Dans un monde empli de lémures, des êtres microscopiques, des complots fomentent pour renverser le souverain. Alex Chauvel imagine Les pigments sauvages, une aventure entre heroïc-fantasy, microbiologie et anthropologie. Un album surprenant et enthousiasmant.
Le roi est mort, vive le roi
Empire des lémures. Sardoine IV règne de main de maître sur son royaume. Tous les jours, il inspecte son château. Les troupes de soldats sont en forme, les productions tournent à plein régime et 1855 petits sont nés de la semence royale. D’ailleurs parmi ces enfants, trois sont de potentiels héritiers.
Mais le bâtiment est soudainement attaqué. Dans la panique, Sardoine IV est tué. Et si cet assassinat avait été fomenté par le vieux Béryl, un aristocrate toujours dans les mauvais coups ? Copal Ier est alors désigné roi.
Folle cavale
Pendant que la cour se remet de ses émotions, des égoutiers sont mis à l’arrêt. Le pouvoir aimerait savoir comment le colosse meurtrier a pu entrer dans le château aussi facilement en passant par les égouts. Les ouvriers des bas-fonds sont alors soupçonnés. Mais trois d’entre eux, Corail, Pyrite et Topaze décident de s’enfuir.
Le trio se précipite vers la sortie, direction les entrailles de la montagne. En chemin, ils tombent nez à nez avec Naïa, mère des ondines. Ces êtres d’eau sont asservis par les lémures afin de procéder aux reproductions de soldats…
Les pigments sauvages : lecture complexe et riche
Attention Les pigments sauvages est un album riche, intelligent mais pas simple à la lecture. L’ouvrage est imposant (280 pages) et met en scène de nombreux personnages, qui telles des fourmis vont et viennent, interagissent et s’affrontent.
Il est d’ailleurs assez délicat de résumé le livre tant il est complexe, réserve des surprises et s’appuie sur de nombreuses thématiques. Néanmoins, on est fasciné et enthousiasmé par ce dédale de thèmes imaginés par Alex Chauvel.
Du renouvellement de l’heroic fantasy
Alex Chauvel est un auteur et illustrateur français aujourd’hui installé à Berlin. Après des études à l’École Européenne Supérieure de l’Image d’Angoulême, il a notamment cofondé les éditions Polystyrène avec Pierre Jeanneau et Adrien Thiot-Rader. Dans cette structure associative, il a publié Les profondeurs dans la collection Façades et Thomas et Manon, un jeu de cartes évolutif. Il a, par ailleurs, imaginé Todd le géant s’est fait voler son slip aux éditions The Hoochie Coochie.
Il revient dans cette maison d’édition pour présenter Les pigments sauvages. Un mélange subtil d’heroic fantasy, de microbiologie et d’anthropologie, trois grandes disciplines qu’il apprécie. En agrégeant tout cela, il parvient à écrire une histoire fantasy qui renouvelle le genre.
De l’anthopologie des Pigments sauvages
Un monde peuplé de créatures fantastiques et des combats font des Pigments sauvages, une vraie aventure fantasy. En ce qui concerne la microbiologie, on la perçoit dans les formes des personnages minuscules mais également dans la reproductions des lémures et dans l’injection de produits dans leurs corps. Ces substances conditionnent leur place dans cette société.
Tout ont un rôle précis, telles des fourmis (soldats, reproductrices, reines…). Rien n’est poreux entre ces catégories. Pourtant, certains tentent de passer d’un état de sous-lémure à un état plus enviable. Ces composantes sociétales sont assez proches de celles observées lors des études de Claude Levi-Strauss, dont Alex Chauvel apprécie grandement le travail, au point de faire une référence du titre de son album avec l’un de ceux de l’anthropologue, Les pensées sauvages. En plus de l’auteur de Tristes tropiques, le Berlinois s’est aussi penché sur les travaux de Mircea Eliade, l’historien des religions et philosophe roumain et ceux de Georges Dumézil, historien des religions et anthropologue français.
De la politique des Pigments sauvages
Dans Les pigments sauvages, Alex Chauvel s’appuie aussi sur les mythes fondateurs des grandes civilisations (pré-colombienne, grecque, romaine ou indienne). Il adosse aux lémures une histoire païenne entre croyances mystiques et magie (Naïa, les ondines). C’est sur ce récit que les souverains fondent leur pouvoir. Il rejoint ainsi les études des trois anthropologues cités dans le paragraphe précédent.
Telle une dystopie, il met en image une société pyramidale où le roi est au sommet. Toutes les composantes se tiennent, s’imbriquent pour que la puissance royale domine ses sujets. Rien ne doit l’ébranler. Pourtant trois petits égoutiers vont la faire vaciller. On apprécie aussi les clans, les cercles de pouvoirs et la cour qui n’hésitent pas à s’allier pour une cause plus ou moins éphémère. En cela, l’album est politique.
Il a fallu trois ans à Alex Chauvel pour coucher sur le papier Les pigments sauvages, on le comprend bien tant l’intrigue complexe est riche et rien n’est laissé au hasard. Une lecture prenante et puissante.
- Les pigments sauvages
- Auteur : Alex Chauvel
- Editeur : The Hoochie Coochie
- Parution : 19 août 2022
- Prix : 30 €
- ISBN : 9782916049892
Résumé de l’éditeur : Parasites par nature et parias du microscopique empire lémure, Pyrite, Topaze et Corail profitent de l’effondrement de leur civilisation pour changer à jamais leur condition, et provoquer l’avènement d’un ordre social nouveau rêvé. C’est compter sans la puissance des mythes fondateurs de toute société… Les Pigments sauvages, deuxième livre d’Alex Chauvel à notre catalogue après Todd le géant s’est fait voler son slip (2017), est le fruit de plus de trois ans de remue-méninges d’un auteur érudit en anthropologie (le titre est un clin d’oeil à La Pensée sauvage de Claude Levi-Strauss), passionné de microbiologie et fan d’heroïc-fantasy. C’est ce dernier trait de caractère qui confère le ton épique évident des Pigments sauvages, mais à bien y regarder, le commentaire sur le fondement des mythologies et le sous-texte politique font de ce livre, un objet dont on peut se saisir adolescent et qu’on emporte avec bonheur au travers des âges.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.
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