Le prince Sébastien – bientôt marié – cache un secret : il aime porter des robes le soir venu dans les nombreux lieux branchés de Paris. Après avoir vu une pièce de Francès, jeune couturière, il l’engage pour qu’elle lui crée de nouvelles robes. C’est cette étonnante rencontre que Jen Wang met en scène dans Le prince et la couturière, un conte audacieux et moderne. Attention pépite !
Un prince à marier
Sébastien est le prince héritier de la couronne de Belgique. A seize ans, il est grand temps pour lui de trouver une épouse. En visite en France, sa tante la Comtesse Clémentine d’Artois invite toutes les jeunes filles de la grande noblesse du royaume pour venir le rencontrer.
C’est l’effervescence ! Tout doit être prêt pour tenter de séduire le plus célèbre célibataire européen. Les boutiques parisiennes de création de vêtements sont prises d’assaut. Lady Sophia Rohan et sa mère se rendent chez un couturier de la place. Il confie la jeune adolescente à Francès, une brillante apprentie.
La petite main travaille toute la nuit pour pouvoir rendre la robe pour le lendemain. Au palais de la Comtesse, la tenue de Sophia fait grand bruit, elle désarçonne tout le monde.
Sébastien et son secret
La création de Francès a fait grande sensation. Son patron cupide est à deux doigts de la renvoyer lorsque arrive Emile, le majordome du prince Sébastien qui l’embauche directement.
Elle fait ses valises, monte dans le carrosse et se retrouve au palais. Emile lui bande les yeux pour que « sa cliente » garde son anonymat. Elle lui présente alors sa garde-robes et des dessins du style qu’elle aimerait porter. Après un petit incident, Francès découvre le vrai visage de « sa cliente », ce n’est autre que Sébastien.
« S’il vous plaît, n’en soufflez mot à personne. Je suis le fils unique du roi. Si quelqu’un découvrait que le prince porte des robes, cela détruirait toute ma famille. Mes parents me renieraient et ma vie serait ruinée. Mon père ne… Mon père… »
Elle accepte et se met tout de suite au travail. Il faut souligner que le prince veut une nouvelle robe rapidement pour la porter lors d’une soirée organisée par les Confitures Maldon. Avec sa robe orange, le prince gagne le concours. Désormais, il s’appellera Lady Crystallia…
Le prince et la couturière : un petit bijou !
Voilà l’un de nos coups de cœur de ces derniers mois ! Jen Wang nous dit plein de choses à travers Le prince et la couturière. C’est rafraîchissant, c’est drôle, c’est d’une grande intelligence dans le propos et c’est d’une belle modernité.
Ce récit est à la fois d’une grande lisibilité, simple, singulier, original, enchanteur et réussit le pari de parler de thèmes sociétaux contemporains avec malice.
Le lecteur est avant tout séduit par la construction de l’histoire, tel un conte populaire où les rôles sont inversés. Finies les princesses belles qui ne doivent pas dire un mot plus haut que l’autre. Terminés les clichés, le prince aime porter des robes ! Dans un monde où l’on genre encore beaucoup, Le prince et la couturière fait voler en éclats ces préjugés d’un autre temps. « Tu seras viril mon kid », ce n’est pas pour Sébastien !
Le prince et la couturière : une belle amitié
N’oublions pas Francès, sans qui le prince ne pourrait pas s’épanouir. A travers ses robes, son audace et son talent (rares sont les femmes grandes couturières dans le monde), elle sublime sa part cachée. De simple petite main, elle devient une grande à travers ses pièces uniques portées par le plus beau mannequin du royaume. De l’ombre, elle va toucher la lumière.
Avec la complicité de Emile – le majordome bienveillant, qui ne juge pas – le duo sort la nuit tombée pour participer à toutes les soirées du tout Paris. Faire le mur, cela est aussi grisant pour Sébastien.
Cette complicité rare devient alors une belle amitié. Le secret renforce leurs liens pour porter l’un et l’autre vers le meilleur.
S’épanouir, être soi et trouver sa place
Le prince et la couturière est un bel hymne à l’accomplissement de soi, à la volonté de s’épanouir, à croire en ses rêves et ses envies. La société dicte des normes, cet album les désintègre avec intelligence. Il y a de nombreux obstacles et freins dans ce conte, surtout le regard des autres lorsque l’on est à la marge. Mais un conte, ne serait pas un conte, s’il ne se terminait pas de la plus belle des manières.
L’idée de faire évoluer ses personnages dans la haute noblesse, permet aussi à Jen Wang de jouer avec une étiquette très codifiée, très lourde. L’héritage et le déterminisme social comme norme mais qui ne sont pas suivis par le prince.
Sébastien a un avenir tout tracé : succéder à son père – il le craint énormément – être fort, beau et grand guerrier. Alors que lui s’ouvre aux autres, se sent beaucoup mieux lorsqu’il devient Lady Crystallia. Il est enfin à sa place. Il suffit d’observer les planches où il se glisse dans son autre peau pour voir tout virevolter, danser et rayonner. La période de l’adolescence, souvent délicate, est encore plus bouleversée par cette envie d’être soi.
265 planches de bonheur
« A l’origine, quand j’ai écrit l’histoire, j’avais imaginé Sébastien et Francès adultes […] J’ai opté pour les adolescents parce que cela ne changeait presque rien à l’histoire, sauf que tous les enjeux se retrouvaient renforcés. Les protagonistes découvrent des choses sur eux-mêmes pour la première fois, ce qui les rend plus innocents et plus émotifs » : confie Jen Wang dans la postface.
L’autrice de In real life réalise de superbes planches d’une grande lisibilité. Elle met en lumière avant tout les personnages par des cadrages souvent serrés qui permet de voir toute la palette des émotions de ses protagonistes.
Le prince et la couturière : un superbe hymne à la tolérance ! Après Fantômes, O Sensei, Le roy des ribauds ou Russian olive to red king, encore une pépite publiée par Akileos.
- Le prince et la couturière
- Autrice : Jen Wang
- Editeur : Akileos
- Parution : 02 mai 2018
- Prix : 19.90€
- ISBN : 9782355743061
Résumé de l’éditeur : Le prince Sébastien cherche une fiancée, ou plutôt ses parents en cherchent une pour lui. Sebastian, lui, est trop occupé à cacher sa vie secrète à tout le monde. En effet, quand vient la nuit, il revêt d’audacieuses robes et court les nuits parisiennes sous l’identité de la fabuleuse Lady Cristallia. L’arme secrète de Sebastian (et sa meilleure ami) est Frances, une jeune et brillante couturière, une des deux seules personnes qui connaissent la vérité : parfois ce garçon porte des robes. Mais Frances, qui a toujours eu le rêve de devenir une grande couturière ne peut se satisfaire de cette situation. Combien de temps pourra-t-elle différer ses rêves pour protéger le secret son ami ?
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
En savoir