Comment dire merci et dire je t’aime à un être cher en fin de vie ? Yukari Takinami raconte son expérience avec sa mère, atteinte d’un cancer, dans Te dire merci, un manga bouleversant aux éditions Rue de l’échiquier.
Le Pancréas, mais c’est quoi le pancréas ?
En 2014, Yukari reçoit un appel de Nao sa sœur pour lui annoncer une mauvaise nouvelle : leur mère est atteinte d’un cancer du pancréas. Les médecins sont formels, en phase 4 – le plus avancé de la maladie – il ne lui reste que moins d’un an à vivre.
Le pancréas favorise la digestion et sécrète l’insuline. Insidieusement, sans crier gare, il avance sans que le malade s’en rende compte. Ainsi, le patient a des pertes d’appétit et ressent de fortes douleurs à l’estomac.
« Cela dit… Jamais, je ne me serais imaginée, hein… jamais je ne me serais imaginée que nos parents mourraient si jeunes quand même… » (Nao, soeur de l’autrice)
S’occuper de sa maman
Magaka, marié et mère de deux enfants, Yukari a peu de temps pour elle. Lorsqu’elle apprend la nouvelle, elle décide de quitter son foyer pour aller aider sa mère.
Dans un premier temps, elle ne reste que quelques jours. Aidée de sa sœur Nao, elle alterne pour en prendre soin. Son état général se dégrade, elle ne mange plus, maigrit et devient vite irritable. Si les médicaments entrainent ces énervements et cette nervosité, leur mère a toujours été dure avec elle.
Veuve depuis quelques années, la dame de 68 ans a élevé ses filles dans un schéma classique, avec toute la dureté d’une maman distante. Non pas qu’elle ne les aime pas, mais cela lui permettait de tout contrôler. D’ailleurs, jusqu’au bout, elle sera forte et tentera de tout contenir, tout régenter. Nao, l’aînée n’a jamais connu de moments de partage, de douceur, pire de fierté de la part de sa mère. Yukari a plus ses faveurs. Mieux, elle lui demande de dessiner son portrait pour sa veillée funèbre…
Te dire merci : étapes de fin de vie
Publié par Bungei Shunjuu au Japon en 2016, Te dire merci est un très joli manga, bouleversant et délicat. Yukari Takinami a donc mis en image son histoire, celle de sa mère malade.
Comme elle le montre dans le manga, elle a même commencé à le dessiner dans la chambre d’hôpital, comme une mise en abime. Dans cette poignante autobiographie, elle met en scène tous les étapes de la maladie. De l’annonce de la maladie aux funérailles, en passant par la chimiothérapie, les changements physiques et d’humeurs, tout y est. Les soins palliatifs ne sont pas oubliés. Si les personnels soignants sont montrés, ce ne sont pas eux le cœur du récit.
A l’image de Sous les bouclettes (de Melaka et Gudule, qui mettait elle aussi en image la fin de vie de sa maman autrice), elle n’oublie pas la légèreté par un humour bienvenu, incarnés par les enfants plein de vie, par sa sœur toujours énergique ou ses moments de déprime.
Comment dire à quelqu’un qu’on l’aime ?
Même si le lecteur connait la fin inéluctable et s’il verse une larme à la mort de la mère, Te dire merci ne tombe jamais dans le pathos par l’énergie, les personnages et l’humour.
Comme tout au long de leur vie en commun, Yukari, Nao et leur mère ont eu du mal à se parler et à se dire je t’aime. C’est donc là, le cœur du récit : les difficultés à dialoguer et la pudeur des sentiments. C’est encore plus vrai dans les derniers instants avant la mort. La mangaka aimerait lui dire merci mais elle ne sait pas quand ni comment le faire.
« Dans les moments difficiles, il ne faut pas grand chose pour sauver un être humain » dira-t-elle lorsqu’elle montre à sa génitrice des photos de chiens pour apaiser sa douleur. La mère est distante pourtant Yukari Takinami sent toujours en elle l’amour. Un début de complicité tant cherché ?
Te dire merci raconte cette tranche de vie d’un an, entre rire et douleur de la perte d’un être cher. Le manga se termine néanmoins sur un questionnement de l’autrice : Comment vivra-t-elle sans sa mère ? A l’image de Fin d’Anders Nielsen – qui racontait l’absence de sa compagne après son décès d’un cancer – voilà le grand défi de Yukari.
Avec un trait simple et très caricatural, Yukari Takinami touche au plus juste. Cela permet d’embarquer tous les lecteurs, de bande dessinée, de manga ou non. Parce que oui, Te dire merci peut être lu par de non-initiés au genre puisqu’il est publié dans le sens de lecture occidentale.
Te dire merci : simple, poignant; une belle leçon de vie !
- Pour prolonger cette thématique, vous pouvez parcourir notre sélection de 10 albums sur le cancer et la maladie ou lire la chronique de Betty Boob de Rocheleau et Cazot.
- Te dire merci
- Autrice : Yukari Takinami
- Editeur : Rue de l’échiquier
- Parution : 30 mai 2019
- Prix : 17.90€
- ISBN : 9782374251622
Résumé de l’éditeur : Ce manga raconte avec sincérité comment la narratrice et sa mère se retrouvent confrontées à la maladie et quelles sont les conséquences de cette annonce sur leur relation déjà compliquée. Tout commence lorsque la mère, qui a toujours mené sa vie avec volontarisme et fermeté, découvre qu’elle est atteinte d’un cancer au pancréas et qu’il ne lui reste plus qu’un an à vivre. Au fil de courts chapitres, qui alternent anecdotes et moments émotionnellement plus intenses, le lecteur se retrouve plongé dans le quotidien de la maladie : les examens médicaux, le milieu hospitalier, les moments d’espoir et de grand désarroi. Mais de quelle manière affronter cette épreuve qui risque bien d’être la dernière ? La réalité pratique de la mort s’impose alors brutalement à travers la succession des démarches administratives qu’il faut mener à bien : La vente de la maison familiale, le choix de la tombe, etc. À travers ce récit, Yukari Takinami évoque le profond chamboulement que représente la perte annoncée d’un proche, sans jamais sombrer dans le pathos. Alors que les derniers moments se profilent, le lecteur assiste aux tentatives de la mère et de la fille pour renouer des liens, entre orgueil blessé et peur des regrets. Après des années marquées par une relation compliquée, vont-elles parvenir à surmonter leurs conflits et à se dire les choses « pour de vrai » avant qu’il ne soit trop tard ?
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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