La fille de Will est décédée il y a dix ans. Son chagrin est toujours immense depuis sa perte. Un jour, il reçoit un message d’elle lui demandant de résoudre une énigme. L’immense Jeff Lemire imagine Le labyrinthe inachevé, son meilleur album ?
Cœur brisé
Depuis le décès de sa fille Wendy il y a dix ans, Will est dévasté. L’inspecteur en architecture urbaine est seul, de plus en plus seul. Il s’isole des autres, de ses collègues, de son ex-compagne. Rien n’a de goût à ses yeux.
« C’est comme si, chaque jour qui passait, chacun de mes pas m’éloignait d’elle. Et rien – RIEN – ne me terrifie plus que cette idée… Penser que je puisse l’oublier. »
Si le fil rouge de son pull préféré, trop grand pour elle, permet à Will de continuer à penser à elle, son visage s’estompe de plus en plus. Il ne se souvient plus. « C’est tout ce qui me reste d’elle, désormais, ma petit fille. Des souvenirs. »
Comme le fil d’Ariane
A cinquante ans, il n’a plus la force, lui ce grand gaillard. Will se souvient de sa lâcheté face à la force de Wendy, celle qui lutte pour ne pas mourir.
Mais un jour, il est réveillé par la sonnerie de son téléphone. Inconnu, le numéro est inconnu. Pourtant, il décroche. Au bout du fil, il entend la voix de Wendy lui dire : « Je suis au centre et il faut que tu me trouves, papa. »
Il se souvient alors que sa fille adorait les labyrinthes écrits. Des cases-tête rapidement solutionnés parce qu’elle était perspicace. Et si le centre était celui d’un labyrinthe ?
Le labyrinthe inachevé, œuvre intense
Jeff Lemire est brillant ! L’auteur canadien dispose maintenant d’une œuvre magistrale qui fait de lui un artiste majeur du 9e art. De Sweet Tooth à Descender, en passant par Black Hammer à Killer Smile, il réussit tout ce qu’il entreprend avec intelligence.
Pour Le labyrinthe inachevé, il fait encore montre de tout son talent. Cette publication brillante s’inscrit dans les pas des histoires psychologiques fortes qu’il a auparavant développé comme Winter Road ou Royal City.
Le fil de la vie
Jeff Lemire le concède lui même : « La création du Labyrinthe inachevé a été l’une des expériences les plus agréables de ma carrière. Tout est venu à moi chaque jour, sans effort. J’ai pris un immense plaisir à dessiner. Je pense que j’étais dans la position créative idéale, enfin libéré de la routine de l’écriture Marvel ou DC, et libre de faire mes propres créations à mon rythme. J’ai réalisé cette série sans savoir qui la publierait ni quand. Je l’ai fait selon mes propres conditions. Quand vous avez goûté à cette liberté, il est difficile de revenir en arrière. »
Pourtant, Le labyrinthe inachevé n’est pas une histoire simple, entre rêve, fantasme, réalité et fantastique.
Se souvenir, garder le fil tenu en mémoire
Et au milieu de cet entre-deux, il y a Will, père inconsolable et perdu. Cette ambivalence intelligemment mise en image attire comme un aimant. Comment réagir lors d’un deuil ? Comment continuer à raviver la flamme de celui qui est absent ? Les souvenirs s’étiolent malgré cette envie forte de ne pas oublier. Le dernier message sur le téléphone pour sa voix, les odeurs, les vêtements, les photos… Tout relie sans plus rien relier physiquement. Ça me rappelle le propos de Sylvain de Lucie Albrecht ou Fin d’Anders Nilsen, mon album préféré.
Pour cela, Jeff Lemire utilise le lien qui unit, celui du fil rouge d’un pull. Un vêtement déformé, trop grand et dont le fil s’effiloche, comme les souvenirs de Will. Il suit ce fil d’Ariane dans une Toronto labyrinthique. Sur papier ou sur son avant-bras tatoué, les dédales sont nombreux jusqu’à la délivrance. Jusqu’aux retrouvailles ? On se doute que non. Son cerveau aussi est labyrinthique, embrumé par le temps et sa volonté de revoir sa fille. Cette intrigue ferait une base formidable pour un thriller psychologique au cinéma.
Le labyrinthe inachevé, du rouge au cœur
Le labyrinthe inachevé, c’est aussi du rouge. Dans des planches au lavis, des touches de rouge rehaussent la tension. Le rouge du sang, celui dans un hôpital. Le rouge de la chaire, la chaire de sa chaire. Le rouge du cœur, celui brisé en mille morceaux depuis la disparition de Wendy.
Le fil rouge se détend, s’entremêle, tel le chemin de la vie. Il suit sa route, suit les méandres des labyrinthes. Ils sont tellement hypnotiques et mystérieux les labyrinthes de Jeff Lemire.
Le labyrinthe inachevé : et si c’était tout simplement le plus bel album de Jeff Lemire ? Un album empli d’une émotion sincère et juste.
- Le labyrinthe inachevé
- Auteur : Jeff Lemire
- Traductrice : Sidonie van den Dries
- Éditeur : Futuopolis
- Prix : 27 €
- Parution : 24 août 2022
- ISBN : 9782754834261
Résumé de l’éditeur : Will est chef de chantier. Tout au long de sa journée, Will est hanté par sa fille, morte dix ans auparavant et à son incapacité à s’en rappeler, comme de se remémorer les événements importants de sa vie. Il en néglige toute socialisation, dans sa vie privée comme au travail. Jusqu’à ce qu’un mystérieux appel téléphonique au coeur de la nuit chamboule sa vie. L’appel lui indique que sa fille est toujours vivante, coincée dans le labyrinthe d’un livre de jeux qu’elle n’avait pas terminé avant de disparaître. Convaincu que son enfant le contacte d’au-delà de ce monde, il utilise un labyrinthe inachevé d’un de ses journaux et une carte de la ville pour ramener sa fille à la maison…Jeff Lemire revient avec un roman graphique légèrement fantastique où le surnaturel côtoie le réel. Par sa grande humanité et son écriture teintée de surréalisme, ce récit rappelle les meilleurs romans de Haruki Murakami.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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