Le livre des Sorcières est un ouvrage qui vous rendra fou. Car entre ses pages n’existe rien d’autre que la folie humaine. Ebishi Maki s’empare des fantasmes occidentaux sur les sorcières pour nous plonger dans l’effroi de l’ignorance.
La rumeur a dit …
Jean Wier est un jeune médecin envoyé dans un village de campagne pour apaiser les foules à propos d’une histoire de loup-garou. Mais bientôt, il se confronte à la peur. Les rumeurs enflent et la confiance disparaît. Cette fille a été mordu, un homme a été vu se sauvant, un gant plein de poils a été retrouvé, des traces de sang sont repérées dans les rues. Le jeune médecin fait son possible pour raisonner les paysans. Non, la blessure de la jeune fille n’est pas celle d’un loup-garou. Les loup-garous n’existent pas, seules les manipulations du Malin vous poussent à le croire.
Tandis que la situation lui échappe complètement, Jean Wier se retrouve plongé dans son propre passé. Il se revoit enfant. La première fois qu’il a été confronté à la sorcellerie. Il se rappelle la jeune fille qui voyait les fées, et sa mère, la folle du village. Il se rappelle les rumeurs, les mises en garde, les jeux dans les feuillages, il se rappelle les fleurs rouges. Et la foule.
Personne ne choisit d’être une sorcière. Ce sont les autres qui décident à notre place.
Plongée dans l’Histoire
Le Livre des Sorcières nous plonge dans un moyen-âge terrifiant. Jean Wier (à ne pas confondre avec Jean/Jane Weir qui a aussi un rapport avec la sorcellerie) est un personnage historique ayant vécu en Europe au XVIe siècle. Médecin entre autre en France, au Pays Bas et en Allemagne, il lutte contre les chasses aux sorcières.
Seul le bûcher attend les possédées.
Jean Wier sépare les personnes coupables de crime démoniaque et les femmes victimes d’un « dérèglement des humeurs« , entraînant une mélancolie qui affecte « le siège de l’esprit » et stimule l’imagination, jusqu’à provoquer des illusions. Ces femmes-là seraient donc malades, victimes du Diable et non serviteurs du Malin.
La Science faisant son chemin, la notion « d’esprit du mal » devient peu à peu « une maladie de l’esprit« . Une maladie que l’on peut traiter. En cela, Jean Wier participe a une étape essentielle de la naissance de la psychiatrie occidentale.
La Marche du Monde en mille morceaux
Il ne fait pas bon vivre au XVIe siècle. Surtout lorsqu’on est une femme. Ce que raconte Ebishi Maki, c’est que quoique vous soyez, quoique vous voyez, quelque soit votre version de la réalité, si la foule a décidé que vous étiez lié au diable, vous êtes condamné. En trois volumes aux éditions Glénat, Ebishi Maki nous plonge dans un univers frustrant aux accents glaçants de vérité.
Il anime Jean Wier, jeune médecin blessé mais déterminé, avec une immense dextérité. Dans un jeu de ping-pong entre passé et présent, Ebishi Maki nous dévoile les failles de son personnage. Mais aussi l’absurdité violente de cette époque. Il se glisse dans les interstices des esprits humains avec une grande facilité. Nous permettant de saisir pourquoi la foule et les individus agissent et réagissent ainsi.
En quelques pages, l’autrice nous dépeint un tableau grandiose, inondé de mélancolie, d’une certaine amertume, mais aussi d’une détermination digne de la marche du monde. Le coup de crayon d’Ebishi Maki est ciselé. Presque dessiné d’un trait, la main un peu tremblante. Cela donne au graphisme une douceur froide très naturelle, organique et spontanée.
L’élégance d’un voile sur un cadavre
Le Livre des Sorcières est un manga magnifique car dérangeant. De nos yeux d’hommes et femmes du XXIe siècle, nous voyons la Science se lever face aux croyances démoniaques.
Tu ne dois jamais craindre la connaissance.
Dressée contre l’ignorance maladroite et dangereuse, nous regardons la science balbutier, remporter une bataille douloureusement. Mais trébucher tout de même. La psychanalyse et le féminisme ayant encore beaucoup de chemin à parcourir.
Tout du long du Livre des Sorcières, nous ne pouvons que féliciter la ténacité de Jean Wier, qui envers et contre tous, luttera pour la liberté des femmes accusées de sorcellerie. Mais aussi contre les épidémies de peste noire du XVIème siècle. Et pour cela, l’œuvre d’Ebishi Maki nous subjugue de la première à la dernière page.
Humblement nous refermons Le Livre des Sorcières, certains d’avoir changé, un peu, notre façon de penser et de voir le monde.
- Le livre des sorcières tome 1 (nouvelle édition)
- Autrice : Ebishi Maki
- Traducteur : Djamel Rabahi
- Editeur : Editions Glénat
- Prix : 10,75€
- Parution : 2 mars 2022
- ISBN : 9782344049068
Résumé de l’éditeur : Jean Wier est un personnage historique, médecin et opposant à la chasse aux sorcières. C’est son histoire que nous suivrons dans ce très beau seinen en 3 tomes, pour explorer le Moyen Âge avec ses sorcières, ses loups-garous, la peste et le combat sans fin contre l’obscurantisme.Ebishi Maki retranscrit avec élégance cette période historique à travers des épisodes qui ont marqué la vie de son personnage principal. Entre récit historique, conte horrifique et enquête policière, vous serez vite happés par la vie passionnante de Jean Wier !
À propos de l'auteur de cet article
Marie Lonni
"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !
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