Orlando

Afin de devenir un « vrai » homme, la mère d’Orlando l’envoie à la Cour du roi. Rapidement, ce poète en devient la mascotte. L’album de Delphine Panique, Orlando, est une libre adaptation du roman éponyme de Virginia Woolf. Ce conte initiatique inclusif est une très jolie ode à la liberté.

La colline poétique

Orlando est un jeune garçon de la grande bourgeoisie. Vivant à la campagne avec sa mère, il est poète à ses heures perdues. Pour laisser son imagination vagabonder, il aime se rendre sur la colline, près d’un arbre et composer de nombreux texte. Rejetée par sa mère, fumeuse invétérée, elle rêve de faire de lui un homme digne et viril, lui, un peu efféminé. Pour cela, elle décide de l’envoyer à la Cour du roi afin qu’il entre en contact avec des gens de lettres.

Voyage semé d’embûches

Pour se rendre au palais, c’est son oncle Roger qui passe le chercher en Volvo. Alors qu’il lui fait signe pour lui dire bonjour, le conducteur percute un arbre et meurt sur le coup.

Sa mère éplorée, demande alors à Olivier, le fils de Roger, d’accompagner Orlando auprès du roi. Le long voyage est une suite de rencontres improbables. Lors d’une halte pour soulager un besoin naturel, Orlando croise la route de Jeanne Pezon accompagnée de son loup apprivoisé. Après une numéro de cirque de la part de la petite fille, les cousins reprennent leur route.

Orlando, mascotte de la cour du roi

A peine arrivés devant le château du roi, Olivier décide de rebrousser chemin. Il ne se sent pas à sa place. Orlando entre alors dans le palais, seul, dans ce lieu inconnu. Rapidement, le jeune homme devient la coqueluche de ses dames. Grâce à sa faconde et son charme,  elles se pâment à chacun de ses bons mots. Mais la mascotte de la cour s’ennuie. Il se lasse des mondanités et réclame de partir à la guerre. L’idée d’une mort possible sur la champ de bataille l’échaude. Il ne quitte pas le palais.

Il fait alors la connaissance de Sacha, une jeune femme russe, danseuse de mazurka. Pourtant, il n’en est rien, elle n’est pas du tout danseuse mais fille de l’ambassadeur. Orlando en tombe amoureux et va jusqu’à se marier avec elle…

Orlando, une, deuxième

Les éditions Misma ont eu la riche idée de publier de nouveau Orlando, le très joli album de Delphine Panique. Pour cela, la structure a fait subir un toilettage à l’ancienne version. Il faut souligner que depuis 2013, la bande dessinée était épuisée et qu’il était difficile de se la procurer.

Si le récit n’a pas subi de transformations, Delphine Panique l’a agrémenté de quelques pages en préface. L’autrice d’En temps de guerre, y a ajouté des planches pour expliquer son rapport au roman de Virginia Woolf. En effet, Orlando est une très libre adaptation de la grande œuvre de l’écrivaine.

Orlando de Virginia Woolf : une œuvre moderne

Née en 1882, Virginia Woolf est considérée comme l’une des plus grandes autrices du XXe siècle. La londonienne publia de nombreux romans, pièces de théâtre et nouvelles dans la veine moderniste.

Orlando fut publié en 1928. Il était d’une grande modernité pour l’époque, mettant en scène un homme androgyne et voulant rejeter le patriarcat. Sous des dehors de voyage initiatique drôle et léger, le récit abordait de nombreuses thématiques, notamment le rapport entre les sexes, le genre – même si ce terme est anachronique – l’amour et la cour.

Ce roman fut dédié à Vita Sackville-West, amante de Virginia Woolf. Mais pourquoi, ce récit fut librement adapté par Delphine Panique ? Pourquoi ce texte centenaire fit le plus bel effet sur l’autrice du Vol nocturne ?

Jouer avec le roman

La lecture d’Orlando est très agréable. On se plait à suivre les aventures de ce jeune noble à la cour du roi. Delphine Panique tomba tout de suite en amour pour cet homme distingué. Alors qu’elle n’était pas encore autrice de bande dessinée, à la suite de cette découverte, elle en parla à un ami. Elle savait au plus profond d’elle que ce serait son premier album.

Elle débuta son récit dessiné d’abord sous la forme d’un fanzine. Alors qu’elle avait lu le roman de Virginia Woolf sept ou huit ans auparavant, elle ne voulut pas le relire et laisser sa mémoire travailler malgré les erreurs et autres surinterprétations. Bien lui en fit.

Les genres, cul par-dessus tête

Orlando, c’est avant tout une biographie imaginaire d’un fils de bonne famille fortunée. L’on apprécie les moments fantaisistes de sa vie. Onirique et fantastique, la version de Delphine Panique (Un beau voyage) est brillante par le fait qu’elle y glisse des objets contemporains comme les voitures ou les téléphones portables.

Histoire touchante, elle est un vrai hymne à la liberté, au corps, à l’amour sous toutes ses formes et aux genres. Poète, puis ambassadeur en Orient, Orlando se marie avec Sacha, la fille de l’ambassadeur de Russie et change même de sexe. Après son divorce, un matin, il se réveille dans le corps d’une femme. Imaginez le scandale à l’époque de la publication de la romancière britannique.

Gaufrier à dévorer

La déclinaison de Delphine Panique est très réussie. On apprécie son trait en noir et blanc minimaliste mais qui permet une grande lisibilité. Le découpage de l’autrice des Classiques de Patrique en gaufrier de neuf vignettes permet une liberté (comme le veut l’histoire d’ailleurs) et rythme intelligemment le récit.

Orlando, c’est drôle et c’est plus profond que ne laisse présager la légèreté de son ton. 228 pages d’un récit initiatique aux questionnements multiples sur les classes sociales, le patriarcat, l’amour, les genres et la sexualité.

Article posté le samedi 26 juin 2021 par Damien Canteau

Orlando de Delphine Panique (Misma)
  • Orlando
  • Autrice : Delphine Panique
  • Editeur : Misma
  • Prix : 18 €
  • Parution : 04 juin 2021
  • ISBN : 9782916254852

Résumé de l’éditeur :  » Un murmure, un frisson, l’étrange silence de la nature… « . ORLANDO, jeune poète un peu efféminé, écrit de la poésie au sommet de sa colline, et c’est la seule chose qui compte pour lui. Un jour sa mère décide de l’envoyer à la cour du roi pour qu’il devienne  » un homme digne et viril « … Si elle savait ! Ayant toujours pour but, et pour guide, l’écriture et la poésie, Orlando va effectuer un voyage initiatique et être confronté à toutes sortes d’aventures et d’expériences surprenantes. En adaptant à sa sauce le roman ORLANDO de Virginia Woolf, Delphine Panique présente un album léger et drôle, qui mêle à la fois références à la littérature, à la culture populaire et aux récits de voyage tout en questionnant au passage le genre et la sexualité. Longtemps épuisé, le tout premier album de Delphine Panique chez Misma fait peau neuve dans une nouvelle édition agrémentée de pages en couleurs dans lesquelles l’autrice revient sur son rapport à l’oeuvre de Virginia Woolf et sur sa manière si particulière d’adapter ce roman.

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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