Le beau mois de mai 2018 fait écho au joli mois de Mai 68. Pour comprendre les révoltes étudiantes mais aussi les grèves des ouvriers et autres employés qui ont eu vent il y a 50 ans, Comixtrip a sélectionné trois albums : Mai 68 histoire d’un printemps de Arnaud Bureau et Alexandre Franc (Des ronds dans l’o), La veille du grand soir de Patrick Rotman et Sébastien Vassant (Delcourt) & Sous les pavés de Warnauts et Raives (Le Lombard).
Mai 68 histoire d’un printemps, de Arnaud Bureau et Alexandre Franc (Des ronds dans l’o)
Ce premier album est une chronologie dessinée du déroulement de Mai 68 et plus particulièrement du côté des étudiants. Pour cela, Arnaud Bureau – historien spécialiste de la période – incarne son récit par le personnage de Paul, étudiant qui travaille sur sa thèse « Le mythe soixante-huitard dans le discours politique en France ». Ainsi, il déroule les événements en racontant l’histoire de Louis, Georges ou encore Samia, eux aussi étudiants à l’époque.
Au passage, le scénariste revient sur des termes, acronymes ou sigles pour mieux les définir. Il faut souligner que les syndicats d’ouvriers, d’employés ou étudiants ont été rejoints par différents partis politiques qui – pour certains n’existent plus aujourd’hui – JCR (Jeunesse communiste révolutionnaire) ou encore PSU (Parti socialiste unifié). Chacune de ces unités étaient tantôt unies, tantôt ennemies. Il faut en passer par là pour comprendre au mieux Mai 68.
Arnaud Bureau n’oublie pas de parler de personnalités importantes de cette époque : de Daniel Cohn-Bendit au Général de Gaulle, en passant par les leaders étudiants Alain Krivine, Jacques Sauvageot ou Henri Weber, mais aussi les hommes politiques François Missoffe, Georges Pompidou, Christian Fouchet ou Louis Joxe.
Par cet angle chronologique, le lecteur – qui a connu ou non cette période d’insurrection – plonge efficacement dans ce deux mois de luttes. Agréable à la lecture, il est très lisible. Même s’il est incarné, l’album pourra parfois paraître un peu sec en bouche, étant une succession d’événements.
Pour accompagner Arnaud Bureau, c’est Alexandre Franc qui est en charge de la partie graphique. L’auteur de Antoine et la fille trop bien (Sarbacane) réalise des planches efficaces. Pour garder une unité et le tempo chronologique, il fait le pari d’illustrer à chaque fois 4 bandes horizontales par page, qu’il découpe en petites vignettes ou en cases panoramiques.
Mai 68, histoire d’un printemps : un bel album pour découvrir tous les moments importants de l’insurrection de manière chronologique.
La veille du grand soir, de Patrick Rotman et Sébastien Vassant (Delcourt)
En mai 68, il était étudiant en histoire à la Sorbonne… Une situation privilégiée en somme pour assister, sinon participer activement à ce « joli mois de mai » dont on commémore aujourd’hui le cinquantenaire. Depuis, Patrick Rotman a fait comme bon nombre de ses camarades ou copains de l’époque bien du chemin… Aujourd’hui écrivain, réalisateur, il est aussi l’auteur, avec le dessinateur Sébastien Vassant (« Politique qualité », « Juger Pétain » ou « Histoire dessinée de la Guerre d’Algérie« ) d’une BD passionnante, « La veille du grand soir » consacrée aux événements qui ébranlèrent la France il y a un demi-siècle.
Ce roman graphique de 192 pages est construit à partir du regard d’un étudiant qui va se retrouver entraîné un peu par hasard dans l’engrenage du mouvement. Comme l’auteur, il a 20 ans, étudie à la Sorbonne. et s’apprête à vivre des journées particulières. De Nanterre au quartier latin, du boulevard Saint-Michel à la rue Gay-Lussac, de Matignon à l’ORTF jusqu’au palais de l’Elysée, on croise à travers cette fresque nombre d’anonymes mais aussi tous les grands noms de l’époque : De Gaulle, Chirac, Mitterrand, Pompidou, Cohn-Bendit, Geismar, Krivine et bien d’autres…
« Ce que je raconte dans cette BD, ce ne sont pas mes souvenirs mais les coulisses des manifestants et du pouvoir qui est au moins la moitié de cette BD. On passe sans cesse de ce qui s’est passé à la Sorbonne, dans la rue avec beaucoup d’anecdotes qui sont vraies et qui sont vécues », confiait Patrick Rotman récemment lors d’une interview télé. C’est aussi ce qui rend ce récit attachant, qui entremêle la grande et la petite histoire…
Au milieu de l’abondance des ouvrages consacrés aux événements de mai, cette Veille du Grand soir affiche une certaine originalité. Le dessin de Sébastien Vassant restitue fidèlement trognes et décors de l’époque tandis que Rotman fait œuvre de pédagogie avec des encadrés documentés qui permettent d’appréhender au mieux le contexte politique d’alors.
