Ana tente de retrouver son frère disparu dans un monde parallèle. Elle y croise Vassilissa ou encore Yaga la sorcière. Terrible ! Ce conte de Gaël Henry est terrible. Entre humour noir et quête initiatique, l’auteur navigue dans les eaux troubles du folklore russe. Une jolie surprise.
Noé et la grotte
Alors qu’elle a la garde de son petit frère Noé, Ana l’emmène à la grotte de Bédeilhac. Ce lieu est pourtant interdit d’accès aux visiteurs. Qu’importe ! Le jeune adolescente y donne rendez-vous à son amoureux.
C’en est trop pour le petit garçon. Noé, c’est un cas ! Il n’en fait qu’à sa tête ! Il passe alors à travers le portail et se dirige vers la grotte interdite. Ana se dépêche d’aller le chercher mais elle glisse et tombe dans une étrange forêt.
Vassilissa à la recherche du feu
Ana reprend ses esprits après sa chute vertigineuse. De mystérieuses silhouettes noires se penchent alors au-dessus d’elle. Effrayée, elle pense que c’est à cause de son déboulé et qu’elle a des hallucinations.
Elle poursuit sa quête de retrouver Noé. Elle est alors attirée par les sanglots d’une jeune fille assise par terre. Vassilissa-la-très-belle pleure parce qu’elle s’est plantée une écharde dans le doigt.
En attendant de pouvoir se marier avec un tsar, la belle femme se rend chez Baba Yaga la sorcière pour récupérer du feu utile à sa famille…
Terrible : une belle relecture des contes russes
Terrible est un conte cruel et drôle de Gaël Henry. Né en 1989, l’auteur a suivi des cours de bande dessinée à l’académie de Tournai en Belgique. Après l’obtention de son diplôme en 2010, il publie notamment Alexandre Jacob, journal d’un anarchiste cambrioleur (avec Vincent Henry) et Kill Any Wong (avec Swann Meralli).
Dans cet album, Gaël Henry se joue des codes des contes russes pour les détourner. Pour cela, il compose son récit initiatique en trois parties. Il fait ainsi référence plus ou moins explicitement à Vassilissa-la-très-belle, L’oiseau de feu et Grande sœur et petit frère.
C’est en lisant Contes russes aux éditions du Seuil Jeunesse (traduits par Luda) et Contes russes et populaires d’Afanassiev que Gaël Henry a l’idée de créer Terrible. Il y a tellement de matière qu’il peut laisser vagabonder son imagination pour faire croiser les trois contes.
Cruel, comme c’est cruel
Dans l’imaginaire collectif, nous avons tendance à penser que les contes ou les fables pour les enfants sont mignons (à cause de Disney ?). C’est mal connaître l’Histoire de ces traditions populaires. Passant d’un foyer à l’autre, à l’oral, les contes étaient tout d’abord destinés aux adultes. Contés au coin du feu, ils pouvaient donc comporter de scènes de violence, de sexe (le Petit chaperon vert), comme des métaphores de la vie et des rapports aux puissants.
C’est par la suite que les frères Grimm, Hans Christian Andersen ou Charles Perrault ont couché sur papier ces histoires transmises à l’oral. Ainsi les mêmes contes ont des variations différentes selon les auteurs. Ces récits ont alors eu comme destination, les enfants.
Comme le souligne Bruno Bettelheim dans Psychanalyses des contes de fées, les enfants se construisent aussi lorsqu’on leur raconte des histoires. Il ne faut d’ailleurs pas qu’elles soient édulcorées. La violence, les monstres ou le fantastique font partie intégrante de leur développement.
Et, on adore les contes cruels. Comme ici avec Terrible !
Terrible(ment) dure
Outre la Baba Yaga, horrible sorcière, Vassilissa se laisse envahir par son ego pensant qu’elle est belle. Elle écrase des crapauds et se comporte parfois comme une enfant gâtée. Gaël Henry n’oublie pas de glisser un énorme loup gris et une poupée de chiffon aux dons surnaturels pour compléter sa galerie de portraits. Tous ont un côté sombre qui ressort et ce même chez les plus gentils d’entre eux.
L’histoire est donc dure pour Ana et Noé. L’auteur de L’ours de Ceausescu n’épargne pas son héroïne. Ainsi, Terrible n’est pas un conte pour jeunes enfants. Comme il n’a pas les codes de la Jeunesse, il ne voulait pas se “limiter par des aspects éthiques ou morales propres à la Jeunesse.”
Terrible(ment) politique et drôle
Terrible est donc un récit politique et social. Gaël Henry y aborde les classes sociales, les puissants/leurs sujets, le mariage, l’adultère ou le bien/le mal. En aucun cas, l’histoire n’est manichéenne. Elle serait d’ailleurs une fille éloignée de Peau d’homme de Zanzim et Hubert tant graphiquement que dans ses propos. Un univers élastique et coloré.
Pour faire passer la pilule, l’auteur de Tropiques de la violence & Jacques Damour glisse énormément d’humour dans Terrible. Un humour noir et cynique, tant dans les attitudes des personnages que dans leurs dialogues savoureux.
Terrible : à lire pour se faire plaisir !
- Terrible
- Auteur : Gaël Henry
- Éditeur : Dupuis
- Date de publication : 17 mai 2024
- Nombre de pages : 144
- Prix : 25€
- ISBN : 9791034770380
Résumé de l’éditeur : Lors d’une sortie estivale en forêt, Ana et son frère Noé se perdent dans une grotte et y découvrent un monde étrange et fantastique. Très vite, Noé disparaît et Ana se lance à sa recherche. Yaga la sorcière, Vassilissa la naïve, Loup gris et Poupée, ces figures emblématiques du folklore russe, vont l’accompagner dans sa quête. Ana apprendra à ses dépens où peut conduire la cruauté…
Un conte riche de sens et d’interprétations qui explore les métamorphoses de l’adolescence, la perte de l’innocence. Une relecture sociétale du mythe de la sorcière porté par un humour noir dans un univers coloré !
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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