Une œuvre qui observe le monde et le travail avec lucidité, distance et humour, c’est une œuvre qui fait du bien, dans cette période sombre de notre vie politique. Fabien Toulmé démontre une fois de plus avec Les reflets du monde tome 2 – Et travailler et vivre, chez Delcourt, que son humanité est contagieuse et donc, nécessaire.
Les reflets du monde tome 2 : prendre le temps de voir et penser le monde autrement
Quel sens ça a, le travail, aujourd’hui ? C’est une question qui se pose fortement dans les sociétés occidentales depuis la pandémie de COVID-19. Entre grande démission et réorientations professionnelles, le monde s’interroge sur la place et le rôle que doit avoir cette tâche au sein de nos vies. Fabien Toulmé, après avoir rencontré des personnes en lutte dans le premier tome des reflets du monde, parcourt la planète, entre France, USA, Comores et Corée du Sud, pour mieux comprendre ce changement de paradigme.
Je ne lis pas un tome 2 si je n’ai pas lu le tome 1
Première précaution d’usage. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu le tome 1 des Reflets du monde, pour lire ce second opus. Ils sont totalement indépendants. Seul le concept est commun. Fabien Toulmé part en reportage à travers le globe, pour aider à comprendre les grands enjeux qui parcourent la France (et pas seulement). Il s’appuie sur des témoignages de gens lambda autant que sur ceux de scientifiques. Il se fait passeur de savoirs, poseur de questions. Aux lecteurs de décider ce qu’ils font de ces différents témoignages.
Les reflets du monde tome 2 : tour du monde de la valeur travail
C’est donc la « valeur travail » que l’auteur vient questionner dans cet album. Il prend quatre situations qu’il juge exemplaires des troubles de nos sociétés. Un ex-financier américain reconverti en chanteur ; une exploitation de fleurs d’ylang-ylang aux Comores ; un auteur de webtoon et un chauffeur-livreur sud-coréen. Le lien est fait par un entretien avec la sociologue française Dominique Méda.
Chacune de ces histoires est portée par le regard curieux et bienveillant de Fabien Toulmé. Il amène donc ses témoins à exprimer leurs points de vue. Des situations inspirantes, qu’il veille à nous livrer avec beaucoup d’humilité et d’humour. Même s’il se met en scène, il n’est pas une star. Juste un médiateur. Rire de lui-même et des différentes situations vécues l’amène à ne jamais se placer dans une posture de juge, vis-à-vis des autres. Il lui permet aussi de connecter les lecteurs autant à lui qu’aux différents personnages. Et quand on se connecte aux autres, on est plus à même de respecter ce qu’ils ont à dire. On les considère plus volontiers comme des semblables qui méritent notre respect.
La pyramide de Maslow, vous connaissez ?
Fabien Toulmé, dans ces pages, montre comment la place du travail est un enjeu de pays riche. Son reportage aux Comores est éclairant à ce titre. Pays pauvre, les travailleurs et travailleuses qu’il y rencontre ne parviennent même pas à concevoir un monde sans travail. Le travail est une source de bien-être potentiel, malgré toute la difficulté de son exercice. Mais c’est sans doute quand on n’a plus à se battre au quotidien pour manger à sa faim, que l’on peut percevoir les effets pervers et l’aliénation générée par le travail. Et c’est dans ces conditions, que l’on peut penser différemment, comme le font les personnes rencontrées par l’artiste aux USA. Privilège ? Peut-être. Mais il faut avoir rempli ses besoins essentiels, pour pouvoir penser le superflu, nous explique le psychologue américain Abraham Maslow. Et c’est sans doute l’avantage que nous avons, au sein des sociétés riches occidentales.
La cohérence entre le dessin et le propos dans Les reflets du monde tome 2
Pardon à Fabien Toulmé pour consacrer si peu de place à parler de son dessin. Mais le propos qu’il porte dans cet album méritait de s’étendre un peu.
Déjà, louons la constance de l’artiste. Son dessin est d’une stabilité impressionnante, au fil des albums (Ce n’est pas toi que j’attendais, Les deux vies de Baudouin, L’odyssée d’Hakim). Son style est parfaitement établi, il sait comment jouer de son instrument avec efficacité. Un style, extrêmement pertinent dans l’œuvre qu’il établit au fil des années. Son trait repose sur une dimension symbolique, qui offre de la distance vis-à-vis des personnes mises en scène. Le réalisme clive, là où le symbolique rassemble. On se projette plus facilement dans ce dessin très proche de l’école « gros-nez » car nous ne sommes pas handicapés par le respect des visages, par exemple. On accepte les codes graphiques simplificateurs, et ce faisant on se concentre sur le message porté. Efficacité et cohérence sont les maîtres mots de Fabien Toulmé.
Une œuvre utile et nécessaire
Les reflets du monde tome 2 représente donc une parenthèse essentielle offerte aux lectrices et lecteurs pour prendre le temps de penser notre rapport au travail. Il n’est pas interdit de vouloir améliorer le quotidien des gens. L’art peut être porteur de telles intentions. Fabien Toulmé y apporte une contribution forte, à chaque fois qu’il livre un nouvel album.
- Les reflets du monde, tome 2 : Et vivre et travailler
- Auteur : Fabien Toulmé
- Éditeur : Delcourt
- Nombre de pages : 336
- Date de publication : 5 juin 2024
- Prix : 25€95
- ISBN : 9782413078272
Résumé éditeur : Avec ce nouvel opus des Reflets du Monde, repartez en voyage avec Fabien Toulmé. Du Texas aux Comores en passant par la Corée, celui-ci interroge avec humanité la place du travail dans notre société. Vocation ou aliénation, moyen de subsistance ou d’épanouissement, le travail tient une place complexe dans nos vies. Du cadre supérieur qui décide de tout plaquer aux livreurs exploités d’une grande corporation, des victimes du système à ceux qui se battent pour l’améliorer, Fabien Toulmé parcourt une nouvelle fois le globe à la recherche de témoignages éclairant le monde qui nous entoure.