L’histoire de ce mois tumultueux commence le 3 mai. Elle s’achève le 30 mai, au lendemain du triomphe gaulliste. C’est le week-end de la Pentecôte. L’essence, qui se faisait très rare, réapparaît « comme par enchantement » nous dit Rotman. Les Français se ruent sur les routes. Bilan : soixante-dix morts et six cents blessés. C’est là l’une des conséquences plus ou moins surprenantes de ce temps « hors du temps ».
Une sélection de reproductions d’affiches de mai et une petite chronologie ( 22 mars-30 juin ) complètent cet album.
La veille du grand soir : une plongée passionnante au cœur d’un des épisodes les plus marquants de l’histoire du XXe siècle.
Sous les pavés, de Warnauts & Raives (Le Lombard)
Cinq jeunes adultes venus d’horizons différents se retrouvent embarqués dans le tourbillon des manifestations de Mai 68. Warnauts & Raives imaginent Sous les pavés, un bel album aux éditions Le Lombard.
Paris, le 03 mai 1968. C’est la panique au plus haut niveau de l’État, les manifestations étudiantes se transforment en insurrection contre le pouvoir. Il faut souligner que les tensions sont de plus en plus fortes dans le Quartier Latin entre les policiers et les manifestants mais aussi entre ces derniers et le groupuscule d’extrême-droite Occident.
Le gouvernement par l’entremise du Ministère de l’intérieur décide de faire évacuer la Sorbonne par les forces de l’ordre. Les policiers ne font pas de cadeau, chargent et tirent sur les étudiants. Jay Fergusson, étudiant américain aux Beaux-Arts, décide de prendre des photographies de ces scènes d’une rare violence. C’est ainsi qu’il se retrouve au commissariat pour comprendre pourquoi il était avec les manifestants…
Warnauts & Raives ont l’habitude de travailler ensemble depuis 1985 et leur première série Paris Perdu (éditions Le Miroir). Après plus de 30 ans et plus de 60 albums en commun, ils imaginent une histoire se déroulant pendant Mai 68. Il faut souligner que l’Histoire est une discipline qu’ils affectionnent particulièrement (Congo 40, L’innocente, Après-guerre, Les jours heureux ou Les suites vénitiennes, entre autres). Comme pour leurs précédentes publications, Eric Warnauts et Guy Raives travaillent de concert à quatre mains pour les scénarios comme pour les dessins.
Avec Sous les pavés, ils tentent de décrire les événements de Mai 68 à travers les parcours de cinq jeunes adultes : L’américain Jay, Françoise issue d’une famille modeste contrairement à son amie Sarah qui est la fille de bourgeois, Didier le professeur ou Gilles figure de proue des manifestants. Ce récit choral peut parfois sembler un peur décousu par ces entremêlements qui vont et viennent, ajouter à cela des romances, de la drogue ou du sexe adultérin. Reste la toile de fond, excellemment dépeinte. Le duo marque avec justesse les aspirations de ces jeunes en quête de libertés : sociales et sociétales, mais aussi sexuelles. D’ailleurs, ils font un vrai focus sur le rôle important des femmes dans cette période délicate.
La partie graphique est comme d’habitude chez Warnauts & Raives, impeccable et brillante. Leur trait semi-réaliste est un bonheur pour les yeux des lecteurs. Leurs personnages sont d’une justesse dans leurs émotions et leurs expressions. Nous sommes toujours autant impressionnés par le soin qu’ils apportent aux décors : les rues enflammées, les barricades et les voitures sont superbes. Nous le sentons, ils y a un grand travail de documentation dans leurs pages. Le découpage est classique mais redoutablement efficace.
Sous les pavés : encore un excellent album du duo Warnauts & Raives !
- Mai 68, histoire d’un printemps
- Scénariste : Arnaud Bureau
- Dessinateur : Alexandre Franc
- Editeur : Des ronds dans l’o
- Parution : 02 mai 2018
- Prix : 18€
- ISBN : 9782374180564
Résumé de l’éditeur : Cinquante ans après Mai 68, le souvenir reste vif d’une révolte étudiante pleine de flamme et de gaieté. Mais on oublie souvent qu’une grève massive des travailleurs paralysa aussi le pays, menant le régime gaulliste au bord de la chute. Cette bande dessinée retrace les événements d’un printemps pas ordinaire, à travers le récit de personnages fictifs.
- La veille du grand soir
- Scénariste : Patrick Rotman
- Dessinateur : Sébastien Vassant
- Editeur : Delcourt
- Parution : 14 avril 2018
- Prix : 24.95€
- ISBN : 9782413000389
Résumé de l’éditeur : Dans Mai 68 : La veille du grand soir, le lecteur est là où l’histoire s’écrit, à la Sorbonne et à l’Élysée, aux usines Renault ou à la Préfecture. Il côtoie Cohn-Bendit, voit débattre Sartre. En contrepoint, les auteurs racontent aussi les atermoiements au sommet de l’État : les affrontements entre De Gaulle et Pompidou ou les négociations entre un Chirac armé jusqu’aux dents et la CGT…
- Sous les pavés
- Auteurs : Warnauts & Raives
- Editeur : Le Lombard, collection Signé
- Parution : 14 avril 2018
- Prix : 16.45€
- ISBN : 9782803671694
Résumé de l’éditeur : Paris, mai 1968. La capitale est secouée par le mouvement de manifestations et de grèves générales rassemblant étudiants et ouvriers.