Séraphine

Positive et bienveillante, Séraphine est une jeune adolescente vivant à Paris, tout juste après la Commune. Orpheline, elle est protégée par un vieux curé, une tante courtisane et une couturière un peu ronchon. Édith adapte le très joli roman de Marie Desplechin, une chronique sociale d’une belle justesse pour le jeune public.

Curé, tante et couturière, la vie simple de Séraphine

Montmartre, octobre 1884. Séraphine salue le père Sarrault venu lui rendre visite. Ce vieux curé est l’homme qui l’a recueillie lorsque sa mère est décédée en couche. Alors que sa tante aurait pu s’en occuper, elle a préféré la laisser en garde à l’homme d’église. Ce dernier l’a confié à un hospice de bonnes sœurs.

Alors que sa tante Charlotte, plus tard, a obtenu la garde de Séraphine, là encore, elle a préféré la laisser à une autre femme Jeanne, veuve et couturière. La petite fille lettrée grandit auprès de cette vieille femme pas toujours de bonne humeur. Elle apprend la couture mais finalement n’aime pas ça.

Montmartre à cœur

Séraphine se retrouve dans cette modeste maison à Montmartre, l’endroit même où quelques années auparavant, la Commune fut réprimée dans le sang, faisant pas moins de 30 000 morts parmi les Communards.

La jeune adolescente a entendu des bribes de son histoire. Sa mère aurait été l’une des insurgées de la Commune. Pourtant, malgré son insistance auprès de la couturière, Jeanne balaie d’un revers de main toutes ses interrogations.

Sainte-Rita, patronne des causes désespérées

Si elle a un rapport un peu éloigné de la religion malgré le père Surrault, Séraphine a été placée sous la protection de sainte-Rita, la patronne des causes désespérées. Son médaillon offert par le curé est là pour en attester la providence. Alors, elle prie pour que sa vie change.

Après avoir expliqué à Jeanne qu’elle ne voulait pas être couturière, la vieille femme lui demande de partir. Charlotte réussit à lui trouver de nouveaux patrons : Marthe et Eugène, propriétaires d’un troquet sur la colline…

Édith ou la force des chroniques sociales

En quelque cent pages, Édith anime sous ses crayons la vie de Séraphine, l’héroïne de Marie Desplechin. Ce roman, publié en 2005 aux éditions L’école des loisirs, fait partie de l’œuvre de l’écrivaine se déroulant dans le Paris du XIXe siècle avec Satin grenadine. Cet ouvrage est inscrit dans la « Bibliothèque idéale » du Centre national de la littérature pour la jeunesse (BnF).

Tout semblait logique qu’Édith tombe sous le charme de Séraphine. L’autrice née en 1960 à Marseille est une très grande conteuse et aime mettre en image des récits aux accents de chroniques sociales. Après la formidable série jeunesse Basil et Victoria (avec Yann), Les hauts de Hurlevent (Yann), Le trio Bonaventure & La chambre de Lautréamont (avec Corcal), l’artiste avait poursuivi dans cette veine avec Le jardin de minuit et Emma G. Wildford (avec Zidrou). Le fond historique et social est important dans les histoires d’Édith. Elle interroge les relations humaines par l’entremise de personnages aux vies bouleversées. Les classes et les conditions sociales sont au cœur de son œuvre.

Séraphine, portrait de l’après-commune

Avec Séraphine, Édith a trouvé un texte à la hauteur de ses réflexions sur l’histoire, les relations humaines, la politique et un peu de la lutte des classes. L’intrigue se déroule quelques années après la Commune. Si cette parenthèse collective et de progrès sociaux est maintenant refermée, la plaie est encore ouverte. Les anciens soutiens se font discrets et le pouvoir réprime toute nouvelle tentative de révolte.

C’est dans cette après-Commune que Séraphine grandit. Personne ne veut lui parler du rôle de ses parents pendant ces événements. Pourtant, elle le sent, le couple est important dans la lutte. Elle croise ainsi Louise Michel ou des gens encore un peu méfiants. Montmartre est encore marqué par les combats. L’offense viendra en 1871 lorsqu’est actée la construction de la basilique du sacré-cœur. Là même où les canons étaient tournés pour maintenir l’ordre. Le lieu de culte, est inauguré en 1885 et achevé en 1923. Expier les pêchés de la guerre franco-prussienne, tel était la volonté d’ériger « la verrue » et effacer cette histoire écrite par le peuple pour le peuple.

Séraphine, adolescente bienveillante et déterminée

L’héroïne, Séraphine, est attachante. Par ses envies, ses rêves et sa bienveillance, elle charme tout son monde, y compris les lecteurs. Elle s’occupe même de Mistigri, un petit garçon mutique et pauvre. Il y a de la bonté chez cette adolescente. Elle se confronte à la précarité des petites gens de Montmartre. Sa détermination est solaire.

Et il y a le très beau dessin d’Édith. L’autrice de Mimosa possède un trait empli de charme et très maîtrisé. On aime aussi énormément les couleurs et sa palette de nuance de bleus.

Séraphine est un album tout public ; l’histoire d’une petite fille confrontée à l’Histoire et la misère. Une héroïne attachante et déterminée.

Article posté le dimanche 23 octobre 2022 par Damien Canteau

Séraphine d'Edith d'après le roman de Marie Desplechin (Rue de Sèvres)
  • Séraphine
  • Autrice : Édith, d’après le roman de Marie Desplechin
  • Éditeur : Rue de Sèvres
  • Prix : 16 €
  • Parution : 05 octobre 2022
  • ISBN : 9782810215270

Résumé de l’éditeur : Que faire de sa vie quand on a treize ans et qu’on est une fille pauvre, pas laide, sachant lire, sans autre protection que celle d’un vieux curé, d’une tante prostituée et d’une veuve ronchon ? Nonne ? Jamais. Séraphine est trop insolente. Couturière ? Non plus. Elle a trop envie de parler et de voir du monde. Peut-être qu’un jour les femmes pourront devenir juges, gendarmes ou avocats et faire de la politique… Peut-être même qu’un jour Dieu Lui-même sera une femme. Mais, pour l’instant, nous sommes en 1885, à Paris, ou plutôt à Montmartre. Le souvenir de la Commune est encore vif chez les uns. Les autres s’occupent de l’enterrer définitivement en bâtissant, là-haut sur la butte, le Sacré-Coeur. Et Séraphine ne voit qu’une solution pour mener la vie libre et sans misère dont elle rêve : s’en remettre à sainte Rita, la patronne des causes désespérées…

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.

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