Un tourbillon d’animaux se racontent et se rencontrent dans le magnifique album Le discours de la panthère de Jérémie Moreau. Un agrégat d’histoires courtes d’une grande beauté et d’un onirisme philosophique d’une rare finesse. Dépaysant et questionnant !
Buffle sauveur d’île
Tapi derrière des rochers, un varan attend le moment propice pour attaquer un buffle. Il bondit et mord le jarret du bovidé. Son venin va se distiller lentement, emmenant l’animal à mourir. Le reptile n’est pas pressé.
Pourtant, le buffle est énervé. Il est en mission : sauver l’île d’une météorite. En poussant le montagne en son centre avec ses cornes, le bovidé la déplacera et donc changera l’impact. La roche en fusion tombera alors dans l’eau.
Le varan est désolé, il vient de comprendre que son geste risque d’affaiblir le buffle et donc de faillir dans sa mission. Il décide alors de l’aider à pousser la montagne.
De la laideur de l’autruche
De son côté, une autruche se désole. Se pensant laide, elle tente de se cacher du monde en enfouissant sa tête dans la terre. Souvent, elle court pour qu’on ne la voit pas et ne boit que la nuit.
Alors qu’elle a la tête dans le sable, l’autruche sent quelque chose sur son dos. Elle sort de son trou et découvre un petit oiseau lui picorant les plumes. Est-ce un buphagus, sorte de piqueboeuf ? Le volatile lui explique que lorsqu’il aime, il ne peut pas s’empêcher de faire cela. Étourdie par cet amour, l’autruche le garde sur son dos. Ils partent alors vers le sud.
Le discours de la panthère : animaux philosophes
Il en va comme cela de plusieurs récits dans Le discours de la panthère, histoires qui s’imbriquent avec habileté. Jérémie Moreau met uniquement en scène des animaux dans ce superbe tourbillon philosophico-onirique.
Ainsi, « une mémoire d’éléphant » est personnifiée par un vieux pachyderme tentant de léguer tout son savoir à son descendant. Quant au petit étourneau qui ne veut plus suivre son clan dans les airs, se trouve en face de nombreuses difficultés. L’union fait la force, il l’apprendra à ses dépens.
En choisissant des animaux, tel Esope ou Jean de La Fontaine, Jérémie Moreau peut aborder des questions existentiels des êtres humains. Si l’on a rien « inventé » – tout ce trouve dans la nature – les êtres vivants se posent les mêmes problématiques que leurs frères humains.
Voyages spirituels
Ainsi, l’auteur de Tempête au haras et Les plis de Penss joue avec les particularités physiques et psychologiques de ces animaux pour les mettre en face d’obstacles de la nature : le bernard l’hermite doit chercher sa coquille pour se protéger et un singe pleure la perte d’un être cher.
En évitant de mettre en scène l’homme, Jérémie Moreau redonne toute sa place aux animaux et peut ainsi magnifier toute la sagesse animale. Cette décentration est un vrai parti-pris, un délice pour enrichir notre conception de la nature qui nous entoure. Néanmoins, il ne donne jamais de leçons, il laisse ses planches et les animaux parler pour lui.
Le discours de la panthère transpire des lectures de l’auteur de La saga de Grimr. Il fait ainsi référence aux courants ethnologiques et naturalistes de Claude Levi-Strauss, Philippe Descola et Nastassja Martin; des philosophes Vinciane Despret et Baptiste Morizot. Ces pensées, d’ailleurs il continue de les nourrir en regardant des vidéos en ligne ou en écoutant des podcasts.
Féerie de couleurs
Pour Le discours de la panthère, Jérémie Moreau magnifie ses planches de décors et de couleurs chatoyantes, féériques et lumineuses. L’auteur de Max Winson a amassé énormément de documentations iconographiques et photographiques pour les animaux , ainsi que pour les vastes étendues terrestres et maritimes.
Lorsqu’il dessine un décor, il a à cœur de « dessiner les forces invisibles » – les forces telluriques – afin d’y imprimer du mouvement et des vibrations.
En ce qui concerne le trait, Jérémie Moreau admet qu’il y a du Little Nemo de Winsor McCay – son plus grand choc esthétique – mais également du Babar de Jean de Brunhoff dont il a redécouvert la force lors de ses lectures à sa fille pendant le confinement.
Le discours de la panthère nous mène aux origines du monde, au côté du règne animal, celui en mouvement, en recherche permanente d’abris et de nourriture. Et si Jérémie Moreau nous faisait changer de vision du monde qui nous entoure ?
- Le discours de la panthère
- Auteur : Jérémie Moreau
- Éditeur : 2024
- Prix : 26 €
- Parution : 22 octobre 2020
- ISBN : 9782901000464
Résumé de l’éditeur : Un buffle pousse de toutes ses forces sur la paroi, enfonçant sa tête dans la roche pour déplacer une île ; c’est qu’une comète, qui file dans le ciel, viendra bientôt heurter la surface et exploser ce bout de terre. Il le sait, il l’a vu dans ses rêves, c’est ce qu’il dit au varan qui le rejoint dans son effort. C’est ainsi que commence ce récit, formé de plusieurs histoires courtes où les animaux occupent seuls le devant de la scène. Au fil de ces récits, on suit un étourneau perdu en pleine migration, une autruche qui doute, un jeune éléphant apprenant l’histoire du monde… Cet ensemble de paraboles d’une grande force d’évocation nous replonge dans les délices des fables de La Fontaine autant que dans les images tourmentées du Livre de la Jungle. Habilement, Jérémie Moreau parvient à décentrer notre regard et à dépasser l’apologue moral humaniste ; les animaux deviennent des vivants, aux existences et aux beautés singulières. Après la Saga de Grimr et Penss, Jérémie Moreau, en pisteur qui sait lire les signes et les traces, continue d’explorer, dans ce Discours de la Panthère, les chemins qui mènent aux origines du monde.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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