June, salariée dans un cabinet de vétérinaire, recueille une mystérieuse créature. Ce petit monstre aquatique et terrestre s’immisce alors dans son couple, jusqu’au drame. Aurélien Maury imagine cet étrange trio dans Oh Lenny, un album sur les relations d’emprises toxiques édité par Tanibis. Surprenant et glaçant !
Un couple au bord de l’implosion
June habite avec son mari dans un appartement d’une ville moyenne. Le ronron de leur vie en commun s’installe doucement. Son époux râleur invétéré n’arrange pas les choses. Pourtant la jeune femme, toujours souriante, tente de positiver.
Heureusement, June peut compter sur son travail dans une clinique vétérinaire pour se changer les idées. Depuis toute petite, elle adore soigner les animaux.
Un déménagement sans âme à Lenox
Lorsqu’elle rentre du travail, le mari de June l’attend avec une bouteille de champagne. Il a accepté une très belle offre d’emploi à Lenox dans le Massachusetts.
June ne le montre pas mais cette nouvelle n’en est pas une bonne pour elle. Elle doit quitter sa famille et son travail qu’elle adore.
Le couple s’installe alors dans un pavillon d’un lotissement quelconque et sans âme. June se sent de plus en plus seule. Son couple s’éloigne de plus en plus. Le rangement et le jardinage ne la passionnent guère et ne comble pas sa solitude.
Lenny, une mystérieuse créature
Pour se changer les idées, June se promène dans le quartier. Non loin d’un tunnel pour eaux usées, la jeune femme entend un drôle de bruit, comme une supplique.
Elle descend dans la cavité et découvre une étrange créature mi-marine mi-terrestre. Tel un enfant qu’elle n’a pas, elle décide de s’en occuper. Elle la montre à son mari et l’appelle Lenny.
Mais la créature a d’étranges comportements – entre amour et répulsion. Au fil des jours, Lenny prend une place importante dans le couple…
Aurélien Maury, un auteur entre ciné et bandes dessinées
Quel album ! Oh Lenny est un récit qui aimante le lecteur. Un drame intimiste entre amour et répulsion. Pourtant Aurélien Maury n’en est pas à son premier coup de maître.
Né en 1982, l’auteur suit des études de cinéma à l’université de Lyon 2. Parallèlement à ce cursus, il commence à publier des récits dessinés notamment dans le revue Rhinocéros contre éléphant. C’est en 2011 que les éditions Tanibis publient son premier album Le dernier cosmonaute. Il poursuit son œuvre graphique dans la même structure : EGG avec Gilbert Pinos, Achevé d’imprimé et aujourd’hui Oh Lenny.
Il a également illustré des albums jeunesse et réalisé des films d’animations pédagogiques.
Oh Lenny si tu savais, tout le mal que tu nous fais
Avec Oh Lenny, Aurélien Maury brosse un très beau portrait de femme fragile, bienveillante et amoureuse des animaux. Elle se dévoile sous l’emprise de cette créature monstrueuse. Elle entretient avec Lenny une relation singulière et surprenante. Elle le choie comme un enfant et Lenny devient un amant qu’elle n’a plus du côté de son mari. Son portrait est alors plus nuancé qu’une simple victime. L’intrigue n’est donc pas si manichéenne que cela peut paraître.
S’installe un étrange ménage à trois, où Lenny prend une place plus importante que l’époux de June. S’il se rend compte rapidement que la créature est malsaine, il est déjà trop tard. Son influence toxique sur sa femme est importante. Tentaculaire comme les membres de ce personnage difforme.
Oh Lenny si tu comblais un vide
Lenny est la personne que June apprécie parce que c’est un animal et qu’il comble le vide de son couple mais également de sa solitude.
Lenny ne parle pas, il grogne mais elle le comprend. Et cette fusion nocive et pernicieuse se matérialise par une succion de sang de June tel un vampire.
Le récit d’Aurélien Maury prend la forme d’un étrange huis-clos glissant vers la drame. Si les premiers temps entre Lenny et June semblent beaux et sincères, la suite est perverse et nuisible. Le piège tendu par cette créature qui n’existe pas (elle est néanmoins très réaliste) se referme sur sa victime jusqu’à une issue que l’on pense irréversible.
De l’élégance du trait
Oh Lenny bénéficie d’un très beau dessin. Le trait d’Aurélien Maury est de très jolie élégance, non loin de celui de Charles Burns.
Son dessin numérique très lisible convient parfaitement pour mettre de la distance à son récit dramatique. Il tranche avec la noirceur de son intrigue. Les grands aplats de couleurs donnent une ambiance chaleureuse qui est à l’encontre de cette histoire d’emprise psychologique.
On notera également toutes les références pop dans le récit, notamment une scène sur un bateau lorgnant vers une célèbre séquence cinématographique avec un squale semant la terreur sur une plage d’Amity.
Oh Lenny : entre amour et emprise, entre bienveillance et drame. Une très belle surprise !
- Oh, Lenny
- Auteur : Aurélien Maury
- Editeur : Tanibis
- Prix : 27 €
- Sortie : 1er mars 2024
- Pagination : 328 pages
- ISBN : 9782848410777
Résumé de l’éditeur : June est une jeune femme hypersensible qui déborde d’amour pour la nature et les animaux. Elle travaille dans un cabinet vétérinaire d’une métropole nord-américaine où elle vit avec Brad. Mais une opportunité professionnelle pour ce dernier les oblige à déménager dans une belle maison moderne au coeur d’un lotissement anonyme. Pendant que Brad se consacre corps et âme à son nouveau travail, June se sent désoeuvrée et peine à se projeter dans ce nouvel environnement. Un jour, elle recueille une étrange créature mal en point et l’installe dans leur sous-sol. Une relation mystérieuse naît entre elle et cet être qu’elle baptise « Lenny ». Ce dernier se révèle drôle et attachant, mais peut-être pas tout à fait inoffensif… Ouvrant la voie à de multiples interprétations, Oh, Lenny ne cesse de surprendre tout au long de son intrigue monstrueuse. D’abord huis-clos domestique retraçant l’évolution d’un ménage à trois grotesque, le récit mute petit à petit en drame horrifique qui joue de la fascination que peut exercer la nature sauvage, tour à tour belle et toxique. En plus de 300 pages dessinées dans un élégant style ligne claire, l’auteur du Dernier cosmonaute nous embarque pour un voyage aux confins de la folie, dressant au final un portrait de femme complexe et nuancé.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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