Les éphémères

Un enfant s’est fait tirer dessus. Une autre a disparu. Et surtout, des nuées d’éphémères se sont abattues sur la paisible ville de Belle River, dans l’Ontario. Entre polar et conte fantastique, Jeff Lemire nous emmène une nouvelle fois dans son cher Comté d’Essex. Et comme toujours, le voyage promet d’être mémorable.

Les éphémères, rien ne dure.

Chaque année, à la même époque, la petite ville de Belle River est envahie de petits insectes ailés, des éphémères. À la moindre source de lumière, ils affluent, recouvrant tout sur leur passage. Les habitants n’y prêtent presque plus attention, tout juste les plus jeunes ressentent-ils une forme de dégoût quand leurs pas foulent le tapis ailé.

Ce soir-là justement, devant le Mini-Mart, des nuées d’éphémères se sont agglutinées. Et trois amis se lancent pour défi de traverser ce champ vivant et pullulant. Ils ignorent qu’à l’intérieur de la supérette, un criminel en cavale tient en joue le caissier.

Le lendemain matin, la petite Franny, manteau rouge sur le dos et morve au nez, se rend à l’arrêt de bus. Elle n’est pas comme les autres enfants. Et c’est sans doute pour ça qu’elle est leur souffre-douleur. Mais au moins à l’école, elle n’a pas à endurer l’ivresse destructrice de son père. Alors, en silence, elle encaisse les moqueries de ses camarades.

À priori, tous ces événements n’ont pas de lien. Et pourtant, ils vont mystérieusement se rejoindre pour créer un conte fantastique dont le natif d’Essex a le secret.

Bienvenue dans le comté d’Essex.

Avant même d’ouvrir le premier tome des Éphémères, on sait que Jeff Lemire va nous entrainer dans une histoire exceptionnelle. Le fait est que l’auteur du Labyrinthe inachevé n’est jamais aussi bon que lorsqu’il nous propose une œuvre personnelle, menée d’une main de maître du début à la fin. Dans le cas présent, immédiatement, les dessins nous interpellent. Et il faut dire que l’artiste a parcouru du chemin depuis Lost Dogs.

En apparence épuré, son style a pourtant gagné en maturité. L’usage somptueux de l’aquarelle enrobe désormais l’histoire dans une atmosphère verdâtre, aussi onirique qu’inquiétante. Et la composition des planches, parfois vive et incisive, parfois langoureuse et posée, guide le lecteur dans un univers envoûtant et mélancolique. Car ne nous trompons pas, si les Éphémères est une œuvre poétique, elle est de celles qui laissent un goût amer dans la bouche.

Éphémères, les plus désespérés sont les chants les plus beaux.

En effet, tout au long des deux tomes que constituent les Éphémères, on ressent une certaine forme de tristesse désabusée. Exploitant des thèmes qui lui sont chers, le scénariste mêle les différents destins. Et dans le cas présent, tous semblent voués à connaître la souffrance lancinante d’un quotidien kafkaïen. Pourtant, les différents protagonistes continuent d’avancer, guidés comme les éphémères par la minuscule lumière qu’ils croient discerner au bout du tunnel de leur triste existence. Et ainsi, certaines vies vont s’arrêter prématurément, mais d’autres vont continuer. Certains espoirs vont disparaître, mais d’autres, insoupçonnés, vont naître. Et c’est sans doute là le plus important.

Avec les Éphémères, paru en deux tomes chez Futuropolis, Jeff Lemire démontre une fois de plus qu’il est un acteur majeur du 9^ème art. Entre légende et Histoire, entre rêve et réalité, il appelle à faire attention à ce qu’on ne remarque pas assez, uniquement parce que c’est éphémère.

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