L’ours de Ceausescu

Voyage en absurdie, voilà quel pourrait être le sous-titre de cette bande dessinée, L’ours de Ceausescu. Fruit de la collaboration entre Aurélien Ducoudray (scénario), Gaël Henry (dessin) et Paul Bona (couleur), cet album publié chez Steinkis nous entraîne tout droit dans la Roumanie du 21 décembre 1989.

Un dictateur en place depuis 1965

En 1945, à la fin de la Seconde guerre mondiale, un régime communiste, est installé en Roumanie, à la place de la monarchie existante. Nicolae Ceausescu arrive au pouvoir en 1965 à la mort de Gheorghe Gheorghiu-Dej, le premier secrétaire du Parti ouvrier roumain. Il est désormais à la tête du nouveau Parti communiste roumain. Dorénavant, peu importe les titres qu’il s’attribue, le Conducător est à la tête du parti et de son pays.

Illustration.    Elena Ceaușescu — Wikipédia

Une épouse omniprésente.

Nicolae Ceausescu n’est pas totalement seul au pouvoir. Sa femme Elena Ceausescu est associée au culte de la personnalité du dictateur. Devenue vice-première ministre, celle qui était auparavant assistante de laboratoire s’appropriera de nombreux titres faisant d’elle une scientifique émérite. Ses diplômes lui seront d’ailleurs retirés à la chute du régime.

Un régime de terreur

En poussant à son paroxysme le culte de la personnalité, Nicolae Ceausescu va, pendant près de 25 ans, diriger avec une poigne de fer la Roumanie. La Securitate, la police politique, l’aidera en recrutant des informateurs dans toutes les strates de la société. Faisant, par ce fait régner la terreur, le “Génie des Carpates” va jusqu’en 1989 établir dans son pays un régime à deux vitesses.

La nomenklatura aura à sa disposition tous les biens de consommation, même ceux uniquement disponibles à l’ouest. Alors que la population connaîtra un quotidien rythmé par les privations et les pénuries.

Un vent de révolte à l’Est en 1989.

Au milieu des années 1980, Mikhaïl Gorbatchev fait souffler un vent de renouveau à l’Est. Avec des politiques telles que la Perestroïka et la Glasnost mises en place par le nouveau chef de l’URSS, les populations du bloc de l’Est demandent plus de libertés et des conditions de vie meilleures. Dans de nombreux pays, comme en Roumanie, des manifestations anticommunistes ont lieu. C’est lors de l’une d’entre-elles que la Securitate fait feu sur des manifestants. Le régime du “Danube de la pensée” touche à sa fin.

Les époux Ceausescu sont arrêtés alors qu’ils fuyaient dans un hélicoptère qui n’avait plus d’essence. Le couple est arrêté en pleine campagne et sera traduit devant un tribunal qui décidera de leur sanction en moins d’une heure. Ils seront exécutés le 25 décembre 1989.

Un album qui débute sous le signe des manifestations.

Le scénario de L’ours de Ceausescu débute le 21 décembre 1989 à Bucarest alors que Nicolae Ceausescu et sa femme Elena affrontent une manifestation depuis leur balcon du palais présidentiel. Ce bâtiment tous les pouvoirs, est le deuxième plus grand d’Europe. Il symbolise à lui seul la folie des grandeurs et la mégalomanie des époux Ceausescu.

S’ensuivent sept histoires, avec à chaque fois des protagonistes différents qui se retrouvent au fur et à mesure enfermés dans une pièce, sans qu’aucune explication ne leur soit fournie. Ces récits semblent n’avoir aucun lien entre eux, ce qui suscite la curiosité.

Que peuvent donc avoir en commun Irina la vengeresse, Nicolae le refoulé de la Securitate, Radu le poète, Gluma le clown, Ana la femme de ménage du palais présidentiel, un policier amateur de films occidentaux et Florica le chasseur ?

Aurélien Ducoudray a réussi  à tisser son scénario petit à petit, en ajoutant des informations les unes après les autres jusqu’à faire éclater une conclusion à laquelle on ne s’attend absolument pas.

Des chapitres traduisant la dureté et la difficulté du quotidien

Avant que tous les personnages ne soient regroupés, on découvre un événement dans la vie de chacun des protagonistes en relation avec la politique menée par le couple Ceausescu. C’est là que l’on découvre l’absurdité du régime roumain et les difficultés pour les citoyens de vivre normalement dans de telles conditions.

