Qu’est-ce qu’être réfugié ? Pourquoi quitter son pays ? Où aller lorsque l’on a plus rien ? Comment s’adapter à une nouvelle vie loin des siens ? Tout cela et bien d’autres choses dans le premier volume de L’odyssée d’Hakim, le formidable témoignage bouleversant et puissant de ce jeune Syrien venu s’installer en France, sous la plume de Fabien Toulmé. Passionnant !
Pourquoi vouloir raconter l’histoire d’un réfugié ?
Mars 2015. Auteur de Les deux vies de Baudouin, Fabien Toulmé est stupéfait par le crash d’un avion de la compagnie aérienne Germanwings. A son bord, le second pilote dépressif récupère les commandes de l’avion et le fait précipiter sur un versant d’un mont des Alpes. Cent cinquante personnes décèdent. Les chaînes de télévision sont en boucle sur ce drame. L’émotion est immense mais les téléspectateurs sont moins émus par le terrible chiffre de 400 migrants qui se sont noyés en Méditerranée le même jour. Un simple brève clôt le journal, comme si cela était devenu banal. Tous les jours, des femmes, des enfants et des hommes meurent dans ce nouveau cimetière marin. L’ONU les évalue à 16 000 depuis 2013; l’Aquarius ayant sauvé 28 000 réfugiés en 3 ans.
« Je me suis dit qu’un truc n’allait pas »
Nous Européens, nous nous serions habitués au pire concernant les migrants. Fabien Toulmé décide alors d’aller à la rencontre de ces gens, anonymes et déracinés. Peut-être qu’il se sent plus proche de ses sujets, lui qui est marié à une Brésilienne et qui a vécu dans le pays natal de son épouse quelques années (il l’a raconté dans le bouleversant mais ô combien nécessaire Ce n’est pas toi que j’attendais). Le métissage, l’ouverture et l’humanisme sont ses moteurs.
Hakim et la Syrie
Avec l’aide d’une amie journaliste, Fabien prend contact avec Hakim, installé à Aix-en-Provence, réfugié Syrien prêt à lui raconter son périple. Ainé d’une famille de neuf enfants, il n’aimait pas vraiment l’école. Alors que ses sœurs et frères ont tous suivi de longues études, lui préféra la compagnie des plantes. Après avoir appris les rudiments dans la serre de son père, il décida d’ouvrir une pépinière avec Mahmoud, son cousin. Rapidement leur entreprise prospéra, le jeune homme pouvant acheter une belle voiture et un appartement.
A peine installé, le lendemain « une nouvelle vie a commencé ». De grandes manifestations contre le régime de Bachar el Assad se déroulèrent dans les rues de son quartier. Il du composer avec cela, lui qui n’y participa pas. Le lendemain de cette première journée réprimée par les autorités, il vint en aide à un homme blessé qui gisait à terre. C’est ce geste qui bouleversa sa vie…
L’odyssée d’Hakim : témoignage bouleversant d’un homme déraciné
Comme il l’explique dans un avant-propos, Fabien Toulmé prend des précautions quant à L’odyssée d’Hakim. Prévu en trois volumes, il a recueilli le témoignage de cet homme ayant vécu un drame dans sa vie, sa vision en est donc parfois altérée. De plus, en prenant des notes, l’auteur de bandes dessinées interprète à son tour ce périple de tous les dangers. Peu importe, l’intention est là et c’est l’essentiel.
De plus, pour ne pas trop charger les vignettes, Fabien Toulmé a aussi décidé de ne pas faire figurer l’interprète; Hakim et sa femme ne parlant pas très bien le français.
Si les moments sont d’une grande intensité et qu’ils sont parfois très durs (les morts qui jonchent le sol, les intimidations et la torture), l’humour est souvent présent; Hakim possède toujours cet artifice qui lui permet de prendre du recul sur sa situation. Il dit notamment : « Il n’y a pas beaucoup d’avantages à être un réfugié, mais s’il y en a bien un, c’est qu’on n’a pas grand chose à déménager ».
Avant d’être réfugiés, se sont des êtres humains
A travers L’odyssée d’Hakim, Fabien Toulmé veut aussi démontrer qu’avant d’être Syrien, réfugié, Hakim est avant tout un être humain. Si l’endroit où il est né, où il a vécu et la langue qu’il pratique sont différents, il est comme nous.
Lorsque le lecteur prend connaissance du parcours de Hakim, il a peur pour lui et peut parfois entrevoir les émotions qu’il a pu vivre en direct. Loin de l’humour potache de L’atelier Mastodonte dont il fait partie, l’auteur raconte sans détour, sans artifice et avec intelligence comment un homme qui a réussi, se retrouve sans rien et loin des siens.
Il met aussi en lumière le fait de devoir s’intégrer dans un pays que l’on ne connait pas ou peu. Heureusement, Hakim peut compter sur Najmeh sa femme, Hadi et Sébastien ses deux enfants.
Avec justesse, le jeune homme met des mots sur la Syrie de son enfance. Un rapide historique depuis la prise en main de Hafez le père de Bachar mais aussi la manière dont le pays est gouverné : « L’Etat contrôle absolument tout : les entreprises, les gens… Tout ! Il n’hésite pas à se servir dans la caisse des entreprises. Des fois, l’armée venait me voir à la pépinière… Mais le plus oppressant, c’est le contrôle des gens. Un contrôle qui enveloppe le pays dans un voile de peur.. » confiera Hakim à Fabien.
Pour ne pas perdre de vue que le plus important c’est l’histoire de Hakim, Fabien Toulmé mise avant tout sur la visibilité dans son dessin, une sobriété dans le trait et les couleurs, à l’image des albums de Guy Delisle (S’enfuir, récit d’un otage, Pyangyang ou encore Shenzen).
L’odyssée d’Hakim : le bouleversant témoignage d’un réfugié porté par un dessin sobre. Passionnant !
- L’odyssée d’Hakim, tome 1/3 : De la Syrie à la Turquie
- Auteur : Fabien Toulmé
- Editeur : Delcourt, collection Encrages
- Parution : 29 août 2018
- Prix : 24.95€
- ISBN : 9782413011262
Résumé de l’éditeur : L’histoire vraie d’un homme qui a dû tout quitter : sa famille, ses amis, sa propre entreprise… parce que la guerre éclatait, parce qu’on l’avait torturé, parce que le pays voisin semblait pouvoir lui offrir un avenir et la sécurité. Un récit du réel, entre espoir et violence, qui raconte comment la guerre vous force à abandonner votre terre, ceux que vous aimez et fait de vous un réfugié.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.
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