Dans L’imprimerie du diable, Virginie Greiner et Annabel proposent une aventure épique sur la figure de la sorcière à l’ère de l’imprimerie. Non sans résonances avec l’époque actuelle.
Dans un village proche de la Suisse
Au départ, il y a Vernoux, petit village perdu des Alpes à la frontière Suisse. Nous sommes en 1470. L’hiver qui se prolonge est des plus rigoureux et les loups sont affamés. Les villageois ne sont guère mieux lotis. Le bois, le foin et le grain viennent à manquer. Alors l’édile du village réunit le curé et les principaux notables, car il faut trouver une solution. Si l’un préconise une battue contre les loups, un autre de faire appel au devin, le curé préfère s’en remettre à la foi et à la prière. Voici planté le décor de L’imprimerie du diable, un album publié par les Arènes BD, signé par deux femmes, Virginie Greiner au scénario et Annabel au dessin.
Deux adolescents rêvant d’avenir
Au coeur de la petite communauté, on trouve Reine Percheval, belle jeune fille qui vit avec sa grand-mère, guérisseuse, et qui comme elle connaît la forêt et les plantes qui servent aux bons cataplasmes. Reine aime bien la compagnie d’Etienne Trollet, un autre gars du village. Celui-ci a appris à lire avec le curé. Contre l’avis d’un père frustre et violent. « Les livres, ça se mange pas!, assène le père. Pour faire du pain, il faut du blé. Et pour avoir du blé, faut des fermiers! ». Mais Etienne rêve d’ailleurs. Ce sera Genève, là où lui a-t-on dit, « les plus grands érudits s’y retrouvent et révolutionnent jour après jour l’étude et la pensée « .
Au service du prince-évêque
Dans la ville suisse qui vient de connaître de violentes émeutes paysannes suite aux décisions prises par le pouvoir local, « pour améliorer le rendement de certaines terres », l’imprimerie est en plein essor. L’entourage du prince-évêque remarque les compétences d’Étienne. Voilà le jeune paysan embauché dans l’imprimerie qui se voit bientôt confier une mission de la première importance : réaliser des manuels pour identifier les sorcières et apprendre à s’en débarrasser. Car au 15e siècle et par la suite un peu partout en Europe, la chasse a commencé. L’imprimerie naissante devient alors une arme de propagande pour les pouvoirs en place. C’est ainsi que paraît par exemple le « Malleus Malficarum », ou Marteau des Sorcières, un traité de démonologie, véritable best-seller de l’époque…
Eliminer les « compagnes du diable »
Le village de Vernoux n’échappera pas à ce chaos naissant. Partout on s’inquiète. Et particulièrement pour Reine, la jeune guérisseuse, qui connaît les vertus des simples, des consolantes, et sait comment administrer sans tuer jusquiames, belladonnes et autre digitales… Mais le père de Reine est très inquiet : « Tu sais que certains prétendent que les belles femmes sont les incarnations du diable en personne... Il faut se rendre à l’évidence. Les manuels démonologiques considèrent les pratiques ancestrales dont tu te sers comme l’oeuvre du malin ». Et elle de lui répondre, sans plus de tourment : « Je connais ces nouvelles théories qui foisonnent en vue de soumettre notre sexe! ».
La figure du bouc émissaire
L’histoire proposée ici par Virginie Greiner, L’imprimerie du diable, fait écho à d’autres albums déjà parus sur le même thème, tel ce Livre des Sorcières publié en 2022 chez Glénat. Mais son originalité tient ici à ses cadrages soignés, au travail sur la couleur (Carlo Chablé, Dyan Noriega, Chiara Zeppegno et Marie Galopin y ont leur part), à la richesse de ses dialogues…
On peut aussi y voir, comme un écho à la fois proche et lointain, une mise en perspective de l’actualité récente. La sorcière ou le sorcier, de manière générale peut être le bouc émissaire idéal quand une société est en crise. La sorcellerie, invention des pouvoirs politiques et religieux à plusieurs époques peut ainsi avoir plusieurs visages. Ainsi, semble nous rappeler cette Imprimerie du diable, l’intransigeance et l’intolérance qui fracturent aujourd’hui notre monde en font peut-être partie.

- L’imprimerie du diable
- Scénario : Virginie Greiner
- Dessin : Annabel
- Editeur : Les Arènes BD
- Prix : 23 €
- Parution : Avril 2024
- Pagination : 144 pages
- ISBN : 979-10-375-1166-9
Résumé de l’éditeur : Reine Percheval, ce tribunal est réuni ce jour afin d’établir votre implication dans des crimes de sorcellerie d’une extrême gravité… Dans le cas où vous seriez reconnue coupable, la sentence sera la mort !
À propos de l'auteur de cet article
Jean-Michel Gouin
Passionné par l'écrit, notamment l'histoire, la littérature policière et la bande dessinée, Jean-Michel Gouin a été journaliste radio et presse écrite pendant une trentaine d'années à Poitiers.
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