Le culte de la personnalité, la bêtise des fonctionnaires, la mauvaise qualité du matériel, le racket, la pénurie mais également l’opulence. La société est gangrenée à tous les niveau. La population doit faire appel à la débrouillardise voire au trafic pour pouvoir survivre.

Une prouesse humoristique

Mais comment se fait-il que malgré la dureté de ces conditions de vie, on ne puisse pas s’empêcher de rire à la lecture de cet album ? Les auteurs que ce soit au scénario ou avec les dessins nous entrainent dans un jeu de piste. Le lecteur ne peut que se douter que quelque chose va arriver, jusqu’à cette scène de chasse à l’ours. Les plus pathétiques n’étant pas ceux que l’on croit.

La dérision est en permanence présente dans L’ours de Ceausescu et elle montre que ce régime dictatorial ne pouvait rester plus longtemps en place. La façon dont les époux Ceausescu ont été condamnés, dans un simulacre de jugement, puis exécutés est à l’image de leur vie, une farce. L’humour qui la décrit est plus dans les situations que dans les dialogues même.

Un dessin sobre à l’image de la vie des Roumains

Le choix de la sobriété dans le dessin de Gaël Henry décrit parfaitement l’état de délabrement dans lequel se trouvait la Roumanie à la fin des années 1980. La folie de Ceausescu l’a amené à détruire les bâtiments historiques pour les remplacer par des constructions plus modernes. Mais celles-ci n’ont pas été à la hauteur et se sont vite révélées vétustes. On ressent parfaitement cet état de décrépitude dans tous les dessins présentant des extérieurs.

La sobriété des intérieurs et de l’habillement reflètent une vie où le manque était quotidien. Où faire la queue pour se procurer des denrées de première nécessité était un travail à plein temps.

Les couleurs de Paul Bona sont en parfaite adéquation avec le dessin. Une vie où tout était terne. Tout du moins pour le peuple qui n’avait pas accès au faste de la nomenklatura. La scène dans les appartements des époux Ceausescu en est la meilleure illustration.

Mention particulière pour la couverture où cette forme de tâche rouge est parfaitement bien pensée. Mais qui ne se dévoile et prend tout son sens qu’en fin d’album.

L’ours de Ceausescu, une réussite

L’ours de Ceausescu fait partie de ces albums qu’on n’attend pas, mais qui se révèle être une très belle découverte. Un scénario improbable, un ton comique pour une situation tragique, des dessins parfaitement adaptés à l’absurdité de la situation.  Mais surtout des rires auxquels on ne résiste pas.

Un album dans lequel Eugène Ionesco (Eugen Dimitri Ionescu), dramaturge roumain (1909-1994) aurait pu se reconnaître. Lui qui avait fait de l’absurde, le personnage principal de ses pièces de théâtre.

À lire sans plus attendre.

Article posté le mardi 17 mai 2022 par Claire Karius

L'ours de Ceausescu d'Aurélien Ducoudray, Gaël Henry et Paul Bona chez Steinkis
  • L’ours de Ceausescu
  • Scénariste : Aurélien Ducoudray
  • Dessinateur : Gaël Henry
  • Coloriste : Paul Bona
  • Éditeur : Steinkis
  • Prix : 20,00 €
  • Parution : 21 avril 2022
  • ISBN : 9782368464670

Résumé de l’éditeur : Que peuvent bien avoir en commun une petite fille à qui l’on confisque sa barrette, un étudiant qui manque de vocabulaire, un écrivain primé dont la machine à écrire n’en fait qu’à sa tête, une femme de ménage qui essaie les chaussures de sa patronne ou un flic qui aime les cigarettes américaines ? De faits réels en contes tragi-comiques, L’ours de Ceausescu dresse le portrait d’une dictature terrible et absurde et d’une humanité pas toujours héroïque, en sept tableaux qui montrent combien le diable se cache dans les tout petits détails…

À propos de l'auteur de cet article

Claire Karius

Passionnée d'Histoire, Claire affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique, mais pas seulement. Elle aime également les lectures qui savent l'émouvoir et lui donnent espoir en l'Homme et en la vie. Elle partage sa passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur sa page Instagram @fillefan2bd.

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