditions Philéas)

Indispensable travail de mémoire

Publié par la jeune maison d’édition Philéas en partenariat avec le Musée de la Résistance nationale, l’album regorge de nombreuses informations et références historiques. Un cahier illustré de 12 pages complète le récit dessiné. Il a été réalisé par Thomas Fontaine, docteur en Histoire, directeur des projets du Musée de la Résistance.

Ce travail de mémoire réussi vient à point rappeler quelques valeurs essentielles, quand ici et là sur la planète certains voudraient réécrire l’histoire et agiter à nouveau de vieux démons…

Article posté le dimanche 01 décembre 2024 par Jean-Michel Gouin

L'armée des ombres de Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot et Benoît Lancou, d'après le roman de Joseph Kessel (éditions Philéas)
  • L’armée des ombres
  • Scénariste : Jean-David Morvan
  • Dessinateurs : Emmanuel Moynot et Benoît Lancou
  • Editeur : Philéas
  • Prix :  22, 90 €
  • Nombre de pages : 136
  • Parution : 17 octobre 2024
  • ISBN : 978 2 38502 031 6

Résumé de l’éditeur. En 1943, Joseph Kessel est déjà un écrivain et reporter reconnu. Après la débâcle de 1940, il rejoint les forces françaises libres, à Londres. Il y recueille des témoignages d’agents clandestins de passage. Dans l’intention de faire découvrir au monde les valeurs de la résistance française de l’intérieur. Fin 1943, l’armée des ombres est publié à Alger. La capitale provisoire de la France-libre. Pour Kessel – même si pour des raisons de sécurité évidente. Les noms des protagonistes et les lieux ont été changés – ce récit est une non-fiction : « Il n’y a pas de propagande en ce livre. Aucun détail n’y est inventé. On ne trouvera assemblés ici que des faits authentiques. Les sources sont nombreuses et sûres. Pour les caractères. Les situations, la souffrance la plus nue et pour le plus simple courage. Il n’y avait qu’un tragique embarras du choix. Je voulais tant dire et j’ai dit si peu…»

À propos de l'auteur de cet article

Jean-Michel Gouin

Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.

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