Un beau voyage

Un capitaine et son mousse sont bloqués en pleine mer. Que faire lorsque l’on est à l’arrêt ? Comment voyager en étant immobiles ? Delphine Panique met en scène leurs joutes verbales entre imaginaire débridé, îles folles et créatures fantastiques. Un beau voyage en perspective…

Le capitaine et son mousse

Au milieu d’une mer d’huile, sans aucun vent, un capitaine et son mousse Béber conversent. Sur leur bateau à voile, ils sont dépités. Le navire ne bouge pas. Depuis six jours, ils n’ont pas avancé d’un poil.

« Et nous, on est au milieu, et il ne se passe rien. »

Les courants porteurs sont trop loin pour que le bateau puisse se mouvoir. Que faire lorsque l’on ne bouge plus ? Rien, on attend.

Des îles, des créatures et un cuisinier

En attendant qu’un vent vienne frapper les voiles du bateau, le capitaine décide de raconter des histoires à Béber. Tous les jours, le commandant divague avec habileté pour faire passer le temps. Entre mythomanie et mégalomanie, il conte quasiment sans s’arrêter.

Il y a les îles improbables qu’il a pu visiter ou scruter au loin. Et il y a également les créatures marines, toutes plus incroyables les unes que les autres.

Et enfin, il a Mamadou – de son vrai prénom, Jean-Pierre – qui caché au fond de la câle, prépare les repas pour Béber et le capitaine

Un beau voyage immobile

Après la déclinaison du roman de Virginia Wolf Orlando, la chronique historique En temps de guerre, le récit érotique L’odyssée du vice et la littérature dans Les classiques de Patrique, Delphine Panique est de retour aux éditions Misma – la structure qui lui donna sa première chance – avec Un beau voyage, un trajet sans bouger, un voyage immobile.

A travers les longues discussions du Capitaine et de Béber, l’autrice tente d’éveiller notre imaginaire. Au milieu de nulle part, les deux hommes se parlent ou plutôt l’un raconte et l’autre écoute (il se rendra compte des supercheries au fil de l’album).

De la force de l’imaginaire

Comment tenir en haleine un lectorat lorsque l’on propose deux héros sur le pont d’un bateau qui ne bouge pas ? Et bien, c’est toute la force de cet album de 324 pages. Oui, 324 pages que l’on ne voit pas passer, entre divagation, mythomanie et embellissements de la vérité.

Les îles et les animaux marins sont extravagants. Les premières ont la forme de leurs adjectifs ou de leurs compléments du nom, tandis que les seconds sont des mélanges d’être vivants, tels des hybrides. Tout est là, entre premier degré, second degré et équivoques. On est surpris à chaque case lorsque le capitaine invente des lieux et des animaux.

Les limites des contes

Mais Béber n’est pas dupe. Le mousse s’impatiente malgré les racontars de son capitaine. Il dérive, il pose des questions qui remettent en cause son supérieur. Il angoisse, il a peur (des animaux, de la faim, de la mort).

La beauté de la mer, de ses habitants et des îles deviennent parfois monstrueux lorsque le temps passe et la faim agite l’estomac.

Les surprises ne sont pas là où on les attend dans Un beau voyage. Les rebondissements viennent des cales du bateau, là où le cuisinier Jean-Pierre et ses semblables ont élus demeure.

Trait pour trait

Comme pour ses précédentes publications, Delphine Panique décline ses planches par un dessin fait d’un simple trait. Stylisées et géométriques, les formes de ses personnages, des îles et des créatures marines sont simples et très lisibles.

Dans Un beau voyage, pointillés, trames, hachures, courbes et bichromie (blanc/bleu) permettent de se concentrer sur l’essentiel : titiller l’imaginaire des lecteurs.

Un beau voyage ou comment voyager en étant immobile, par le rêve, l’imaginaire.

Article posté le dimanche 25 avril 2021 par Damien Canteau

Un beau voyage de Delphine Panique (Misma)
  • Un beau voyage
  • Autrice : Delphine Panique
  • Editeur : Misma
  • Prix : 19 €
  • Parution : 16 avril 2021
  • ISBN : 9782916254845

Résumé de l’éditeur :  » Ah les voyages ! Aux rivages lointains, aux rêves incertains, que c’est beau les voyages !  » chantait Barbara. Mais il faut bien le dire, durant cette année 2020, les voyageurs, ceux qui se ressourcent auprès de paysages, de senteurs, de saveurs inconnues, ont été bien malmenés. Heureusement, en 2021  » Un beau voyage « , de Delphine Panique, arrive pour leur venir en aide ! Comment faire pour voyager lorsqu’on est bloqués ? Imaginons-nous, en mer, pendant un calme plat : pas de vent, pas de courant. Le navire, telle une souche morte, est immobilisé. Que faire, à part imaginer les îles qu’on pourrait accoster, les terres qu’on souhaiterait aborder ? Que faire, à part évoquer diverses légendes marines et autres monstres aquatiques ? Que faire, à part se raconter des aventures passées, et, pourquoi pas, futures ? Tant que vous resterez calme, tant qu’il vous restera des vivres, tout ira bien… Et après ? Après Orlando, fausse adaptation littéraire, et En temps de guerre, chronique historique douteuse, Delphine Panique revient chez Misma, son éditeur originel, pour s’attaquer au genre du récit de voyage en mer, et, comme à son habitude, le détourner. Son voyage sera donc immobile. Les protagonistes ont beau être sur un bateau à voile, ou quelque chose qui y ressemble, ils sont bloqués. Ils ne peuvent qu’imaginer. Dès lors, Delphine Panique, au travers d’une longue discussion entre le Capitaine et son mousse Béber, développe tout un imaginaire traditionnel et référencé sur le voyage en mer : îles inconnues, naufrages, tempêtes, pêche à la baleine, monstres marins et autres créatures des profondeurs. Mais petit à petit, malgré leurs joyeuses rêveries, les deux protagonistes vont faire face à l’angoisse de la solitude, de l’inconnu, et laisser apparaître leurs faiblesses et leurs peurs devant la force des éléments qui les entourent, devant l’immense et secrète monstruosité de l’océan… Pour ce nouvel album, Delphine Panique accentue brutalement le minimalisme de son dessin et de sa mise en scène. Horizon plat, dessins géométriques tirant vers l’abstraction, pour un récit dénué d’actions mais ponctué de dialogues truculents et de curieux paysages imaginaires qui invitent le lecteur à la rêverie, à la divagation, au voyage.

 

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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