Le manifeste des 343

Bien avant la Loi sur l’IVG, portée par Simone Veil, 343 femmes courageuses décident de signer Le manifeste des 343 publié dans Le nouvel Observateur. Poussé par Nicole Muchnik dans la rédaction de l’hebdomadaire, il est un fait historique important dans la lutte pour les droits des femmes. Adeline Laffitte, Hélène Strag et Hervé Duphot mettent en image le long processus jusqu’à sa publication. Passionnant et militant !

Un vent de liberté ?

Paris, 1970. Deux ans après Mai 1968, la France progresse lentement. Pourtant, les libertés durement gagnées pendant les soulèvements populaires sont attaqués de toute part.

De leur côté, quelques militantes pour les droits de femmes veulent faire bouger les choses plus vite. C’est ainsi que quelques-unes se réunissent sous l’Arc de triomphe pour rendre hommage à la Femme du soldat inconnu. Mais le patriarcat à encore de beaux jours devant lui.

La loi sur l’avortement est-elle en train de changer ?

Nicole Muchnik est stagiaire au Nouvel Observateur. Discrète, c’est une vraie militante de gauche. Surveillée de près par son chef Gilbert, elle tente d’imposer ses projets d’articles à la rédaction.

Du côté des Femmes, on sent aussi un frémissement. La loi sur l’avortement est-elle en train de changer ? Le docteur Claude Peyret, député de la Vienne, veut l’élargir en cas de malformation fœtale.

Illégal en France à cette époque, l’avortement est pratiqué clandestinement par des médecins et des faiseuses d’ange au grand risque de celles qui doivent y avoir recours. Les aiguilles et les cintres sont malheureusement encore d’actualité dans certains pays aujourd’hui.

Le manifeste des 343 : un long processus

Proche de Sylvie, la gardienne de son immeuble, Nicole l’accompagne à l’hôpital. La jeune femme non-soutenue par sa mère, vient à peine de subir un avortement clandestin. Cette tragédie ouvre encore plus les yeux à Nicole. Elle veut enquêter sur ce dossier. Elle décide de donner la parole à des médecins dans l’illégalité ou à des femmes ayant avorté en secret.

Elle se rend aussi aux États généraux de la femme. Elle y reçoit un tract du Mouvement pour la libération des Femmes qui milite pour un avortement libre et gratuit.

Au Nouvel Obs, elle tente le tout pour le tout : monter une tribune où des femmes célèbres diraient publiquement qu’elles ont avorté. Réticent au début, Gilbert se saisit du dossier. Une demande est faite à Simone de Beauvoir pour rédiger la tribune…

Le manifeste des 343 préfigure de la loi Veil sur le droit à l’avortement

Alors qu’il avait admirablement mis en images les mois précédents la législation sur le Droit à l’avortement dans Simone Veil l’immortelle, il semblait logique qu’Hervé Duphot s’empare du sujet sur Le manifeste des 343.

L’auteur du Jardin de Rose a accepté le projet émanant d’Adeline Laffitte et Hélène Strag. Les deux scénaristes ont construit leur récit autour de Nicole Muchnik, une journaliste ayant impulsé la publication du célèbre texte.

Du courage et de la volonté de faire bouger les lignes

Le manifeste des 343 repose donc sur la volonté farouche de Nicole Muchnik pour tenter de mettre en place la tribune de Simone de Beauvoir, de réunir les signataires et de surmonter les obstacles; en premier lieu la rédaction du Nouvel Observateur, peu encline à la suivre au début.

Ce texte datant du 5 avril 1971 accueillit notamment les signatures de Catherine Deneuve, Brigitte Fontaine, Ariane Mnouchkine, Catherine Arditi, Jeanne Moreau, Françoise Fabian, Françoise Sagan, Yvette Roudy, Bernadette Lafont, Danièle Lebrun ou Delphine Seyrig. Il permit d’ouvrir le débat et de mettre le focus sur ces femmes ayant subi un avortement clandestin. Ces célébrités parlaient alors pour toutes les anonymes.

Dans le même temps, l’avocate Gisèle Halimi – signataire du Manifeste des 343 – médiatisait le procès de Bobigny en 1972 dans lequel cinq femmes étaient accusées d’avortement après un viol. Cette affaire devenait alors une formidable caisse de résonance pour cette grande cause. Néanmoins, il fallut deux ans pour que Simone Veil monte à la tribune pour défendre sa loi sur le droit à l’avortement.

Pour connaître les péripéties de ce grand texte législatif, parcourez la bande dessinée Simone Veil l’immortelle. Le manifeste des 343 et ce dernier sont donc deux albums importants, notamment pour découvrir l’envers du décor mais aussi pour entamer un dialogue avec les jeunes générations.

Article posté le samedi 28 novembre 2020 par Damien Canteau

Le manifeste de 343 de Laffitte, Strag et Duphot (Marabulles)
  • Le manifeste des 343, histoire d’un combat
  • Scénaristes : Adeline Laffitte et Hélène Strag
  • Dessinateur : Hervé Duphot
  • Éditeur : Marabulles
  • Prix : 17,95 €
  • Parution : 07 octobre 2020
  • ISBN : 9782501133098

Résumé de l’éditeur : Le Manifeste des 343 a marqué l’histoire du féminisme français, et notamment la lutte pour le droit des femmes à disposer de leur corps et la revendication du droit à l’avortement. A l’origine, c’était une pétition parue le 5 avril 1971 en une du Nouvel Observateur. Dans ce texte rédigé et soutenu par Simone de Beauvoir, 343 Françaises, connues ou inconnues, affirment « Je déclare avoir avorté », s’exposant à des poursuites pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement car, en 1971, l’avortement est illégal en France. Cet appel à la dépénalisation et la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse ouvre la voie à l’adoption, quatre ans après, de la loi Veil. Cet acte militant, qui part de la rédaction du Nouvel Observateur, porté par le MLF (Mouvement de Libération des Femmes), sera un vrai coup de tonnerre pour l’opinion publique. Dans ce livre, l’histoire est racontée du point de vue de celles et de ceux qui l’ont construite, notamment celui d’une journaliste engagée, Nicole Muchnik, qui a initié et suivi cette action. Aujourd’hui, il est important de transmettre cette mémoire, alors que l’interruption volontaire de grossesse est régulièrement menacée ou remise en question par des groupes, très actifs sur les réseaux sociaux, répandant une propagande anti-avortement culpabilisant les femmes qui y ont recours.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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